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Actualités - OPINION

Trois scènes, deux méditations… et une valise I – «?Allumer une bougie au lieu de maudire cette obscurité?»

I – Trois scènes – Scène 1 : un village et sa municipalité Sur un terrain «?dépôt?», une association pionnière de jeunes écologistes entame, bénévolement, l’aménagement d’un jardin public. Un jardin moderne, joli, comprenant une zone dédiée aux enfants, un espace aménagé pour personnes âgées, une fontaine, un jardin botanique, un «?théâtre romain?» pour activités culturelles. Cependant, la municipalité du village s’acharne contre l’association, bloque les travaux depuis deux ans, usant des moyens de pression psychologiques, matériels, «?juridiques?», politiques, voire religieux. – Scène 2 : un village et ses habitants À l’entrée de ce village, une très belle forêt de pins sur une colline. Un promoteur immobilier achète, rase la forêt, fait pousser du béton verticalement et de l’asphalte horizontalement. Les villageois jubilent. Raison?: «?On va construire des immeubles locatifs, il y aura ainsi de nouveaux locataires et ils viendront acheter chez nous.?» – Scène 3 : un village et sa paroisse La situation économique et démographique du village est de plus en plus précaire, l’église saigne?: à part Noël, Pâques et les cérémonies, on ne trouve plus personne pour sonner le carillon. Pourtant, on vient d’entamer le chantier d’une immense église coûtant l’équivalent des budgets annuels de la commune et de la paroisse réunies sur dix ans?! II – Deux méditations a) Que faire quand vous habitez l’un de ces villages, d’autant plus que vous êtes rentré d’Europe pour y vivre et, plus tard, fusionner avec sa terre?? Naturellement, vous essayez d’«?allumer une bougie au lieu de maudire cette obscurité?». Aussitôt, premier choc?: la perception de la lumière et de l’obscurité est aléatoire et très relative sous ces latitudes. Le même projet peut être jugé lumineux et loué le matin, réévalué comme suspect à midi et ouvertement vilipendé le soir de la même journée?; et le lendemain matin, le malheureux auteur du projet, alternativement complimenté et calomnié, sera discrètement informé que son projet pourrait être réexaminé favorablement si… Soit ! Vous rallumez la bougie maintes fois?; elle est étouffée maintes fois. Même enthousiasme au début, même déception à la fin. Ce retour éternel finit par révéler une réalité. L’échec répétitif n’est pas fortuit?: il est dû au fait que Candide essaie d’agir de l’extérieur du «?système?», un milieu avec ses règles tacites, ses valeurs, ses ressources, ses instruments, ses règlements de comptes internes, ses tabous et… son parrain. Un système enraciné, conservateur, instinctif, souple, rompu aux techniques de survie?; dans la forteresse, les familles peuvent s’entre-tuer entre elles, mais la forteresse, elle, doit demeurer intouchable. Toutes les affaires se règlent à l’intérieur de la maison. En un mot, un système incestueux?! Or, chacun le sait?: l’inceste produit en général des malformations et des monstruosités. Candide connaît maintenant la règle sacro-sainte?: «?Hors du système, point de salut?!?» Notons cependant que ce système n’est pas complètement vicieux puisque, d’une part, ses valeurs sont partagées par la majorité de la population et, d’autre part, le nombre de personnes servies (j’aime ce mot en arabe « yakhdimou ») par ce système est supérieur au nombre de personnes lésées par le système. De ce point de vue, il est tout à fait démocratique?! Curieusement, à peu de choses près, ce schéma de milieu fermé, immuable et omnipotent, au niveau du village, est directement transposable au niveau du pays. b) Y a-t-il une corrélation entre notre approche des problèmes au niveau de nos villages, et la situation chronique et récurrente au niveau du pays?? C’est frappant?! En effet, en partant du microscopique (village) au macroscopique (pays) – en passant par le mésoscopique (région) –, je saisis mieux la nature et la complexité des problèmes du Liban. Ils sont 1?000 fois amplifiés et plus complexes que les problèmes des villages évoqués ci-dessus, simplement parce qu’au Liban, il y a environ 1?000 fois plus d’habitants?! C’est un facteur d’échelle. Et ce n’est qu’une première et très optimiste approximation, car «?si vous remplacez le village par le pays, la municipalité par l’État et les forces politiques, les villageois par le peuple libanais et la paroisse par 17 communautés, et si vous ajoutez les interactions basiques et instinctives entre elles, puis vous ajoutez les interférences intéressées et discordantes de l’extérieur, eh bien, vous aurez une idée très précise de la situation passée, présente et future au Liban…?». Autant il est vrai que «?le caractère de l’homme est sa destinée?», autant on peut affirmer que le caractère d’un peuple est sa destinée. Il ne s’agit pas d’occulter ou de sous-estimer les menaces extérieures, objectives et diverses qui guettent le Liban, mais il s’agit plutôt de proposer une lecture de nos problèmes par le bas et non par le haut, de l’intérieur vers l’extérieur et non l’inverse. (Pour ceux qui aiment les termes savants, notre procédé d’exploration s’appellerait «?extrapolation radiale centrifuge?»…). Pourquoi procéder ainsi?? Pour des raisons académiques, pragmatiques et pratiques?: – L’approche par le haut est systématiquement basée sur la théorie du complot international, propose des scénarios souvent abracadabrants et mène toujours à des antinomies?; en langage philosophique, chaque scénario de cette approche est un «?énoncé indécidable?». En revanche, l’approche par le bas a l’avantage de reposer sur des faits vérifiables et immédiats qui laissent moins de marge à l’imagination et à l’interprétation personnelle (voir scènes 1, 2 et 3 ci-dessus). Dans le domaine scientifique, en aérodynamique par exemple, l’équivalent de cette approche s’appelle «?expérimentation en modèle réduit?». – Vu par le haut, on assassine le Liban. Vu par le bas, le Liban se suicide. En réalité, le Liban est comme quelqu’un qui se suicide pendant qu’on l’assassine. L’ordre des priorités devrait, à mon sens, être?: d’abord arrêter le suicidaire de commettre son acte, ensuite sonder les plans des présumés assassins et les déjouer. Non l’inverse. – En cas de mauvaises conditions météorologiques et de tempête annoncée, vous ne commencez pas par explorer la dynamique du climat dans le but de dévier la tempête de sa trajectoire ou de la réduire. Votre stratégie serait de vous occuper en premier de l’intérieur de la maison (provisions, premiers soins, couvertures…). C’est un peu cela notre dilemme dans cette zone de turbulences permanentes du globe. Concrètement, rien ne nous empêche, au Liban, d’avoir une bonne sécurité sociale, de bons hôpitaux, de bonnes écoles, de jolis jardins publics, une belle nature… en attendant que le méchant monde ait cessé de comploter contre nous. Kodo BASSILLA
I – Trois scènes
– Scène 1 : un village et sa municipalité
Sur un terrain «?dépôt?», une association pionnière de jeunes écologistes entame, bénévolement, l’aménagement d’un jardin public. Un jardin moderne, joli, comprenant une zone dédiée aux enfants, un espace aménagé pour personnes âgées, une fontaine, un jardin botanique, un «?théâtre romain?» pour...