CORRESPONDANCE - Pour la dégager de l’imaginaire des boursicoteurs du barde Germaine Greer à la rescousse de madame Shakespeare

WASHINGTON, d’Irène MOSALLI Les faits historiques sont les suivants?: le 28 novembre 1582, William Shakespeare épouse Anne Hathaway. Elle est alors âgée de 26 ans. Shakespeare n’en a que 18. Elle donne naissance à leur premier enfant, Susanna, en 1583, puis à des jumeaux, Hamnet et Judith, en 1585. Hamnet décède en 1596, à l’âge de 11 ans. Durant la majeure partie de sa vie conjugale, le célèbre dramaturge anglais avait vécu à Londres, occupé à écrire et à jouer ses pièces de théâtre, alors que son épouse séjournait à Stratford. Sur cette période de leur vie de couple, il n’existe aucune trace précise. Ce qui a amené les biographes à déduire, à partir de la lecture des sonnets et des œuvres dramatiques de Shakespeare, qu’il avait eu une vie de famille malheureuse. L’un d’entre eux a parlé d’un «?mariage sous les auspices du diable?». Les autres, toujours faute d’informations, y ont projeté leurs propres fantaisies. Aujourd’hui, une femme de lettres australienne, Germaine Greer, a été à son tour à la recherche de l’épouse baignant dans le doute et l’ambiguïté, dans un livre intitulé?L’épouse de Shakespeare. Féministe, scénariste et spécialiste de l’époque élisabéthaine, elle travaille et vit en Grande-Bretagne où elle est une figure controversée et incontournable de la vie publique de ce pays. Un lit pour héritage Pour ce livre, elle s’en est référée aux vies des hommes et des femmes de la génération des jeunes époux Shakespeare pour arriver à restituer ce qu’ont pu être la personnalité et l’existence de Mme Shakespeare. Elle a donc minutieusement étudié les détails de la vie quotidienne de l’époque?: des certificats de naissance et de décès au coût de la vie, en passant par les vêtements et diverses mœurs. Selon elle, Anne Hathaway ne serait pas la séductrice illettrée qui, en tombant enceinte, a voulu se faire épouser par Shakespeare, mais plutôt une femme qui ne pouvait être qu’éduquée, selon le standing de sa famille. Elle aurait plutôt été une femme indépendante et travailleuse, puisqu’elle a vécu seule avec ses enfants à Stratford pendant que son mari était à Londres et ne l’aidait pas financièrement. Pour subvenir à ses besoins, elle s’était lancée dans la production de malt. L’auteure, qui déploie un style vivant et flamboyant, emploie la forme conditionnelle, évitant aussi le ton terne propre à ce genre d’évocations de femmes tombées dans l’oubli. Elle suggère, par ailleurs, qu’Anne avait encouragé Shakespeare à aller travailler à Londres. De même qu’elle aurait été responsable de la publication de son Premier Folio, en 1623. Quant au maigre héritage qu’il a laissé à son épouse, son lit, Greer explique que cela n’est pas étrange, car en ces temps-là, ce meuble était fort coûteux. Germaine Greer a été ainsi à la rescousse de l’épouse de Shakespeare pour la dégager des «?boursicoteurs du dramaturge, qui ont réussi à créer un barde à leur goût, incapable de s’associer aux femmes?».