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Des retards de paiement qui se comptent en mois et en années : les raisons du fiasco

Pour un assuré à la Caisse nationale de Sécurité sociale qui paye ses cotisations chaque mois, ce qui dérange le plus, c’est sans nul doute ce retard de plusieurs mois (sinon années) avant d’encaisser son dû. Pourquoi ce retard systématique, notamment dans les bureaux de Beyrouth ? Quand on pose la question aux acteurs concernés, c’est toute l’ampleur du problème central de la CNSS qui s’éclaire. S’agit-il d’employés en sous-nombre, d’un manque de budget, d’une désorganisation endémique, ou les trois à la fois, qui empêcheraient la grosse machine de la Sécurité sociale de fonctionner correctement ? Le président du conseil d’administration de la CNSS, Tobie Zakhia, évoque plusieurs causes à ces retards systématiques. « Dans notre système, pour que la CNSS paye les factures, il faut qu’elle ait encaissé les cotisations, dit-il. Or, d’une part, il y a beaucoup de tricherie au niveau des entreprises, qui continuent à ne pas déclarer les vrais salaires de leurs employés. Et là, la CNSS manque de moyens d’inspection pour les démasquer. Parfois, les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, tardent aussi à s’acquitter de leurs cotisations. L’État lui aussi nous doit de l’argent, même s’il a commencé à payer les arriérés. » Selon lui, le retard de paiement de la part de l’État s’explique par les difficultés budgétaires, mais aussi par un certain manque de confiance dans la CNSS. « Le ministre des Finances Jihad Azhour a demandé un audit sur nos comptes avant de poursuivre les paiements, explique-t-il. L’audit n’a rien donné parce que nos dépenses sont carrées : nous encaissons, puis nous payons. » Cette gestion des finances de la CNSS est en elle-même un obstacle à la modernisation du système. « Nous sommes gérés comme une boutique, poursuit M. Zakhia. Nous recevons les cotisations pour nos trois branches : les indemnités de fin de service, les services de santé et les allocations familiales. À la fin de l’année, nous nous apercevons que nous avons puisé dans la caisse des indemnisations, et nous sommes obligés de rembourser les sommes parce que nous ne pouvons commencer la nouvelle année sans avoir régularisé les comptes. Or cela provoque une accumulation et, par conséquent, des retards dans les paiements. Ce qu’il faudrait, ce sont des comptes mensuels et non pas annuels. D’autre part, il faudrait que l’État paye à temps et que nous développions nos méthodes de contrôle. » Sur la question des comptes de la CNSS, le directeur général, Mohammad Karaké, estime plutôt que l’instauration de ces comptes annuels est en soi une amélioration, évoquant aussi les audits effectués par des sociétés étrangères qui ont abouti à des conclusions favorables. Même l’État, selon lui, s’acquitte mieux de ses dettes depuis 2005. « La dette accumulée est toujours de 670 milliards de livres, mais il ne faut pas oublier qu’elle était de 900 milliards avant le début des paiements », précise-t-il. 600 employés en moins Selon M. Karaké, les problèmes de la CNSS ne sont pas tant en raison de la gestion interne que d’une grave insuffisance au niveau des employés. « Les retards sont surtout constatés dans les bureaux de Beyrouth, de Dora et de Badaro, dit-il. Ailleurs, les factures sont remboursées tout de suite, ou alors avec un délai d’un mois au maximum. La raison des retards dans la capitale est due à un manque grandissant de ressources humaines. En effet, depuis 2004, la CNSS, par décision du gouvernement, n’est plus autonome, mais dépend du Conseil de la Fonction publique. Or, depuis ce temps, chaque année, nous perdons 40 à 50 employés qui vont à la retraite, sans être en mesure de les remplacer. À titre d’exemple, depuis janvier, nous nous retrouvons sans pharmacien, donc dans l’incapacité d’enregistrer tout nouveau médicament. » M. Karaké ajoute qu’une étude portant spécifiquement sur les trois bureaux problématiques est en cours, et que les lacunes à combler au niveau du personnel sont de l’ordre de 600 employés (il faudrait 2 000 en tout, sachant que 1 400 sont opérationnels aujourd’hui). « Sans le recrutement de nouveaux fonctionnaires, c’est la pérennité de la CNSS qui est en péril », assure-t-il. Pourquoi l’État ne répond-il pas aux besoins de la Caisse ? « Il faut poser la question aux responsables politiques », répond-il. Les arguments de M. Karaké sont corroborés par le président du syndicat des employés de la CNSS, Mohammad Abdallah, qui nous explique plus en détails les difficultés rencontrées par le personnel. « Nous manquons cruellement de personnel sachant que le travail de la CNSS est complexe, parce que nous avons affaire à des situations sans cesse changeantes, du fait que les statuts personnels des assurés ne restent pas les mêmes, dit-il. Les retards sont dus à cela principalement, surtout que les grandes entreprises sont représentées par un délégué qui arrive avec une grande quantité de formalités. » Des cotisations trop basses L’invocation de ces problèmes de personnel et de budget suffit-il à expliquer le chaos qui règne dans les bureaux de la CNSS ? Le ministre sortant de la Santé, Mohammad Khalifé, pense qu’il y a des lacunes structurelles qui empêchent la caisse de décoller. « Les problèmes sont chroniques et ont rapport avec le budget et la qualité des services requis, estime-t-il. Est-il concevable que les cotisations soient restées inchangées depuis dix ans, alors que les services de santé dans le pays se sont développés, et que les prix mondiaux continuent de grimper ? Le coût de l’hospitalisation par an par personne est actuellement au Liban de 150 dollars dans les hôpitaux publics, et de 170 dollars dans les hôpitaux privés. Les services sont d’une qualité qui répond aux normes internationales, et qui de plus sont rapides : pour une opération à cœur ouvert, le patient attend à peu près une semaine au Liban, et paye 1 700 à 1 800 dollars, alors que ce délai est de plusieurs mois dans un pays comme la Grande-Bretagne, par exemple, pour un prix dix fois plus élevé. Mais cela devient de moins en moins possible à ce prix. » M. Karaké donne de plus amples explications sur les cotisations. « Dans les années 1992-1993, alors que le Liban sortait à peine de la guerre, les cotisations correspondaient à 32 % des revenus, et ont été à l’époque estimées insuffisantes pour alimenter la caisse, précise-t-il. Elles ont alors été augmentées à 38,5 %. Après quelques années, vu que la caisse était excédentaire, il a été décidé, vers 1998, de partager en quelque sorte les gains avec les entreprises et les pousser à déclarer plus systématiquement leurs employés. La proportion est tombée d’un coup à 23,6 %. C’était une erreur : si, dans le temps, 32 % avaient été jugés insuffisants, que dire des 23,6 % aujourd’hui ? Qui peut ainsi décider de réduire les cotisations de moitié ? De plus, nous n’avons pas constaté une amélioration au niveau des entreprises. Voilà pourquoi nous proposons aujourd’hui de relever les cotisations au moins à leur niveau de 1992, c’est-à-dire 32 %, afin d’assurer la pérennité de la Caisse. » Le ministre Khalifé fait référence à une autre « anomalie » dans le système de la CNSS : le fait qu’aucune condition ne soit posée à l’assuré, qui a le droit de choisir l’hôpital qu’il veut, le médicament qu’il veut… « Dans les autres pays, la Sécurité sociale impose l’utilisation de médicaments génériques et la fréquentation des hôpitaux gouvernementaux, sauf quand le traitement adéquat n’est pas disponible », souligne-t-il. Les réformes sont-elles possibles ? Mais il reste le facteur de la confiance dans cette institution : si l’on comble les lacunes au niveau des ressources humaines, que l’on intensifie les inspections et que l’on impose des cotisations plus importantes, les services s’amélioreront-ils pour autant ? Qu’en est-il des perspectives de réformes ? Nous avons obtenu plus d’une réponse à cette question, même si personne n’a songé nier les difficultés que rencontrerait la mise en place d’éventuelles réformes. M. Zakhia note la difficulté de proposer des réformes en profondeur dans des circonstances politiques aussi complexes. Mais il fait référence à une étude qui vient d’être terminée sur ce sujet, et dont les grandes lignes se résument ainsi : d’une part, il s’agira d’augmenter la valeur des cotisations au moins pour les assurés volontaires dans un premier temps. D’autre part, il fait référence à la nécessité de rouvrir le débat sur la couverture des plus de 64 ans. « Au Liban comme dans d’autres pays en développement, il faut un système de répartition, c’est-à-dire que les cotisations couvrent ceux qui ne peuvent payer ou les plus de 64 ans », explique-t-il. Or pour que les cotisations puissent couvrir de nouvelles catégories, ne serait-il pas utile que davantage de personnes cotisent ? À la question de savoir s’il est possible de faire en sorte que la CNSS couvre l’intégralité de la population, M. Karaké pense que c’est tout à fait concevable techniquement si on donne à la CNSS les moyens de le faire. « Cela fait partie du mandat de la CNSS dans tous les cas, tel que défini par la loi », dit-il. M. Zakhia ajoute : « Quand la Sécurité sociale sera généralisée, elle fera partie du quotidien des Libanais. Il n’est pas nécessaire qu’elle reste dans sa bulle, on peut concevoir un système à travers lequel la caisse fera fructifier ses dépôts. Le prétexte selon lequel les fonds manquent pour les réformes ne tient pas. Quand on a un projet, on trouve l’argent. Après tout, la France a créé son système de Sécurité sociale en 1945, quand le pays était en ruines. » Toutefois, d’aucuns, comme le président du syndicat des propriétaires des hôpitaux au Liban, Sleimane Haroun, interrogé dans le cadre de ce dossier sur les difficultés des relations entre ces institutions et la CNSS (voir encadré), se montre assez septique quant à la possibilité de réformes en profondeur, soulevant au passage le problème de la multiplicité des caisses au Liban. « L’obstacle essentiel rencontré dans ce pays est l’incapacité d’appliquer n’importe quel plan de réforme », dit-il. Tout en reconnaissant les difficultés, M. Zakhia revient quant à lui sur un point essentiel : « La protection sociale est une nécessité au Liban. Il n’y a pas de paix sociale sans Sécurité sociale. »
Pour un assuré à la Caisse nationale de Sécurité sociale qui paye ses cotisations chaque mois, ce qui dérange le plus, c’est sans nul doute ce retard de plusieurs mois (sinon années) avant d’encaisser son dû. Pourquoi ce retard systématique, notamment dans les bureaux de Beyrouth ? Quand on pose la question aux acteurs concernés, c’est toute l’ampleur du problème...