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Actualités - REPORTAGES

Barnett Rubin, chercheur à la New York University, explique les dessous de la lutte contre la production d’opium L’expansion du narcotrafic en Afghanistan, source ou résultat de l’insécurité rampante ? Rania MASSOUD

L’insécurité et le narcotrafic en Afghanistan, premier producteur mondial d’opium, sont intimement liés. Alors que plusieurs responsables américains incitent les autorités afghanes à adopter des mesures drastiques pour lutter contre le commerce de la drogue, des experts mettent en garde contre le risque d’une éradication par la force des champs de pavot avant le rétablissement de la sécurité, notamment dans les zones de conflits, dans le sud du pays, où la production d’opium a atteint un niveau spectaculaire ces dernières années. Selon les chiffres de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la production d’opium en Afghanistan a plus que doublé pendant les quatre dernières années. Elle est passée de 6 100 tonnes en 2006 à 8 200 tonnes en 2007, soit 93 % de la production mondiale. Toujours selon l’ONUDC, les champs de pavot afghans représentent plus de terres cultivées pour la drogue qu’en Colombie, en Bolivie et au Pérou réunis. Les statistiques des Nations unies révèlent qu’au moins un Afghan sur sept est directement impliqué dans la production d’opium. Comment expliquer l’expansion record du commerce de la drogue en Afghanistan malgré la présence de 70 000 soldats de deux forces multinationales, l’une de l’OTAN et l’autre sous commandement américain ? Parmi les explications les plus avancées figure celle de la pauvreté qui pousserait nombre de cultivateurs à entretenir des champs de pavot afin de subvenir à leurs besoins. Toutefois, selon le dernier rapport de l’ONUDC, la culture du pavot a presque complètement disparu des provinces dites « pauvres », tout en continuant toutefois à se développer dans les provinces « riches », dans le sud de l’Afghanistan. Une autre explication serait la corruption au sein du gouvernement afghan qui mine la lutte contre le trafic de drogue. Thomas Schweich, ancien responsable américain chargé de la coordination de la lutte contre le trafic de drogue en Afghanistan, affirme avoir découvert à quel point le gouvernement du président Hamid Karzaï « est impliqué dans la protection du commerce de l’opium – en le protégeant des politiques (de lutte) conçues par les Américains ». Dans un article paru hier dans le New York Times Magazine, l’ancien diplomate américain écrit également que « la narcocorruption a atteint le sommet du gouvernement afghan », soulignant que les trafiquants achètent les faveurs de centaines de chefs de la police, magistrats et autres responsables. Thomas Schweich, qui a démissionné de son poste au département d’État il y a près d’un mois, juge néanmoins que le gouvernement afghan n’est pas le seul fautif dans l’expansion du trafic de drogue. Il reproche au Pentagone son refus d’envoyer des renforts et l’idée que l’éradication des champs de pavot doit attendre la fin de la guerre. Selon lui, « les combats ne cesseront probablement pas tant que les talibans peuvent se financer par la drogue ». Barnett R. Rubin, directeur des études au Centre de coopération internationale à la New York University, conteste cette idée. Pour lui, la principale raison qui explique la hausse de la production d’opium en Afghanistan est l’insécurité rampante dans le pays. « Ce sont les conflits militaires et politiques qui créent les conditions favorables à l’expansion du commerce de la drogue et non le contraire », assure l’un des plus importants experts sur l’Afghanistan. En effet, d’après l’ONUDC, plus de la moitié des cultivateurs en Afghanistan se sont tournés vers la production d’opium après 2001, c’est-à-dire au début de la guerre. Et 70 % des champs de pavot dans la province d’Helmand, l’une des plus dangereuses en Afghanistan, ont vu le jour pendant ces trois dernières années. « Gravement menacée par l’insurrection, la province d’Helmand est en passe de devenir la première source d’approvisionnement en drogue du monde ; les cultures illicites y sont plus importantes que dans tout le reste du pays, et même que dans des pays comme le Myanmar, voire la Colombie », a affirmé Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l’ONUDC dans son dernier rapport sur la drogue en Afghanistan. M. Rubin affirme à L’Orient-Le Jour que « la production d’opium en Afghanistan ne doit pas être considérée comme une affaire militaire car il n’existe pas de solutions militaires pour ce genre de problème ». Les États-Unis, explique-t-il, se sont engagés à combattre les talibans et non pas à rétablir la bonne gouvernance et l’État de droit, des facteurs nécessaires pour la lutte antidrogue en Afghanistan. L’expert américain affirme que l’éradication des champs de pavot par la force et avant le rétablissement de la sécurité peut sérieusement miner la lutte contre le narcotrafic. « L’éradication aura pour effet une augmentation spectaculaire du prix de l’opium et poussera la culture du pavot à migrer vers d’autres régions, indique-t-il. Entre 2000 et 2001, les talibans avaient interdit la production d’opium en Afghanistan et le prix du kilo est passé de 40-60 dollars américains à 400-600 dollars. » M. Rubin affirme par ailleurs qu’il faudra du temps pour que les cultivateurs de pavot bénéficient des cultures alternatives proposées et abandonnent la production illicite. « Rien ne sera résolu par la force, assure-t-il. Au contraire, plus l’éradication des champs de pavot se fait par la force, plus elle renforcera la résistance et affaiblira le gouvernement afghan. » Un sondage récent révèle que 71 % des Afghans son opposés à l’éradication des champs illicites par la force. Selon l’ONUDC, la résistance contre l’éradication a été beaucoup plus acharnée en 2007 qu’en 2006 et a fait 19 morts, dont 15 policiers et 4 cultivateurs, ainsi que 31 blessés. Selon l’expert, le problème n’est pas le cultivateur d’opium mais le trafiquant de drogue. « L’opium n’est pas une simple culture, c’est une industrie », poursuit-il. Une étude révèle par ailleurs que les profits générés par le narcotrafic en Afghanistan représentent près de la moitié du PIB afghan. Les États-Unis, notamment le Pentagone, contestent l’idée d’éradiquer les champs de pavot par la force sans le consentement du gouvernement afghan. Cependant, ces derniers jours, plusieurs responsables américains, dont le candidat démocrate à la Maison-Blanche Barack Obama, se sont dit favorables à l’envoi de renforts en Afghanistan pour combattre le terrorisme et le narcotrafic. « Les groupes terroristes sont dans un sanctuaire où le trafic de drogue leur permet de réunir de grosses sommes d’argent », avait déclaré Obama la semaine dernière à Kaboul. Barnett Rubin affirme de son côté que pour gagner la lutte contre le narcotrafic, tout comme la guerre contre le terrorisme, il faut « gagner le cœur et l’esprit » de la population. « Contrairement à l’action militaire, le rétablissement de l’État de droit a besoin d’un consentement populaire », précise-t-il.
L’insécurité et le narcotrafic en Afghanistan, premier producteur mondial d’opium, sont intimement liés. Alors que plusieurs responsables américains incitent les autorités afghanes à adopter des mesures drastiques pour lutter contre le commerce de la drogue, des experts mettent en garde contre le risque d’une éradication par la force des champs de pavot avant le...