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Actualités - OPINION

LE POINT N° 50 000 Christian MERVILLE

Éclipsée, la guerre qui n’ose pas dire son nom, quelque part dans le Caucase. Oubliées les sempiternelles et combien stériles retrouvailles entre le falot Abbas et l’indigne Olmert ; reléguée dans les pages intérieures des journaux une actualité déjà ancienne, à peine née. Hier, dans la localité de Ramallah, éphémère capitale de rechange que l’on s’était pris à ne plus regarder sur la carte, un homme était mis en terre, appelé à porter pour l’éternité ses ailes de géant. Lui le poète, il avait droit à une garde d’honneur qui a présenté les armes devant son cercueil enveloppé du drapeau vert-rouge-noir et porté par huit officiers. Oui, huit, le chiffre de ses enfants… Rappelez-vous Carte d’identité, c’était en 1964, devenu un hymne que le monde arabe entonne encore : « Inscris, je suis arabe, le numéro de ma pièce d’identité est 50 000, mes enfants sont au nombre de huit et le neuvième naîtra après l’été… » Mahmoud Darwiche n’a pas attendu cette naissance. Il s’en est allé, l’homme-matricule sans lieu de naissance, depuis que son village au doux nom d’el-Birweh, a été rayé de la carte de la Palestine par les canons des modernes Panzer puis, parce qu’il y a des souvenirs qu’il faut tuer deux fois plutôt qu’une, incendié par les hordes de la Haganah. Le poète de la résistance, avant que celle-ci ne prenne nom puis devienne intifada, a connu l’insigne honneur de voir les schupos israéliens encercler chaque localité où il devait réciter ses poèmes avant d’être assigné à résidence toute la soirée et la nuit durant, jusqu’à l’aube, pour l’empêcher de dire sa révolte, celle de son peuple. « Cette mer est mienne, tout comme sont miens cet air, ce trottoir et ce qu’il porte, et cette ancienne station d’autobus. » Privé de mémoire, il dut s’inventer des souvenirs et aussi un nom en forme d’acrostiche, pour finir par reconnaître : « Ils me préfèrent mort pour dire ensuite : il fut des nôtres et il fut nôtre . » À quel point ? Eh bien, chacun de ses recueils s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, dans un monde arabe où l’on ne lit plus que les hauts faits des chanteuses à la petite semaine. Mais aussi, combien il était difficile d’échapper aux mots envahissants de ce frêle personnage. « Aujourd’hui, je me présente à vous tenant d’une main un rameau d’olivier et brandissant de l’autre le fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas la branche d’olivier échapper à mes doigts. » C’est par cette phrase que s’ouvrait le discours de Yasser Aravat devant l’Assemblée générale des Nations unies, en 1974. Elle était de Darwiche, tout comme était de lui la déclaration d’indépendance de 1988, lorsque le même Abou Ammar proclama unilatéralement – pénultième pied de nez à la face de l’Israélien – la création de l’État palestinien. Presque au même moment, un de ses poèmes était cité par Yitzhak Shamir à la tribune de la Knesset comme modèle du refus des Palestiniens de coexister avec les Israéliens. Douze ans plus tard, Yossi Sarid, alors ministre de l’Éducation, voulut inscrire certains passages de Passagers, en des mots éphémères au programme des écoles du pays. Réponse sèche du Premier ministre Ehud Barak : « Israël n’est pas encore prêt. » Il aurait pu ajouter qu’il ne le sera jamais, tant que les héritiers de l’ultrasioniste Ze’ev Jabotinski sont là, qui veillent au grain, soutenus par leur protecteur américain. Il faut le regretter pour ceux d’entre leurs partisans qui n’auront pas la révélation des écrits d’Edward Saïd, Ghassan Kanafani, Kamal Nasser et de tous ces soldats de la plume qui ont si bien su rétablir, des siècles après la gloire des ères abbasside et omeyyade, la primauté du verbe. Et qui retrouvaient toute leur force, modernes Antée, à chaque fois qu’ils touchaient le sol libanais. Témoignage de Ziad Abdel Fattah, membre du comité exécutif de l’OLP : « Au plus fort d’un débat particulièrement animé du Conseil national (Parlement), Mahmoud Darwiche entreprit de déclamer des passages de son Hommage à la sublime ombre, que l’assistance, oubliant ses vaines querelles, écouta dans un silence quasi religieux. » En mai dernier, il était à Ramallah pour une soirée poétique mémorable, couronnée par l’inauguration d’une place Mahmoud Darwiche, avec flonflons et discours de circonstance. Commentaire de l’intéressé : « Ma place n’est pas ici, car les morts n’assistent pas à leur oraison funèbre. » Il y a deux semaines, il avait pris soin de faire ses adieux à ses amis avant de se rendre au Texas « pour y affronter la mort, une fois de plus », leur avait-il répété. Puis, sur son lit d’hôpital à Houston, aux médecins qui s’apprêtaient à l’opérer : « Ne me ressuscitez pas si l’intervention chirurgicale échoue. » Mahmoud, même pour un miracle, on ne va pas déranger les saints. Parce que, mais cela tu le sais, les poètes ne meurent pas ; simplement, ils restent sur leur Olympe. Parés de leur auréole.
Éclipsée, la guerre qui n’ose pas dire son nom, quelque part dans le Caucase. Oubliées les sempiternelles et combien stériles retrouvailles entre le falot Abbas et l’indigne Olmert ; reléguée dans les pages intérieures des journaux une actualité déjà ancienne, à peine née. Hier, dans la localité de Ramallah, éphémère capitale de rechange que l’on s’était pris...