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Actualités - CHRONOLOGIE

Jeu stratégique de l’urbain et de la mémoire pour réinventer un lieu chargé de symboles, par le sociologue Guillaume Éthier « Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth »

En 2004, la société foncière Solidere lance un concours international d’architecture visant à donner à la place des Martyrs et à son grand axe un nouveau design et une nouvelle identité. Parmi les 122 projets présentés, trois projets ont été sélectionnés : La firme grecque « ia+s » a été désignée gagnante du concours. Le deuxième prix a été attribué à l’équipe Nabil Gholam - Vincent Van Duysen - Vladimir Djurovic, et le troisième prix a été décerné à Hashim Sarkis, Mark Dweyer, Evy Papas et Pars Kibarer. Dans « Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth », paru dans la collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, éditions Multimondes, le sociologue canadien Guillaume Éthier analyse les différentes propositions architecturales et urbanistiques avancées par les trois équipes primées pour réinventer ce lieu surchargé de symboles. Par sa situation exceptionnelle au centre-ville et par son rôle historique de haut lieu de la sociabilité, la reconstruction de la place des Martyrs a donné libre cours à des interprétations diverses exposées dans Patrimoine et guerre : reconstruire la place des Martyrs à Beyrouth. Préfacé par Lilianne Buccianti-Barakat, professeur au département de géographie de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, l’ouvrage s’appuie sur une riche bibliographie dont des monographies et des articles de Paul Achkar, Ziad Akl, Gilbert Adair, Rémy Allain, Fouad Awada, Nabil Beyhum, Georges Corm, Fadllah Dagher, Samir Kassir, Samir Khalaf, Élias Khoury, René Naba, Simon Moussalli, Assem Salam, May et Michael Davie, Farès Sassine Grégoire Sérof, Jade Tabet, Fawaz Traboulsi et Ghassan Tuéni. Sur 132 pages illustrées de plans d’architectes et de photographies du centre-ville saisies par Anne-Lise Karam ou encore empruntées aux archives de L’Orient-Le Jour, Guillaume Éthier se penche sur l’« histoire bigarrée » de la ville, sa place publique et son devenir. Il analyse les différentes conceptions architecturales et les modalités de recomposition et de décomposition de l’espace public, qui révèlent d’un même désir : passer outre la question de la guerre civile. « Des gestes forts qui naissent du fantasme d’inaugurer un monde nouveau, d’instaurer une dynamique urbaine différente. » Pourtant, il semble à l’auteur que « les particules de mémoire soient encore en suspens au-dessus de Beyrouth, en particulier au-dessus de la place des Martyrs. Les conceptions des architectes sont, dans ce contexte, autant de réceptacles différents dans lesquels la mémoire va venir se déposer. Le rôle de l’architecture se clarifie dans ce contexte : elle est la mise en forme idéelle du monde et, dans le cas qui nous occupe, elle canalise l’énergie de la mémoire et de la rencontre d’une telle façon qu’elle contribue à façonner cet idéal », écrit Éthier. Il souligne qu’« il en va ainsi pour tous les défis de l’architecture contemporaine liés à un traumatisme collectif à une époque où le rapport au monde n’est plus médiatisé par des grands discours mais par le concours des interprétations qu’en font les créateurs ». Guillaume Éthier expose les discours des trois équipes d’architectes sur l’urbanité et leur point de vue sociologique et met en exergue leur « timidité » à aborder la question mémorielle d’un lieu porteur d’images d’une société entière aux prises avec un passé problématique et un présent incertain. « Leur devoir consistait à créer des lieux de mémoire, ce qu’ils ont fait, mais ils n’ont laissé que peu de place à la subversion, n’ont pas mis en place les horreurs de la guerre, n’ont pas exposé l’état de ruine qui en a résulté. » Empruntant à Freud le terme de « perlaboration », l’auteur ajoute que celle-ci est un processus qui s’inscrit dans le temps long, qui est ardu et qui, de plus, ne se commande pas vraiment. « Va-t-on laisser aux prochaines générations de Libanais le soin de régler les questions mémorielles qui ont été balayées de la main aujourd’hui ? Et, d’abord, pourquoi avoir évité ces embûches ? Peut-être était-il encore trop tôt pour le faire, ou peut-être s’agit-il d’un trait distinctement libanais qui consisterait à oublier rapidement le passé, comme le veut la légende du Phénix qui renaît de ses cendres ? Peut-être, enfin, s’agit-il d’une conséquence de la privatisation du centre-ville qui en a fait un lieu incapable de poser la question mémorielle de manière critique et d’en gérer les effets “improductifs” ? Le temps dira s’il aurait pu en être autrement (...). »
En 2004, la société foncière Solidere lance un concours international d’architecture visant à donner à la place des Martyrs et à son grand axe un nouveau design et une nouvelle identité. Parmi les 122 projets présentés, trois projets ont été sélectionnés : La firme grecque « ia+s » a été désignée gagnante du concours. Le deuxième prix a été attribué à...