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Actualités - CHRONOLOGIE

Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, la localité éblouit le visiteur par sa richesse culturelle et historique Batroun, un lieu de villégiature idéal Salwa BOURJI

Il est cinq heures. Les cris des enfants et les conversations animées des habitantes se dispersent graduellement sous le soleil écorchant. Dans les petites rues étroites et tortueuses serpentant la vieille ville, des femmes fantômes n’ont pas encore terminé d’accrocher leur linge à l’entrée de leur maison. Maintenant que le silence règne, seuls les chants d’un coq lointain sont discernables à l’oreille. «?C’est assez silencieux?», admet Tarek à voix basse. L’homme d’une vingtaine d’années est venu passer la journée avec ses amis à Batroun. «?C’est une très belle ville… Mais si je compare Batroun à Beyrouth, j’ai l’impression d’être à la messe ici.?» Situé à 54 kilomètres au nord de la capitale, Batroun est aujourd’hui une station balnéaire réputée, qui a su préserver les vestiges de son passé illustre. Modelée par le temps et l’histoire, la côte aux maisons moyenâgeuses comporte de nombreux centres touristiques offrant un paysage unique et des kilomètres de plage avec du sable fin et doré. «?Batroun est spécial, acquiesce Paola, une jeune passante originaire de Aïn Saadé. Les gens ici sont tellement plus simples et moins superficiels.?» Cinq minutes plus tard, ses propos sont confirmés par la proposition inattendue d’un pêcheur au sourire engageant. «?J’ai beau être pauvre, mais vous êtes la bienvenue chez moi pour manger une des spécialités de Batroun, le “samkeh harra” (NDLR?: poisson épicé au sésame).?» Le quinquagénaire, dont les ancêtres ont habité à Batroun depuis 1907, a tenté plusieurs fois dans le passé de quitter le village, notamment pour «?faire sa vie?» en Amérique, mais à la fin, il est toujours retourné à ses racines. «?Quand un touriste vient pour la première fois à Batroun, il l’aime directement. Il ne sait pas pourquoi, mais c’est comme ça?», résume-t-il ironiquement. Une histoire marquée par des croisades Les habitants sont, certes, généreux. Mais ce sont en réalité les remparts et les ruines de demeures anciennes qui font de Batroun un lieu de villégiature idéal, animé toute l’année grâce à ses 25?000 habitants. Les plus anciens textes qui mentionnent la ville sont les lettres de Tal al-Amarna au troisième millénaire avant J.-C. Envoyé par les gouverneurs des villes littorales cananéennes aux pharaons d’Égypte, le courrier sollicitait une aide dans la bataille contre les Amorrites, des tribus nomades originaires de la région de l’Euphrate, au Nord. En effet, entre les Phéniciens, les Byzantins et les Romains, Batroun a connu un passé troublant, au point que les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles décrivaient la ville comme «?détruite et presque abandonnée?». Néanmoins, tel un Phénix qui renaît de ses cendres, Batroun a su rebondir au milieu du XIXe siècle, grâce à l’introduction de l’industrie. Avec ses nombreux commerces, ses artisans, ses restaurants, son marché typique installé sous les halles, la ville a prospéré et a prouvé son importance culturelle et historique en décrochant une place dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, les villas décorées de peintures murales, les églises et les cathédraux attestent de cette richesse architecturale. Un autre exemple flagrant de la beauté de Batroun serait le mur phénicien, qui sépare le sud et le nord du port de la cité. Les Phéniciens voulaient protéger les habitants de la mer aux humeurs changeantes, donc ils ont taillé des pierres dans une falaise, afin de créer un rempart. À quelques kilomètres de cette muraille, le château médiéval de Messeyleha est construit sur un piton rocheux, et les terrains alentour font actuellement l’objet d’une procédure d’expropriation. La limonade, une spécialité artisanale Toutefois, ce n’est pas le mur phénicien dont les Batrouniens sont le plus fiers, ni la citadelle de Messeyleha. «?C’est la limonade?!?» s’exclame Élie Rim, propriétaire d’une pâtisserie sur la rue principale. Cet homme d’une cinquantaine d’années travaille dans l’entreprise familiale Pâtisserie Rim depuis l’âge de raison. «?À Batroun, la limonade est différente de toutes les autres.?» Tandis que les autres localités doivent supporter une limonade trop sucrée ou trop acide, les Batrouniens peuvent se régaler tous les jours avec un délicieux jus de citron «?équilibré?». «?Finalement, tout dépend de la façon dont tu choisis le citron?», explique Élie avec un sourire aux lèvres. «?Par exemple, je n’achète pas les boîtes de citron, je les sélectionne un par un. Pourquoi?? Parce que quand tu achètes une boîte, tu es sûre qu’au moins la moitié des citrons sont inutilisables.?» Cette importance attachée au triage apporte, elle aussi, ses propres fruits. Aujourd’hui, Élie peut fièrement déclarer que son petit commerce a attiré les ambassadeurs de plus de dix-neuf pays du monde entier. «?Contrairement aux autres villages, les Batrouniens n’ajoutent rien d’artificiel dans leur limonade.?» Élie tend avec excitation un bout de papier jaunâtre, tâché avec les effets du temps. La feuille gouvernementale date de 1973 et exige un échantillon de la limonade de Pâtisserie Rim, afin de vérifier que les employés suivent les bonnes procédures de confection (qu’ils n’ajoutent pas trop d’eau, trop de sucre, etc.). Selon Élie, le secret d’une bonne limonade repose sur une règle essentielle?: ne pas céder à la technologie. «?Quand tu commences à utiliser les machines, la limonade ne devient pas ce que tu veux qu’elle devienne, mais ce que la machine veut qu’elle devienne?», déclare-t-il fermement. Mais il est maintenant sept heures du soir. Le soleil se couche et les noctambules se réveillent. La sieste est terminée, les habitants sont enfin disposés à une soirée vibrante au sein de l’artère principale de la ville.
Il est cinq heures. Les cris des enfants et les conversations animées des habitantes se dispersent graduellement sous le soleil écorchant. Dans les petites rues étroites et tortueuses serpentant la vieille ville, des femmes fantômes n’ont pas encore terminé d’accrocher leur linge à l’entrée de leur maison. Maintenant que le silence règne, seuls les chants d’un coq...