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Actualités - REPORTAGE

Théologie Quand la Vierge Marie donne rendez-vous au monde

Fady NOUN 150 ans après la première apparition de Notre-Dame à Lourdes, un congrès établit le bilan d’un phénomène historique et théologique mondial. Sur le thème « Les apparitions de la Vierge Marie, entre histoire, foi et théologie », et pour marquer le 150e anniversaire des apparitions de la Vierge à Lourdes, un sanctuaire visité annuellement par 7 à 8 millions de pèlerins venus des cinq continents, l’Académie pontificale mariale internationale » (PAMI) vient d’organiser un important congrès (4-8 septembre). Une délégation de la section Moyen-Orient de l’académie conduite par le père abbé Semaan Abou Abdo, supérieur général de l’ordre maronite mariamite et président de cette section, assistait au congrès qui s’est tenu sous la présidence du cardinal Paul Poupard, en présence du P. Vincenzo Battaglia, franciscain (OFM), président de l’Académie pontificale mariale. On sait la prudence avec laquelle l’Église considère la question des révélations privées, et les critères rigoureux auxquels doit répondre une apparition, pour être authentifiée par l’Église. Avec celle de Lourdes, douze autres apparitions seulement ont été reconnues en 2000 ans, alors que les apparitions se chiffrent par centaines. Sur ce point particulier, on s’en doute, le congrès n’a pas innové. Les critères posés par la Congrégation pontificale pour la doctrine de la foi, pour authentifier une apparition de la Vierge, ont été réaffirmés à diverses reprises, en particulier par les PP. David Jaeger, de l’Université pontificale de l’Antionanum, à Rome, et Monsignor Charles Scicluna, promoteur de justice de la Congrégation pour la doctrine de la foi, au Vatican. Il s’agissait plutôt de tenter de faire des manifestations de Notre-Dame une lecture ecclésiale et de progresser dans l’établissement d’une théologie des apparitions. « Avec celle des exorcismes, c’est la moins étudiée des questions », devait souligner durant le congrès le père René Laurentin, l’un des grands spécialistes de cette question. Des apparitions authentifiées de Lourdes, Fatima et plus récemment Kibého (Rwanda) à celles de l’île Bouchard, du Laus ou de Medjugorje, près d’une trentaine d’apparitions de Notre-Dame dans les cinq continents ont été évoquées ou analysées sous divers angles lors du congrès, soit au cours des séances plénières matinales, soit encore lors des ateliers de l’après-midi, qui se sont tenus par sections linguistiques. La controverse sur l’authenticité des apparitions de Medjugorje a été effleurée. Par contre, des apparitions plus anciennes, telles que celles dont a été favorisée sainte Élisabeth de Hongrie, ou celle de Guadalupe (Mexique), ont fait l’objet d’exposés substantiels. Centrée sur la croix Dans un exposé sur le statut et le contenu des apparitions pascales, le P. Yves-Marie Blanchard, de l’Institut catholique de Paris, a défini les critères d’évaluation qui, selon lui, authentifient une apparition. Il en retient deux : l’apparition doit être « centrée sur la croix et ouverte sur l’Église ». Il insistera aussi sur son caractère « fugace », un critère auquel ne répondent pas d’autres apparitions établies, telle celle du Laus (1664) Même dans le cas d’apparitions crédibles, la hiérarchie de l’Église peut mettre des décennies à les authentifier. Cette lenteur s’explique en partie par sa compréhension progressive de l’herméneutique du témoignage reçu, selon le P. José Jacinto Ferreira de Farias, de l’Institut catholique de Lisbonne. C’est le cas pour Fatima, par exemple, où la hiérarchie a été décontenancée par des variations dans les témoignages successifs de sœur Lucie, entre 1917, 1926 et les années 30, au point de parler d’un Fatima I et d’un Fatima II. C’est tardivement, en 1956, que les réserves et l’opposition tomberont, quand on comprendra que ces variations sont uniquement dues à une maturation de la compréhension des paroles et des visions confiées par Notre-Dame à sœur Lucie. Le P. Bernard Sesboué s.j., de son côté, s’est livré à une réflexion anthropologique sur le corps humain qui, dans la doctrine chrétienne, « est promis au salut ». Partant du fait que la Résurrection du Christ est un événement eschatologique, il en conclut que « les apparitions dont des manifestations pédagogiques adaptées aux corps qui ne sont pas encore ressuscités ». Grâce aux PP. Miguel Ponce Cuellar, de la Société mariologique espagnole, Salvatore Perrella, de la Faculté pontificale mariale de Rome, et le P. Bernard Peyrous, historien, l’assemblée aura droit à de fascinants panoramas des apparitions de Notre-Dame, saisies dans leur dimension à la fois théologique, ecclésiale et historique. « Les apparitions appartiennent à la catégorie des grâces accordées gratuitement », souligne le P. Perrella, qui établit un rapport de causalité entre l’Assomption et la médiation de Marie, pour affirmer que « dans l’Esprit Saint, la Vierge rejoint désormais chacun, dans le temps et l’espace ». Pour le théologien, le verset de l’épître aux Corinthiens : « Car nous sommes les coopérateurs de Dieu, vous êtes le champ de Dieu, l’édifice de Dieu »( 1 Cor 3 :9) s’applique par excellence à Notre-Dame. Il dénonce « notre temps d’anorexie métaphysique » ainsi que « la fracture entre culture et religion » et renvoie en particulier à l’encyclique Redemptoris Mater de Jean-Paul II et aux chapitres finaux sur Marie du document conciliaire Lumen Gentium. Dieu dans l’histoire « Dieu parle-t-il dans l’histoire ? » s’interrogera le P. Peyrous ? Suivra un brillant exposé sur la manière dont Dieu « parle » à son peuple à travers non seulement les apparitions, mais aussi la création de nouvelles communautés religieuses et l’émergence de nouveaux saints ou formes de sainteté. Exemples à l’appui, il évoque la chaîne de « révélations privées » grâce auxquelles Dieu a établi la dévotion à l’Eucharistie ou au Sacré-Cœur, ainsi que le courant de spiritualité qui, de Maurice Zundel à Chiara Lubich, en passant par Marthe Robin, Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar, Dieu suscite de nos jours pour aider l’homme à sonder les abîmes de sa kénose. Pas de doute, conclut-il, à travers des saints et des mystiques et de nouvelles formes de vie religieuse, Dieu intervient dans la marche de l’Église et du monde, dans l’histoire des nations et des pays. À ces exposés, le père René Laurentin apportera sa lucide contribution, au cours d’une session consacrée en partie à la présentation de son monumental Dictionnaire des Apparitions paru chez Fayard. Le grand théologien relèvera plusieurs points dignes d’être étudiés plus précisément : confusions sur le vocabulaire, accueil des voyants, statut trop contrasté des apparitions bibliques et postbibliques, valorisation de la foi dans les Évangiles, tension entre l’administratif et le spirituel, rapports entre charisme et grâce, sont quelques-uns des sujets à examiner de plus près, dit-il. Il défendra aussi les voyants contre leur transformation en « oracles », ce qui est dit-il « très déformant pour eux ». Il plaidera enfin pour une étude scientifique de l’extase, par l’utilisation des encéphalogrammes. Ces examens, selon lui, établissent la spécificité de l’extase par rapport aux états de sommeil, de rêve, d’hallucination ou de névrose. Il s’agit, selon lui, d’un état cohérent, fonctionnel, ne dégradant pas l’identité du voyant. Cette étude a été amorcée à Medjugorje, a-t-il rappelé. Une table ronde réunissant catholiques, orthodoxes et protestants consacrée aux rapports entre les apparitions et l’œcuménisme a clôturé un congrès particulièrement riche, où les diverses présentations, de valeurs inégales parfois, se complétaient plutôt qu’elles ne se contredisaient. L’apport du Liban, quoique modeste, n’était pas négligeable, avec une présentation de la dévotion mariale au Liban (P. Semaan Abou Abdo), un historique de la Mère de Dieu dans l’Église maronite (Jocelyne Khoueyri), une esquisse des apparitions de Marie au Liban (Fady Noun) et une étude sur la socialisation de la foi à partir de l’exemple de sainte Bernadette (Abdo Kahi). Des textes qui seront publiés dans les actes du congrès.
Fady NOUN

150 ans après la première apparition de Notre-Dame à Lourdes, un congrès établit le bilan d’un phénomène historique et théologique mondial.
Sur le thème « Les apparitions de la Vierge Marie, entre histoire, foi et théologie », et pour marquer le 150e anniversaire des apparitions de la Vierge à Lourdes, un sanctuaire visité annuellement par 7 à 8 millions...