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Actualités - OPINION

La visite du président Sarkozy et la réforme linguistique dans l’école publique Bahjat RIZK

En marge de la visite du président Sarkozy, accompagné des dirigeants des principaux partis politiques français, le 7 juin 2008 à Beyrouth, il serait intéressant pour renforcer le lien d’amitié entre le Liban et la France d’envisager une réforme éducative des langues dans les écoles publiques, réforme qui aurait dû déjà intervenir depuis belle lurette, au moins depuis le sommet des chefs d’État francophones tenu à Beyrouth en octobre 2002 sur le thème du dialogue des cultures. Le lien avec une langue est transcommunautaire au Liban, les communautés étant religieuses, les langues peuvent servir de ciment à l’appartenance nationale. En effet, si l’arabe au Liban est considéré comme la langue officielle (littérale), le dialecte libanais étant la langue maternelle, le français, quant à lui, est considéré comme une langue seconde pour les élèves des écoles privées francophones et une langue étrangère pour les élèves des écoles publiques. Cela est dû au fait que le système d’éducation au Liban repose largement sur les missions de toutes sortes, tant religieuses que laïques. Le lien avec la France s’est établi au Liban culturellement à travers les capitulations (traités) que François Ier a signées en 1535 avec le sultan ottoman et qui ont permis aux missionnaires de s’établir en Orient et d’y fonder des institutions éducatives. Le même François Ier avait lui-même imposé la langue française comme langue officielle par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539). Plus tard, à la fin du XIXe siècle, l’établissement de l’Université Saint-Joseph (1875) et de l’Université américaine (1866) va permettre au Liban d’être un pôle culturel et éducatif pour tout le Proche-Orient. Parallèlement, la renaissance de la langue arabe face à l’Empire ottoman va permettre aux chrétiens libanais de clamer leur appartenance totale à la culture arabe et leur désir de soutenir cette belle langue et de la rénover (al-Nahda). Ainsi, l’argument linguistique a joué le rôle de catalyseur transcommunautaire autant pour la langue arabe, dont les monastères et les ordres religieux se sont faits les vaillants défenseurs, que la langue française, qui était accessible à tous à travers les établissements missionnaires religieux et laïcs (lycée français) qui ont porté tant les valeurs de l’ancien régime que celles de la Révolution française et de la république (liberté, égalité, fraternité). Les deux langues, arabe et française, ont été d’ailleurs langues officielles au Liban durant la courte période du mandat français (1920-1943). Le système d’éducation n’a pas profondément changé depuis, puisque les établissements privés sont demeurés un pôle d’excellence, mais la sélection aujourd’hui se fait hélas sur base de moyens financiers, ce qui oblige les Libanais de toutes les communautés à consentir à des sacrifices inhumains pour assurer une éducation adéquate à leurs enfants, ne pouvant les garder dans l’école publique dont le niveau de langue est très faible (une scolarité privée pour un enfant coûterait autour de 100 000 à 150 000 dollars). Le Libanais de la classe moyenne (qui demeure la colonne vertébrale du Liban, pays de services), ayant investi sur l’éducation de ses enfants, se voit contraint d’accepter leur expatriation car les débouchés professionnels et les salaires ne sont pas en rapport avec l’investissement entrepris. Certes, cette situation a l’avantage d’avoir une diaspora libanaise nombreuse et entreprenante qui permet de soutenir en retour l’économie parallèle du pays, mais elle vide petit à petit le Liban de ses ressources humaines. Ce qui était possible même durant la guerre avant la dévaluation de la livre libanaise va devenir de plus en plus difficile, voire impossible aujourd’hui. L’État libanais se doit de procéder à une réforme des langues dans les écoles publiques afin d’alléger les contraintes financières exorbitantes des Libanais et de mettre à niveau les écoles publiques avec les écoles privées, afin de permettre l’émergence d’une vraie démocratie basée sur l’éducation, la culture et la méritocratie. Si le Liban fait partie vraiment de la francophonie, il s’agit d’examiner la politique éducative au niveau public de la langue française dans les autres pays arabes, membres de cette même organisation. Il s’agit de s’aligner sur les autres pays arabes qui revendiquent le même statut. Les six pays arabes membres de la francophonie sont tout d’abord Djibouti (où le français est toujours la langue officielle avec l’arabe) et puis le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie, l’Égypte et les îles Comores, sans aborder les autres pays africains, les pays de l’Extrême-Orient et ceux de l’Europe de l’Ouest et de l’Est (68 pays). Le rapport à une langue est structurant de l’identité. Le lien avec la langue arabe est à la base de l’identité libanaise, mais le lien avec les deux autres langues, le français et l’anglais, participe à la vocation du Liban en tant que médiateur culturel (dialogue des cultures) et commercial (pays de services). Or ce lien est confié aux établissements privés et négligé par l’État, ce qui contribue à créer une discrimination sociale entre les Libanais qui vient se greffer sur les discriminations communautaires religieuses (plutôt que de les compenser). La discrimination (imposée) est l’autre aspect négatif de la diversité (choisie). Donner accès à tous les Libanais, toutes communautés confondues, à un niveau adapté de connaissances linguistiques, c’est multiplier leurs chances de se retrouver, de dialoguer et de se réconcilier avec eux-mêmes. De par sa nature (position géographique) et de par sa vocation, tout Libanais a impérativement besoin de ce triple apport linguistique. Plutôt que d’avoir des contingents bloqués sinon piégés au sud du Liban, transformons-les en contingents du savoir et volontaires de la transmission linguistique. Sur les six langues officielles des Nations unies?: arabe, français, anglais, espagnol, russe, chinois (on peut y ajouter depuis à un niveau international l’allemand et le japonais), il y a deux langues de travail (le français et l’anglais). Le Libanais a besoin de ces deux langues, notamment la langue française qui véhicule une culture universelle (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) et qui témoigne du lien indéfectible entre la France et le Liban. Le fait que toute la classe politique dirigeante française, fait exceptionnel, se soit déplacée sans réserve, devrait pousser les Libanais à observer une unanimité autour du lien avec la France qui est dans l’intérêt de tous les Libanais. Une réforme éducative linguistique s’impose au niveau des écoles publiques. Il faudrait uniquement des décideurs politiques courageux qui assument leurs responsabilités au niveau du bien commun. Le système privé devrait être un choix pour les Libanais et non une obligation. Tout Libanais a à cœur l’éducation de ses enfants et le fait de lui assurer un avenir décent, à l’abri de la nécessité, et une éducation de qualité ne devrait pas constituer un privilège ou un sacrifice exorbitant ou disproportionné. Assumons notre francophonie dans sa dimension intériorisée culturelle et existentielle, et non point uniquement politique et événementielle. Une identité se vit de l’intérieur au niveau des valeurs spirituelles et éducatives, et non uniquement au niveau de surenchères, de négociations et de compromis marchands. La révision des programmes scolaires au niveau linguistique dans les établissements publics consoliderait l’unité nationale transcommunautaire, réaliserait une égalité des chances pour les citoyens et renforcerait de manière durable les liens du Liban avec la France, notre interlocuteur privilégié en Europe, en Occident, autour de la Méditerranée et dans le monde. Article paru le vendredi 13 juin 2008
En marge de la visite du président Sarkozy, accompagné des dirigeants des principaux partis politiques français, le 7 juin 2008 à Beyrouth, il serait intéressant pour renforcer le lien d’amitié entre le Liban et la France d’envisager une réforme éducative des langues dans les écoles publiques, réforme qui aurait dû déjà intervenir depuis belle lurette, au moins depuis...