Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

PORTRAIT - Pair des géants de la littérature russe Alexandre Soljenitsyne, ou le droit d’écrire en toute liberté…

Un des géants de la littérature russe vient de s’éteindre en ce début du mois d’août 2008. Il exprimait le désir de mourir en été. C’est chose faite, comme une grâce et une bénédiction de Dieu pour ce romancier de quatre-vingt-neuf ans, toujours la plume à la main, aux écoutes et en alerte aux malheurs de la planète… Un romancier prolifique dont l’œuvre, acte de courage et volonté de briser les silences les plus terrifiants, est avant tout un vibrant témoignage contre les dérives du pouvoir et les machiavéliques machinations de toute dictature totalitaire. Une vie entière, mouvementée par des tribulations d’expulsion, d’exil et d’émigration forcée, guettée par les dangers les plus divers et les plus fous, empoisonnée par les vexations et les excès d’autorité étatique, est mise au service de l’écriture. L’écriture comme champ d’action, de dénonciation, de libération, de témoignage. À peine l’imagination, inspirée des faits de la vie quotidienne, effleure-t-elle ces pages teintées d’un réalisme implacable. Réalisme pointu, où l’imprévisible tracé de la vie dépasse les cruautés les plus raffinées, les plus impensables… Une vie entièrement vouée à un émouvant et dur combat, celui de l’abolition de la censure et la restauration de la dignité humaine. On l’aura bien deviné, il s’agit d’Alexandre Soljenitsyne. Soljenitsyne dont l’œuvre monumentale, qui n’a plus besoin d’aucun sésame pour être lue ni aucun permis pour être éditée ou publiée, est aujourd’hui respectueusement célébrée partout au monde. Bien plus que le prix Nobel de littérature, obtenu à grand fracas avec une adroite surmédiatisation en 1970. Prix qu’il ne pouvait d’ailleurs même pas recevoir convenablement en ce temps-là à cause de ses démêlés avec les services de la sûreté et l’Union des écrivains (bien désunie, il faut en convenir) du pays où ni Dostoïevski ni Tolstoï n’ont gardé le silence sur les drames des moujiks et des « zeks » (bagnards), encore non rassemblés dans d’innommables camps de concentration… Plus de quarante volumes, où des milliers de pages font vivre de gigantesques fresques politico-sociales, révélant les falsifications de l’histoire, précèdent le nom de Soljenitsyne. Un nom qui se range actuellement aux côtés des légendaires colosses russes de la littérature de tous les temps. Homme de science et virulent littérateur Né en 1918, Soljenitsyne est d’abord un homme de science car ses goûts et sa formation le portent à la physique et aux mathématiques. Ce n’est que bien plus tard, c’est-à-dire après ses diplômes officiels, qu’il se penchera sur la doctrine communiste et abordera, par correspondance, l’étude de la littérature… Esprit vif, critique et acerbe, ses lettres sont vite surveillées et en 1945, à cause d’une missive critiquant Staline, il est arrêté et déporté au goulag… Commence alors l’intolérable calvaire d’un parcours, où vivre pour dénoncer devient urgence et obligation. Le droit d’écrire, en toute liberté, s’impose alors comme un besoin impérieux, une survie, une nécessité, une question de vie et de mort.  « Le sot aime faire la leçon, le malin préfère la recevoir. » Voilà une des citations les moins cinglantes de l’auteur de La roue rouge. Citation qui en dit long sur ses leçons de vie dans les régimes totalitaires… À peine son incarcération terminée, il s’attelle à l’écriture de son expérience malheureuse et, en 1962, paraît Une journée d’Ivan Denissovitch, un récit poignant sur la maison des morts, décrivant avec une minutie hallucinante une bonne part des horreurs des camps de travail concentrationnaires. Succès immédiat et foudroyant. Les consciences sont réveillées, cravachées, ébranlées. Le monde est au chevet de ces condamnés laissés-pour-compte, nouveaux damnés da la terre… Dès lors, dans ses innombrables livres, Soljenitsyne, barbe de pope, front dégarni, regard intense, habits austères, véritable patriarche de la littérature russe contemporaine (dans le ballottement de ses errances allant de ses demeures d’exil au Vermont aux États-Unis ou en Suisse, ou encore la traque jusqu’en sa résidence dans les faubourgs de Moscou), mêle bourreaux et victimes, humbles et arrogants, paysans et intellectuels, et même brosse le portrait pathétique des bagnards savants (Le Pavillon des cancéreux)… Rescapé du cancer et des camps de concentration, cet écrivain, chantre des destins broyés, est dans la lignée des créations torrentielles au souffle et au débit hugoliens, dickensiens, dostoïevskiens... À part son essence et son entité russe, il appartient désormais à la littérature universelle. Des milliers de pages, étourdissantes d’une vérité crue et écœurante, soigneusement mise sous le boisseau, divulguent la part d’ombre d’un régime sanguinaire et tortionnaire. Et dire que l’histoire pouvait donner des leçons de tolérance, d’adoucissement, de fléchissement dans les comportements de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir… Des pages qui mettent en lumière la noirceur du cœur humain et l’esclavage des temps modernes. Des pages, reflet des vies bâillonnées, qui font fi de la plus haute et vigilante des surveillances, car Soljenitsyne n’est pas homme à se laisser faire…Sa littérature, mailles et armures résistantes à tout dessèchement de cœur et d’humanité, est loin de se laisser en conter… Une des phrases les plus simples de Soljenitsyne qui ne s’était jamais embarrassé d’une écriture sophistiquée et alambiquée, phrase qui semble aussi avoir été sa formule magique personnelle : «  Un homme est heureux tant qu’il décide de l’être, et nul ne peut l’en empêcher. » Par-delà tout rideau de fer, pour ce fervent et croyant orthodoxe qui repose aujourd’hui dans sa tombe, la frivolité, la vanité et la cruauté de ce monde changeront-elles de visage devant les barbaries qui marquent nos mémoires ? Un mot pour changer le cours des choses…Mais que dire alors quand ce sont de tumultueux fleuves de mots qui irriguent et inondent les consciences réfractaires aux cris des autres ? Soljenitsyne, aujourd’hui loin des conflits des hommes, a laissé, par sa littérature salutaire et salvatrice, une grande place pour se détourner de la folie et retrouver le sens de l’équité et de la paix. Edgar DAVIDIAN
Un des géants de la littérature russe vient de s’éteindre en ce début du mois d’août 2008. Il exprimait le désir de mourir en été. C’est chose faite, comme une grâce et une bénédiction de Dieu pour ce romancier de quatre-vingt-neuf ans, toujours la plume à la main, aux écoutes et en alerte aux malheurs de la planète… Un romancier prolifique dont l’œuvre, acte...