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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Ukraine, Russie et stabilité européenne

Par David MILIBAND* Depuis la chute de l’Union soviétique, il semblerait que les nouvelles règles soient fixées pour la conduite des relations internationales en Europe centrale et orientale et en Asie centrale. Les maîtres mots sont : indépendance et interdépendance, souveraineté et responsabilité mutuelle, coopération et intérêts communs. Ce sont ces principes qu’il faut défendre. Or la crise en Géorgie a provoqué un brusque réveil. La vue des chars russes dans un pays voisin au 40e anniversaire de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie a montré que les tentatives de politique du pouvoir étaient toujours d’actualité. Les vieilles blessures et divisions s’enveniment et la Russie n’a toujours pas accepté la nouvelle carte de l’Europe. La tentative unilatérale de la Russie de redessiner cette carte en reconnaissant l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud marque la fin de la période postguerre froide, mais de plus, les pays doivent maintenant se prononcer sur leur position quant aux questions importantes de statut national et de droit international. Le président russe Dimitri Medvedev affirme ne pas craindre une nouvelle guerre froide. Nous ne voulons pas d’une telle guerre. À lui la lourde responsabilité de ne pas la déclarer. La situation de l’Ukraine montre parfaitement quels avantages reviennent aux pays qui prennent leur destin en main et s’efforcent d’établir des alliances avec d’autres pays. Il ne faut pas considérer les choix de l’Ukraine comme une menace pour la Russie, toutefois, son indépendance exige de nouvelles relations avec la Russie – d’égal à égal et non de maître à serviteur. La Russie ne doit pas tirer les mauvais enseignements de la crise géorgienne, car aucun compromis n’est possible sur les principes fondamentaux d’intégrité territoriale, de gouvernance démocratique et de droit international. La Russie a montré qu’elle pouvait vaincre l’armée géorgienne, or elle est aujourd’hui plus isolée ; on a moins confiance en elle et on la respecte moins qu’il y a un mois. Certes, elle a gagné du terrain sur le plan militaire à court terme, mais avec le temps, elle sentira le poids des pertes économiques et politiques. Si la Russie tient véritablement à être respectée et influente, elle doit changer de cap. Le Premier ministre Poutine a décrit l’effondrement de l’Union soviétique comme « la plus grande catastrophe géopolitique » du XXe siècle. La majorité de la population de l’ex-bloc soviétique et des personnes concernées par le pacte de Varsovie ne voient pas les choses de cette façon. Ce serait une tragédie pour la Russie de passer les vingt prochaines années à croire que c’est le cas. En effet, depuis 1991, l’Ouest lui a proposé une coopération élargie avec l’Union européenne et l’OTAN et d’adhérer au Conseil de l’Europe et au G8. Les sommets, mécanismes et rencontres ont été mis en place non pour humilier ni menacer la Russie, mais pour l’y intégrer. L’Europe et les États-Unis ont apporté un soutien essentiel à l’économie russe lorsque nécessaire, les entreprises occidentales ont investi en masse et la Russie a tiré des profits conséquents de sa réintégration dans l’économie mondiale. Pourtant, ces derniers temps, nos efforts ont été accueillis avec dédain, notamment au vu de la suspension de la participation russe aux Forces armées conventionnelles, du harcèlement de personnes du milieu des affaires et des cyberattaques contre des voisins. Maintenant, les événements en Géorgie. Bien entendu, la Russie doit et devrait avoir un intérêt pour ses voisins, mais comme tout autre pays, elle doit mériter son influence. En effet, ces pays ne forment pas l’« espace postsoviétique » dont parle souvent Poutine. La chute de l’Union soviétique a créé une nouvelle réalité : des pays souverains et indépendants ayant leurs propres droits et intérêts. Par ailleurs, la Russie doit clarifier son attitude quant à l’usage de la force pour résoudre les conflits. D’aucuns affirment qu’elle n’a rien fait de plus que l’OTAN en 1999 au Kosovo, mais cette comparaison ne repose pas sur des bases sérieuses. Les actions de l’OTAN au Kosovo ont fait suite à une violation dramatique et systématique des droits de l’homme, culminant avec une épuration ethnique d’une ampleur jamais vue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. L’OTAN n’a agi qu’après des débats intensifs au Conseil de sécurité de l’ONU et des efforts déterminés en vue de négociations de paix. Des envoyés spéciaux se sont rendus sur place pour prévenir Milosevic en personne, à l’époque président de Yougoslavie, des conséquences de ses actes. La Russie ne pourrait justifier de la sorte son recours à la force en Géorgie. De même, la décision de reconnaître l’indépendance du Kosovo n’a été prise qu’après que la Russie a indiqué clairement qu’elle opposerait son veto au marché proposé par Martii Ahtisaari, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU et ancien président finlandais. Même à ce moment-là, nous nous sommes mis d’accord sur un délai supplémentaire de quatre mois de négociations Union européenne/États-Unis/Russie pour s’assurer qu’aucun détail ne serait laissé au hasard dans la quête d’un compromis acceptable par toutes les parties. En revanche, alors qu’elle soutenait l’intégrité territoriale de la Géorgie, en l’espace de trois semaines, la Russie a voulu écraser sa voisine en s’appuyant totalement sur ses forces militaires. La Russie doit maintenant s’interroger sur le rapport entre les victoires militaires à court terme et la prospérité économique à long terme. Le conflit en Géorgie a été suivi d’un net affaiblissement de la confiance des investisseurs. Les réserves de change russe ont baissé de 16 milliards de dollars en une semaine et la valeur de Gazprom du même montant en un jour. Les primes de risque russes sont montées en flèche. L’isolement de la Russie serait contre-productif puisque l’intégration économique internationale de ce pays est la meilleure discipline pour sa politique. De plus, cette mise à l’écart ne ferait qu’exacerber le sentiment d’être victime, qui attise le nationalisme russe et risque de nuire aux intérêts mondiaux de résoudre les problèmes de prolifération nucléaire, de réchauffement climatique et d’instabilité en Afghanistan. La communauté internationale n’est pas impuissante pour autant. Les Européens ont besoin du gaz russe, de son côté, Gazprom a besoin des marchés et investissements européens. Nous devons fonder notre voie d’approche sur un engagement pragmatique. Cela signifie qu’il faudra soutenir les alliés, rééquilibrer les relations énergétiques avec la Russie, défendre les règles des institutions internationales et renouveler les efforts pour mettre un terme aux « conflits irrésolus », non seulement en Ossétie du Sud et en Abkhazie, mais aussi en Transdniestrie et au Nagorny-Karabakh. Chacun de ces conflits trouve son origine dans des tensions ethniques anciennes, exacerbées par le sous-développement économique et politique. En l’occurrence, l’Ukraine, avec ses huit millions de russophones – pour la plupart en Crimée – a un rôle essentiel à jouer. Ses liens étroits avec la Russie sont dans le plus grand intérêt des deux pays. Mais l’Ukraine est aussi un pays européen, ce qui lui donne le droit de se porter candidate à l’Union européenne – aspiration dont ont fait part ses dirigeants. La perspective d’adhésion et l’adhésion même à l’UE ont été un moteur de stabilité, de prospérité et de démocratie dans toute l’Europe de l’Est. Dès que l’Ukraine aura rempli les critères européens, elle devrait être acceptée comme membre à part entière. Les relations de l’Ukraine avec l’OTAN ne sont pas non plus une menace pour la Russie. Le renforcement des institutions démocratiques et l’indépendance qui en résulteront profiteront à la Russie à long terme. L’Europe doit équilibrer ses relations énergétiques avec la Russie en investissant dans le stockage du gaz pour surmonter les problèmes d’interruption de l’approvisionnement, en diversifiant ses sources et en assurant le bon fonctionnement des marchés intérieurs grâce à davantage de raccordements entre les pays. Nous devons également réduire notre dépendance au gaz en renforçant l’efficacité énergétique et en investissant dans les technologies de capture et de stockage du carbone, dans les énergies renouvelables et la puissance nucléaire. Dans toutes les institutions internationales, nous devons revoir nos relations avec la Russie. Nous n’avons pas à nous excuser d’avoir rejeté les appels inconsidérés d’exclusion de la Russie du G8 ou d’interruption des relations UE/Russie ou OTAN/Russie. Examinons plutôt la nature, la profondeur et l’ampleur des relations avec la Russie et tenons nos engagements envers les membres actuels de l’OTAN tout en réaffirmant notre détermination pour que la Russie n’oppose pas son veto à son orientation future. Aujourd’hui, le choix est limpide. Personne ne veut d’une nouvelle guerre froide, mais soyons clairs au sujet des fondements d’une paix durable. * David Miliband est ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne. © Project Syndicate, 2008. Traduit de l’anglais par Magali Adams.
Par David MILIBAND*

Depuis la chute de l’Union soviétique, il semblerait que les nouvelles règles soient fixées pour la conduite des relations internationales en Europe centrale et orientale et en Asie centrale. Les maîtres mots sont : indépendance et interdépendance, souveraineté et responsabilité mutuelle, coopération et intérêts communs. Ce sont ces principes qu’il...