Actualités - OPINION
Le point Rêve perse Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 24 juillet 2008 à 00h00
L’homme en colère est aujourd’hui un homme réconcilié avec les autres – quelques-uns d’entre eux à tout le moins. L’événement, car c’en est un, mérite d’être noté car ce n’est pas tous les jours que M. Mahmoud Ahmadinejad (c’est de lui qu’il s’agit) gratifie le monde d’un large sourire, comme celui qu’il affichait en applaudissant à la présence de Williams Burns à Genève où viennent de se clôturer les discussions sur l’épineux dossier nucléaire. Mais le « pas positif », constaté par le chef de l’État iranien ne concerne pas cette participation sans précédent d’un responsable américain, mais bien plutôt le fait que, ce faisant, l’administration Bush « a amélioré l’image (de l’Amérique) dans le monde ». Voilà une façon bien étrange de voir les choses ; mais il faut dire que le successeur du suave Mohammad Khatami n’en est pas à une originalité près.
D’ailleurs, comme pour se faire pardonner cette entorse à un code de conduite personnel qui désole jusqu’à ses meilleurs amis, l’intéressé s’est dépêché de revenir à de moins bons sentiments. « Notre peuple, a-t-il dit mardi lors d’une tournée dans le sud du pays, est debout et ne reculera pas d’un iota face aux puissances oppressives. » Mais l’important en la circonstance n’est pas ce que l’on dit mais ce que l’on fait. Et les déclarations des uns et des autres sont à inscrire au chapitre des propos destinés à la consommation intérieure. Il en est ainsi de la menace de nouvelles sanctions brandie par Condoleezza Rice, des deux semaines consenties par le groupe des 5+1, de la constatation qu’aucun progrès tangible n’aura été réalisé lors du dialogue qui vient de se conclure dans la cité de Calvin. Tout le monde sait qu’il faudrait plus d’un demi-mois pour trouver une solution à un problème de la taille de ce programme nucléaire qui tient en haleine toutes les chancelleries. Tout le monde sait aussi que les diplomates ont fait leur, et depuis longtemps, l’apophtegme célèbre de leur ancêtre, l’inquiétant évêque d’Autun : « La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée. » Il est vrai qu’il disait aussi, M. de Talleyrand : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant », une réflexion que l’on pourrait rappeler aux deux duellistes qui se sont mesurés, l’espace de deux jours, sur les bords du lac Léman.
Dans le document de deux petites pages distribué aux représentants des Six (Allemagne, Chine, France, États-Unis, Russie et Grande-Bretagne), les Iraniens ne mentionnent pas l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium, qui constitue pourtant la principale demande de la communauté internationale. Par contre, ils réclament des concessions de la part du camp adverse, ce qui n’a pas manqué de déclencher l’hilarité de Serguei Kisliak, ministre adjoint russe des Affaires étrangères, un homme peu tenté de s’adonner à des accès de franche rigolade. Au départ, tout avait été prévu pour décrisper l’atmosphère : il n’était question pour l’Iran que de ne pas s’adonner à de nouvelles activités « sensibles », pour une durée de six semaines, en échange d’un engagement des USA et de leurs alliés à ne pas réclamer un accroissement des sanctions imposées par les Nations unies. Passé ce délai, des négociations formelles devaient s’ouvrir, qui pourraient prendre des années, selon l’aveu d’un des participants à la rencontre genevoise.
Devant les atermoiements, et surtout face aux ambiguïtés de langue de Saïd Jalili et de l’équipe qui l’accompagne, la secrétaire d’État américaine – une femme pourtant rompue aux joutes diplomatiques – a fini par perdre patience et par condamner ce qu’elle a qualifié de « bavardage », pour réclamer « une réponse sérieuse ». La réaction de la dame de fer US est demeurée sans effet puisque l’on s’est séparé sur des échanges peu amènes qui ne présagent rien de bon. Mais de là à parler de guerre…
Il est clair que l’Iran s’emploie à gagner du temps, calculant qu’avec l’approche de l’échéance du 4 novembre (date de l’élection d’un successeur à George W. Bush), ce dernier voit se rétrécir chaque jour un peu plus sa marge de manœuvre. La Maison-Blanche, pour sa part, compte sur des pressions de plus en plus fortes pour faire plier le régime iranien, tablant sur l’exaspération du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, face à l’intransigeance de son protégé, et sur une opinion interne qui ne cherche plus à masquer son impatience. Jalili peut bien évoquer la patience « infinie » de ses maîtres, il n’est pas évident que le temps reste un allié idéal. Ni que les démêlés d’Ehud Olmert avec la justice empêcheront les boutefeux israéliens de se lancer dans une dangereuse aventure. Mais les héritiers de Khomeyni ne sont pas connus pour la rapidité de leurs réactions. S’ils n’ont pas répondu dès le week-end dernier à l’offre qui leur a été faite, c’est certainement afin d’en étudier toutes les implications. Sous l’éclairage tout neuf assuré par la promesse de l’ouverture prochaine d’une section des intérêts américains, prélude à un dialogue direct entre les deux ennemis d’hier. Un vieux rêve appelé à devenir réalité.
L’homme en colère est aujourd’hui un homme réconcilié avec les autres – quelques-uns d’entre eux à tout le moins. L’événement, car c’en est un, mérite d’être noté car ce n’est pas tous les jours que M. Mahmoud Ahmadinejad (c’est de lui qu’il s’agit) gratifie le monde d’un large sourire, comme celui qu’il affichait en applaudissant à la présence de Williams Burns à Genève où viennent de se clôturer les discussions sur l’épineux dossier nucléaire. Mais le « pas positif », constaté par le chef de l’État iranien ne concerne pas cette participation sans précédent d’un responsable américain, mais bien plutôt le fait que, ce faisant, l’administration Bush « a amélioré l’image (de l’Amérique) dans le monde ». Voilà une façon bien étrange de voir les choses ; mais il faut dire...