Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

LE POINT En chute libre Christian MERVILLE

Mieux vaut une retraite qu’une défaite. Le brillant stratège que fut, en d’autres temps, Pervez Musharraf ne pouvait ignorer l’axiome militaire. Il a choisi de quitter une scène qu’il aura occupée neuf années durant, après en avoir chassé Nawaz Sharif, le Premier ministre de l’époque, devenu hier son tombeur, grâce au précieux concours d’Asif Ali Zardari, lequel a su jouer avec brio sur l’émotion populaire née de la tragique disparition de son épouse, Benazir Bhutto. Deux politiciens unis dans leur haine de l’ennemi : c’en était trop pour leur victime désignée, donnée par ses proches comme fantasque et volontiers décrocheur plutôt qu’accrocheur. Cette fois pourtant, et jusqu’au dernier moment, le chef de l’État avait affiché sa détermination à se battre contre ses détracteurs. Soutenu par la Pakistan Muslim League-Q (51 sièges sur les 341 de l’Assemblée nationale mais seulement une poignée de 20 inconditionnels), il se faisait fort de répondre aux accusations dont il faisait l’objet « dans un esprit démocratique et conformément à la Constitution », soulignait-il dans un communiqué relayé vendredi dernier par son fidèle lieutenant Chaudry Shujaat, dans le même temps qu’il mettait la majorité au défi de passer à l’action. Dimanche, son porte-parole Rashid Qureshi martelait à l’adresse des journalistes qui le harcelaient de questions : « Comprenez bien qu’il ne démissionnera pas. Point à la ligne. » Vingt-quatre heures plus tard, c’est un président aux abois qui apparaît sur les écrans de la télévision, mine sombre et lèvres serrées, pour annoncer sa démission « afin d’éviter à la nation les risques inhérents à une procédure de destitution », mais convaincu d’« avoir tout fait pour le bien de mon peuple et de ma patrie ». Suit, près de cinquante minutes durant, un vibrant plaidoyer en faveur de son action depuis 1999, conclu par un appel à ses concitoyens, invités à lui pardonner ses erreurs. Il y a un mois, ce même peuple était dans son immense majorité (83 pour cent) favorable à sa démission, alors que commençait à se mettre en place le dispositif censé mener à son « impeachment » pour violation de la Loi fondamentale, une procédure pouvant conduire à une accusation de haute trahison, passible de la peine capitale. Ce qu’on lui reproche ? « Une pléthore d’actions en violation flagrante de la Constitution », affirme-t-on dans les rangs de la majorité, et notamment la proclamation l’an dernier de l’état d’urgence provisoire en vertu duquel il a été possible de renvoyer à leurs études des dizaines de magistrats. Officieuse, la sentence est tombée, en fin de semaine, comme un couperet, de la bouche de Raza Rabbani, influent sénateur du courant de la coalition au pouvoir : « Musharraf doit démissionner, faire ses valises et s’en aller. » Un jugement impliquant la garantie qu’il ne lui sera fait aucun mal, lui qui négociait une retraite « dans la dignité ». Car pendant que tout le monde s’agitait sur la scène, dans les coulisses les tractations se poursuivaient, avec la participation (très) active de l’ambassadrice US, Anne Patterson, et d’un diplomate britannique de haut rang, Mark Lyall Grant. On découvrait ainsi que tant Washington que Londres ne faisaient plus mystère de leur lâchage de celui qui, il y a peu, passait encore pour leur homme-lige. L’an dernier, deux ultimes manœuvres avaient été tentées pour sauver ce qui pouvait encore l’être. En novembre, le chef de l’État, qui commande également les armées, démissionnait de ce dernier poste, qu’il confiait au général Ashfaq Parvaz Kayani. Celui-ci s’engageait aussitôt, dans un geste d’apaisement, à maintenir la troupe éloignée de la politique, une promesse qu’il a su tenir. Auparavant, George W. Bush et Tony Blair obtenaient le retour d’exil de la fille de Zulficar Ali Bhutto, un geste destiné à donner un vernis de démocratie à un pouvoir à bout de souffle mais auquel il paraissait impossible de trouver un substitut. Las ! La belle Benazir était victime, en décembre, d’un attentat dont on vient de voir l’une des conséquences – probablement pas la dernière. Depuis l’échec de ces deux tentatives anglo-américaines, il était devenu évident que le fringant maréchal avait fait son temps et que l’heure n’était plus au double dialogue (et donc double langage…) avec la présidence de la République et avec le gouvernement de coalition. D’autant plus que son soutien à la lutte contre le terrorisme demeurait d’un effet plus que douteux sur le terrain avec le regain d’activité constaté dans les zones tribales proches de l’Afghanistan. En outre, la débâcle économique frappait aux portes, aggravée par une crise mondiale et une hausse vertigineuse des prix des produits alimentaires de base. Enfin, l’un après l’autre, les soutiens du régime se sont mis à lui faire défaut, à l’instar d’Aftab Ahmed Sherpao, un ancien ministre de l’Intérieur qui représente la circonscription de la North-West Frontier, limitrophe du territoire contrôlé par les taliban. Exit Musharraf, donc. Mais les problèmes, eux, demeurent, dont la solution ne sera pas facilitée par la solide inimitié entre Sharif et Zardari. C’est dire si, pour longtemps encore, le Pakistan est condamné à payer le prix de la décolonisation bâclée du « Raj » britannique.
Mieux vaut une retraite qu’une défaite. Le brillant stratège que fut, en d’autres temps, Pervez Musharraf ne pouvait ignorer l’axiome militaire. Il a choisi de quitter une scène qu’il aura occupée neuf années durant, après en avoir chassé Nawaz Sharif, le Premier ministre de l’époque, devenu hier son tombeur, grâce au précieux concours d’Asif Ali Zardari, lequel a su jouer...