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Actualités - OPINION

Faut-il sauver la Résistance?? I – De Allaqa au Hezbollah

Longtemps, depuis que j’ai quitté l’école, un petit paragraphe dans un coin du livre d’histoire m’a toujours hanté?: la révolution, la gloire et la défaite du prince Allaqa. À la fin du premier millénaire de notre ère, Allaqa, un miséreux marin de Sidon partit vers Tyr, y conduisit une rébellion contre les Fatimides au faîte de leur puissance, se grisa à l’élixir de l’indépendance, frappa monnaie à son nom et, avec l’aide des Byzantins, tint tête aux Fatimides avant d’être défait et de mourir écorché aux portes de la ville qui l’avait accueilli. Que de princes, depuis ce héros de la Résistance libanaise tombé dans l’oubli, se sont élevés contre les hégémonies étrangères qui voulaient mettre la main sur le Liban. Autant de rêves d’indépendance et de dignité brisés par les dissensions internes et par une région qui n’a exporté vers notre pays que ses persécutés et qui déteste plus que tout la liberté, la tolérance et la différence. La foi déplace les montagnes, mais devant tant d’échecs désespérants on peut à juste titre douter que la foi, même parée des couleurs de toutes les confessions du peuple d’un Liban martyrisé, suffira à éloigner après un nouveau cycle de violences et d’oppression, qui fête son sinistre cinquantenaire, les orages qui s’annoncent et à lui épargner les épreuves à venir. Car sur un fond de turbulences régionales, rien ne semble pouvoir faire bouger d’un pouce, vers une solution de concorde et de paix nationale durables, des politiciens libanais sclérosés par leur paranoïa, noyés dans leurs petits calculs et leurs intérêts personnels et retranchés derrière leurs petites disputes maquillées en grandes causes nationales. Rien qui leur fasse réaliser que le salut du Liban est dans leur victoire collective sur leurs haines, leurs peurs, leurs envies et leurs jalousies. Comme dans Si, le poème de Rudyard Kipling, désespérant par les épreuves qu’il énumère et censé chanter les vertus du courage, de la ténacité et de l’optimisme, nous raidissons encore une fois l’échine et serrons les dents en gardant un sourire crispé et en attendant le prochain coup. La panique nous a saisis après les embrasements de mai que même le scénario de Doha jusqu’à la composition à la Frankenstein d’un gouvernement à usage unique, qui ne demande qu’à s’effriter à la première secousse, n’ont pu contrôler. Tous les incidents l’ont confirmé depuis, qui ne font que se répéter en changeant simplement de lieux et de victimes. Des escarmouches et des disputes, qui font couler juste assez de sang pour que l’inflammation des plaies nationales ne s’apaise pas, tout en lui évitant de dégénérer pour autant en guerre civile franche et déclarée. Une guerre qui, si elle se déclenchait, à Dieu ne plaise, désagrégerait le dernier semblant d’autorité que des «?leaders?» gardent encore sur leurs rues respectives?; et ouvrirait grande, en déchaînant les frustrations, les passions dues aux profonds clivages sociaux et économiques, la boîte de Pandore des grandes valses sanglantes, aux contours flous et à la composition incertaine, comme on en a vécu pour notre grand malheur durant les quinze premières années de la guerre de trente-trois ans qui ne semble pas avoir encore dit son dernier mot. Devant cet état de pourrissement avancé, et face à la réduction du champ de la vision nationale à quelques jours, voire quelques heures, comme on l’a constaté à diverses reprises récemment, on se demande vraiment à quoi et à qui nous fier pour nous sortir des sables mouvants dans lesquels nous nous enfonçons. Une myopie béate qui n’est pas sans rappeler celle observée dans la longue file d’attente des bovins dociles acheminés vers l’abattoir. Comment en effet qualifier autrement l’attente qui paralyse dans un mesmérisme inqualifiable, une nation dynamique et pionnière?? Comment expliquer qu’un peuple aussi actif et prévoyant que le peuple libanais ne puisse voir dans la première visite qu’a effectuée à Paris son président qu’une simple date butoir pour la formation d’un gouvernement?? Ou dans la visite annoncée de Damas, une autre date butoir pour la déclaration tant attendue de la politique de ce gouvernement. Pour y revenir, nous nous posons surtout très légitimement la question de savoir quel prix il nous faudra payer aux dealers qui nous traitent, pour la dose massive d’optimisme qu’on nous injecta à Qatar, comme la drogue dans les veines délabrées d’un drogué après un long sevrage. Preuves que c’était un bonheur factice?: les fortes turbulences que, depuis, nos chers politiciens font cyniquement traverser au pays. Des incidents qui, après le compromis boiteux de Doha, ne sont finalement que de la poudre aux yeux. Car comment faire autrement pour faire passer l’amère pilule de la vanité de leurs sacrifices à tous ceux qui ont eu à déplorer des pertes humaines ou matérielles?? En effet, quelles sont les vraies contreparties des grands spectacles auxquels on a assisté récemment?? Une élection présidentielle à candidat unique (nonobstant le plus profond respect pour le président Sleiman), une visite d’État en très grandes pompes du corps politique français au grand complet, un nouveau gouvernement où en dépit du bon sens, de la bonne gouvernance et de la notion de responsabilité, on regroupe toutes les familles et les clans de notre Cosa Nostra nationale autour du gâteau du pouvoir?; ou pour terminer, sur un fond de rapprochement entre Paris et Damas, la visite récente à Baabda d’un haut responsable syrien venu inviter le chef de l’Éxécutif à se rendre en Syrie – avec à la clé la réalisation de tous les rêves de voir notre pays reconnu, ses frontières bien tracées et respectées et les accords bilatéraux iniques, finalement corrigés. Et qui sait, si par une générosité inusitée, on nous rendait aussi compte de tous les Libanais qui y ont été injustement séquestrés depuis 1976. Pour mémoire, des leaders issus de la même souche politicienne étaient déjà allés en 1990 à Taëf pour un séjour de réconciliation, qui paraît-il, était bien arrosé de pétrodollars. À leur retour et après des turbulences dévastatrices, ils avaient finalement et servilement applaudi la décapitation de la Résistance libanaise pour toucher les miettes de la mainmise syrienne sur le Liban, butin offert par Bush 1er à nos frères en arabité pour services rendus aux abords du Koweït. Quand les rescapés du Parlement millésime 1972, dont l’héroïsme se résuma souvent à se réunir sous les bombes pour rallonger leur mandat ou pour revoir leurs salaires à la hausse, eurent touché les dividendes de leurs sinistre commerce, le sang des Libanais, soldats ou civils massacrés par l’envahisseur ou sacrifiés par les luttes fratricides aussi criminelles qu’inutiles, était encore chaud?; mais leurs consciences et leurs mémoires étaient, elles, aussi lisses et froides que les pierres tombales souvent refusées à nos martyrs et à nos disparus. Aujourd’hui, c’est d’une autre Résistance, quoi qu’on puisse en penser, et quels que puissent être nos sentiments à son égard, qu’il est urgent de se débarrasser. Et il y a fort à parier qu’au regard de ce qui a précédé, qu’elle n’échappera pas à un triste sort. Et que le Liban, telle la chèvre de M. Seguin, devra encore une fois choisir entre garder la corde au cou ou noyer dans son sang innocent un instant fugace de liberté et de dignité. Car comme «?L’arrogance précède la ruine et l’esprit altier la chute?» (Proverbes 16, 18), le Hezbollah risque de tomber victime de ses rodomontades et de ses victoires plus ou moins divines?; il risque fort d’être sacrifié pour des raisons d’État régionales sur l’autel de l’union nationale libanaise. Union miraculeusement retrouvée dans les sables de Doha, les fastes parisiens de la nouvelle Union pour la Méditerranée, et bientôt sur le chemin de Damas – belle opportunité ou coïncidence par ailleurs, vu qu’on y célèbre le deuxième millénaire de la naissance de Paul, cofondateur avec Pierre de l’Église, et qui s’autoproclame par conséquent berceau de la chrétienté. Chrétienté qui fut longtemps perçue comme l’âme d’un Liban qui a depuis perdu la sienne. Wassim HENOUD
Longtemps, depuis que j’ai quitté l’école, un petit paragraphe dans un coin du livre d’histoire m’a toujours hanté?: la révolution, la gloire et la défaite du prince Allaqa.
À la fin du premier millénaire de notre ère, Allaqa, un miséreux marin de Sidon partit vers Tyr, y conduisit une rébellion contre les Fatimides au faîte de leur puissance, se grisa à...