PORTRAIT - Ses toiles sont exposées d’Erevan à Beyrouth, en passant par Dubaï Le lyrisme échevelé de Vahan

Un monde abstrait habité d’un chaos vertigineux avec pour seul chantre l’ivresse des couleurs. Pour Vahan, né à Erevan en 1963, la peinture ne connaît pas les limites d’une toile… Peindre, pour cet artiste à la barbe de pope, au regard d’aigle, travaillant pieds nus et vêtu d’une longue tunique tâchée de couleurs, est surtout un geste vif, incontrôlable, mécanique, débordant. Un geste ample où le pinceau, déchaîné comme un prisonnier qui s’élance vers la lumière, éclabousse l’espace en un vertigineux vol plané, indompté et rebelle à toute contrainte. Un vol irréversiblement épris d’espace et de liberté… D’Erevan à Beyrouth, en passant par Las Vegas et Dubaï où il expose ses toiles, Vahan brandit un pinceau dégoulinant de peinture comme une arme blanche, comme un drapeau, comme un salvateur signe de vie… Délire grandiloquent des mouvements pour traduire l’insaisissable de l’être et ses aspirations les plus profondes, voilà la grande cavalcade du dire pictural de Vahan. Monde retentissant de vibrations colorées et incendiaires où les formes, agressives ou tendres (bien rarement), éclatent avec force, violence, presque colère. Un monde qui ramène aux bouillonnements et effervescences des années 1970 où peindre, éclatement total et choc de toutes les cultures, était surtout une quête pour une expression inédite tout en gardant tous les attributs d’une esthétique qui ne s’embarrasse guère d’artifices ou des limites étroites des conventions et de la bienséance… Aujourd’hui, Vahan, peintre au talent confirmé, donne à voir ses plus récentes créations. Des toiles immenses qui exigent de l’espace, de la hauteur, du volume, de la lumière, une vue sur la mer… De Beyrouth (Galerie Noah Ark) à Dubaï (très prochainement à la Galerie Four Walls), en passant par Las Vegas (il sera en septembre à Mandalabay Convention Center), ces œuvres, d’une facture détonante, ont choisi des rives ensoleillées à horizons ouverts, car cette furieuse et fantasque chevauchée fantastique ne peut avoir de bride au cou… L’esprit de Mathieu… Un parcours riche et aux rebondissements multiples jalonne la carrière de cet artiste voué à la cause d’une écriture à déchiffrer, à réinterpréter, à décrypter…Une écriture à la lecture multiple où histoire, drames, sensualité, retenue, silence et autres gesticulations du corps et de l’esprit ont une approche vive, violente, particulière. Entre carrés ou rectangles qui s’entrechoquent, tuyauteries aux cheminements déroutants et calligraphie qui s’effiloche en signes hermétiques ou cabalistiques, la peinture de Vahan est une invitation à la méditation d’horizons lointains, à la fois présent strident et tourmenté et futur inconnu et sécurisant… Des prix, de très nombreuses expositions de par le monde (Las Vegas, Moscou, Paris, Barcelone, Bochum, Beyrouth), une formation académique de haut vol couronnée par des études d’art contemporain en Angleterre et en France, mais peindre pour Vahan, littéralement hanté par un esprit créatif boulimique, reste une autre affaire… Celle de jeter un cri, proférer une parole, dénoncer avec une élégance rageuse, accorder une vitale caresse à travers des abstractions aux phosphorescences multiples comme pour retrouver le «?ventre mou?» du centre de la terre, origine de toute vie… Fébrile, emporté, fiévreusement inspiré, presque en transe, ce peintre au pinceau exubérant et d’une décapante énergie a surtout la passion des lignes qui s’imbriquent tel un inextricable écheveau aux filaments noueux, du mouvement tourbillonnant tel un redoutable cyclone et des couleurs tranchantes, aux contrastes tout en sourde harmonie dissonante. Des couleurs flamboyantes, brûlantes comme une lave de volcan, des couleurs aux associations improbables et d’un exotisme altier et raffiné. Univers pictural à la cacophonie somptueuse, paradoxalement éruptive et ordonnée, retentissant de coulées intenses et drues où l’espace de la toile, écran secret et terrain de tous les combats de l’être, est visité avec un déchaînement voluptueux par l’esprit et la fulgurance de Mathieu. Un méga-espace aux sortilèges venus d’ailleurs et dont le lyrisme échevelé ne laisse guère indifférent… Edgar DAVIDIAN