Rechercher
Rechercher

Actualités

L’article 537 du code pénal punit les «?relations sexuelles contre nature?» et prévoit 6 mois à un an de prison Homosexualité?: n’est-il pas temps de dépoussiérer la loi?? Lélia MEZHER

Le jour où les médias trouveront inutile et totalement inintéressant de faire des articles/reportages sur la communauté homosexuelle au Liban, les membres de cette communauté pourront alors s’enorgueillir d’être devenus – tout simplement – citoyens à part entière. En attendant, un rapport rédigé par la Commission de l’immigration et du statut du réfugié au Canada met d’emblée l’accent sur l’article 534 du code pénal libanais qui réprime les «?relations sexuelles contre nature?», et punit leur auteur d’une peine pouvant aller de six mois à an d’emprisonnement au plus. Une amende d’un montant d’un million de livres libanaises peut aussi être infligée, amende qui ne remplace pas toujours la peine de prison. En pratique, les rapports homosexuels tomberaient sous le coup de cette loi, explique Georges Azzi, responsable de l’association Helem (rêve) et militant pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT). L’objectif principal de cette association, la première du genre dans le monde arabe – qui n’a d’ailleurs toujours pas obtenu de numéro d’enregistrement, longtemps après avoir fourni au ministère de l’Intérieur les documents nécessaires pour la constitution de l’association?–, est d’abord de parvenir à un changement de législation en ce qui concerne la communauté homosexuelle. À la question de savoir s’il existe un projet de loi visant à modifier l’article 534 du code pénal, le député Ghassan Moukheiber répond qu’il n’existe pas, «?à l’heure actuelle, de projet proprement dit concernant cet article?», mais bien un «?projet d’amendement du code pénal lui-même. Dans ce contexte, les campagnes menées par la société civile pourraient jouer un rôle actif et faire pression pour que l’article 534 soit abrogé?». Plusieurs députés interrogés se prononcent en outre en faveur d’une modernisation de la loi, même s’ils reconnaissent qu’il existe plusieurs priorités avant de pouvoir plancher sur une refonte du code pénal. Ils invoquent aussi le poids des responsables religieux, toutes communautés confondues, qui s’érigeront certainement en obstacle à une telle réforme. Un détail positif sert toutefois souvent de brèche dans laquelle les avocats n’hésitent pas à s’engouffrer pour défendre leurs clients?: le code de procédure pénale de 2001 stipule que les peines d’emprisonnement de moins d’un an peuvent ne pas être appliquées. Cependant, et comme le souligne Georges Azzi, de nombreux homosexuels se retrouvent souvent en prison, et au cours des 12 derniers mois, 34 personnes ont été arrêtées par la police à Beyrouth et Tripoli. Une centaine d’autres ont été la cible d’abus physiques ou verbaux. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants qu’il n’existe aucun recours qui permette à ces personnes d’obtenir gain de cause, alors même qu’elles sont stigmatisées, parfois mises au ban de la société – 18 cas de discrimination professionnelle, 24 cas qui se sont retrouvés à la rue, chassés par leur famille – à cause de leur orientation sexuelle, et que cela contrevient de manière flagrante aux droits de l’homme les plus élémentaires. Dans un pays qui se veut et se vante d’être le chantre des libertés dans la région, ces chiffres font en effet piètre figure. La famille, source de problèmes Conséquence immédiate de ces discriminations?: 85?% des gays et lesbiennes interrogés par Helem affirment mener une double vie, et pour eux la famille reste la plus grande source de problèmes. Ainsi les jeunes qui «?insistent à faire leur “coming out”, à s’affirmer en tant qu’homosexuels, et qui n’ont pas de ressources risquent fort de se retrouver à la rue lorsqu’ils sont chassés de chez eux par leurs parents?», souligne à cet égard M. Azzi. «?J’ai la chance de vivre seule?», indique d’emblée Natacha, une jeune fille dynamique de 25 ans qui travaille dans un centre commercial de la capitale. «?Voilà huit ans que je suis avec Karine, plus longtemps que certains couples hétéros mariés?», relève-t-elle fièrement. Natacha reconnaît que cela n’a pas été facile, que certaines fois, lorsqu’elle travaillait comme hôtesse de l’air dans une compagnie d’aviation, ses collègues ou supérieurs hiérarchiques ont bien tenté de savoir si elle «?aimait les garçons?» ou si elle avait «?une préférence pour les filles?». «?J’avais pris l’habitude de répondre que je n’avais de problème avec aucun des deux sexes…?» dit-elle en souriant. «?Aujourd’hui, je suis contente de voir que nous sommes oubliés par?l’État, par les services de sécurité. Mais tout cela est très précaire, et c’est pour cela que même si j’admire leur travail, les revendications de certaines associations me font craindre un contre effet négatif pour nous. Pour peu que l’on attire l’attention sur notre communauté, qu’on leur rappelle qu’on existe, et ça peut très vite tourner au cauchemar?», relève-t-elle. À ce propos, Georges Azzi rappelle que jusqu’en 2000, «?les homos étaient battus, physiquement agressés. La presse les désignait aussi par des mots très péjoratifs. Aujourd’hui, les médias les plus connus se contentent de les désigner par le mot “homosexuels”, ce qui en soit, est un grand pas en avant?». Mais tout cela reste très précaire. Natacha le dit d’ailleurs clairement?: «?Depuis que mes parents sont au courant, et que certains de mes proches le sont aussi, je veille à rester en bons termes avec tout le monde. Je sais que si j’agace une voisine, elle pourrait aller porter plainte contre moi au poste de police. Très souvent, je dois me taire ou mentir sur certains détails ou sur mon orientation sexuelle. Il reste que les gens qui me sont proches et que j’aime bien me comprennent. Et en retour, je ne leur cache pas ce que je suis.?» Elle poursuit?: «?Bien sûr, cela me pèse de ne pas pouvoir me balader tranquillement, main dans la main avec Karine. Je suis tout le temps en train de faire attention à mon comportement.?» Une anecdote?:?«?Une fois, j’étais très malade, et nous étions dans un café. Assise sur le fauteuil, j’étais tellement fatiguée que j’ai fini par poser ma tête sur ses genoux. Un serveur a alors surgi de nulle part, et je me suis levée aussitôt. Lorsqu’il s’est approché, il m’a dit?: “Ça va, ça va, je pensais que vous étiez un couple…”?» Est-ce donc vrai que pour les lesbiennes la vie est relativement plus simple que pour les gays?? «?Bien sûr. Il est normal qu’une fille ait des amies du même sexe, d’aller dormir chez elles, de faire des plans à deux. Du coup, on passe plus inaperçues que les gays. J’ai l’impression qu’au Liban, les gens ne s’imaginent même pas qu’une fille puisse être avec une fille…?» Les cheveux courts, des bracelets aux deux poignets, Natacha a un seul regret?: ne pas pouvoir se marier avec celle qu’elle aime. «?Je ne cherche pas à adopter des enfants. Je trouve injuste de devoir leur faire subir mon choix. J’ai choisi d’être avec une femme parce que les garçons ne m’intéressent pas, tout simplement?! Et la société a encore beaucoup de chemin à faire pour accepter cela. C’est pourquoi je ne veux pas adopter d’enfants.?» De plus, il existe toujours un moyen de contourner le système en place pour pouvoir organiser la vie à deux?: «?Je suis libre d’ouvrir un compte joint bancaire avec ma compagne. Je suis également libre de mettre la moitié d’un appartement qui m’appartient en son nom. Et je pense que c’est comme ça qu’on va procéder pour que je puisse être sûre que, si jamais il m’arrivait quelque chose, elle ne se retrouvera pas sans rien.?» À l’abri d’un… poisson d’avril Élias, un jeune homme de 25 ans, travaille actuellement comme steward à bord d’une compagnie émiratie. «?À 18 ans, j’ai dû quitter ma province, tout comme Charles Aznavour (tu connais la chanson??) pour explorer Paris?!?» affirme-t-il, espiègle. Auparavant, dans son village du nord de Beyrouth, il s’était déjà découvert un penchant pour les garçons. Une fois à Paris donc, «?j’ai pu vivre pleinement ma vie, découvrir qui je suis vraiment. Au début, je n’osais pas aller à la rencontre d’autres hommes, car pour moi, franchir ce cap c’était fini, tu es homo?! Mais j’ai fini par le faire…?Mais même à Paris, je n’osais pas sortir dans la rue avec un mec. J’avais peur que d’une façon ou d’une autre cela parvienne à mes parents, vu que je bossais à l’époque à Notre-Dame du Liban, et du coup en contact avec vraiment trop de Libanais?». Élias avoue qu’il continuait à penser, malgré tout, qu’il pourrait un jour «?être avec une fille?». Il rencontre alors Anna, une Norvégienne avec qui il a beaucoup de points communs, «?mais je n’ai jamais osé franchir le pas et tenter quelque chose avec elle?». «?Un jour, j’ai guidé la conversation pour qu’elle me pose la fameuse question, je n’aurais jamais osé le faire par moi-même?! Elle n’a eu qu’à demander?: tu préfères les garçons ou les filles?? Et j’ai dit bien sûr les garçons, et tout a commencé là?! Je pouvais respirer, ne plus me sentir différent, ni honteux.?» À l’université, Élias se lie d’amitié avec une Libanaise, Carole?: «?Nous étions devenus très proches et je sentais que notre amitié butait contre un obstacle, je lui mentais et menais une double vie?! Le jour du 1er avril, alors qu’on sortait d’un examen et qu’on parlait d’un prof qui était trop mignon, je lui ai tout dit en me disant?: si ça tourne mal, je dirais que c’est un poisson d’avril?!?» Aujourd’hui, Élias a enfin trouvé un équilibre dans sa vie, mais il attend toujours «?de rencontrer le gendre idéal pour enfin le présenter?» à ses parents et leur dire la vérité. Pour lui, pas question de quitter définitivement le Liban pour pouvoir vivre sa vie librement ailleurs?: «?Le sacrifice pour moi serait de quitter le Liban.?» Mais ce point de vue ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté homo libanaise, puisque dans les 12 derniers mois, 18 personnes ont définitivement quitté le Liban par le biais de procédures d’exil politique. Les destinations préférées de ces personnes restent le Canada et les Pays-Bas, souligne Georges Azzi, «?car ces deux pays sont ceux qui garantissent la plus grande liberté aux homosexuels?». Déjà, le 22 septembre 2005, la revue française Têtu écrivait?: «?La députée néerlandaise Ursie Lambrechts, du parti centriste D66, a demandé à la ministre des Affaires étrangères, Rita Verdonk, de s’informer officiellement de la condition des homosexuels au Liban auprès des autorités libanaises. De plus en plus de Libanais réclament en effet l’asile aux Pays-Bas en raison de leur orientation sexuelle, l’homosexualité étant assimilée à des “actes sexuels contre nature”, interdits par l’article 534 du code pénal (...) Les demandeurs d’asile iraniens ont récemment vu leur procédure de demande rallongée par la ministre Verdonk et ont obtenu un moratoire sur les expulsions à la suite de l’exécution de deux gays en Iran en juillet, le temps que le ministère néerlandais révise sa réglementation. Si le risque est différent au Liban, il n’en demeure pas moins que ces demandeurs d’asile, s’ils étaient déboutés, risqueraient l’emprisonnement et une répression forte dans leur pays.?» M. Azzi précise que lorsque les autorités libanaises sont contactées par les services canadiens ou néerlandais, elles indiquent qu’il n’y a pas de problème avec la communauté homo et que celle-ci n’est pas menacée. Une attitude d’autant plus «?schizophrène?» que, selon les régions, la police sévit avec plus ou moins de sévérité et qu’un article du code pénal continue de qualifier ces pratiques de délictuelles. Mais Élias, pour sa part, tient à rester optimiste?: «?Dans quelques années, vous et moi assisterons à la Gay Pride dans Beyrouth, vous verrez?!?»
Le jour où les médias trouveront inutile et totalement inintéressant de faire des articles/reportages sur la communauté homosexuelle au Liban, les membres de cette communauté pourront alors s’enorgueillir d’être devenus – tout simplement – citoyens à part entière. En attendant, un rapport rédigé par la Commission de l’immigration et du statut du réfugié au Canada...