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Actualités - OPINION

Lettre ouverte au président français à l’occasion de sa visite Monsieur Sarkozy, on nous a volé notre Printemps de Beyrouth

Par Emil ISSA Étudiant en sciences politiques à l’AUB Monsieur le Président, Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue dans notre pays : «?Ahlan Wa Sahlan ! » C’est un honneur pour nous que d’accueillir le président d’une si grande nation qui a tant œuvré ?afin de sauvegarder et ?de propager les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, et cela même à?travers les moments les plus difficiles de l’histoire. Monsieur le Président, je voudrais si vous me le permettez bien, sortir des formules traditionnelles et toutes faites afin d’exprimer ce que beaucoup de jeunes au Liban auraient aimé dire pour que notre nouvelle génération ne reste pas l’otage de l’ancienne et puisse au moins faire entendre sa voix. Pour une grande partie d’entre nous, la relation avec la France commence très tôt. En effet, dès l’école, nous nous lions d’amitié ?avec ce pays de l’autre côté ?de la Méditerranée et nous sommes élevés dans les mêmes idéaux de civisme et de respect des droits de l’homme. Cependant, nous avons dû résister chacun à sa façon afin de conserver en nous les principes qui font de nous des citoyens et non des miliciens. Pour nous jeunes universitaires, il était un devoir de résister face à l’occupation de notre pays. Comment en effet aurions-nous pu rester de marbre après avoir lu les Misérables de Hugo ou bien s’être passionné par la lecture du ?Cid de Corneille ! Mais comment résister et retrouver notre liberté sans pour autant perdre ce qui faisait notre différence ? Devrions-nous devenir des monstres afin de combattre les monstres ? Beaucoup d’entre nous ont préféré rentrer dans le rang et n’ont pas résisté à l’endoctrinement, mais la majorité d’entre nous s’est battue. La rue Huvelin près de la faculté de droit de l’USJ retentit encore des coups de matraque et du cliquetis des menottes. Nous avions tout à perdre à l’époque (en 2003), mais nous gardions l’espoir qu’un jour nous pourrions nous réunir, toutes confessions confondues, sous les principes de la citoyenneté, du respect, du civisme et du mérite. Durant certaines conférences, les ambassadeurs du monde entier rejetaient la faute sur nous en nous disant : « Si vous ne pouvez pas vous-mêmes vous unir, nous ne pouvons rien faire pour vous. » Monsieur le Président, nous le savions très bien. Malraux n’avait-il pas dit que « la liberté n’appartient qu’à celui qui l’a conquise »?? Puis vint le Printemps de Beyrouth en 2005 que tout le monde connaît si bien. Monsieur le Président, quelqu’un nous a volé notre printemps, nos rêves et nos idéaux. Quelque part dans les hautes sphères, personne n’a voulu ou permis à cette expression authentique d’une grande partie du peuple de se concrétiser. Quelque part, certains groupes veulent effacer le Liban. Nous nous sommes unis, mais personne ne nous a protégés. Gebran Tuéni, Samir Kassir, Pierre Gemayel et tant d’autres l’ont payé de leur vie… Pourquoi ? Qui étaient-ils, ces grands hommes, à part des hommes de principe, de courage et d’action pour faire peur à tellement de gens ? Ou bien étaient-ils des grains de sable téméraires dans une machine qui a fini par les broyer ? L’humanisme a beaucoup perdu au Liban. Nous sommes aujourd’hui réduits au silence et contraints à accepter les leaders qui restent et qui s’éternisent. Aux législatives, je ne voterai pas ! Monsieur le Président, comment voulez-vous dans ce cas que nous ne quittions pas notre pays pour aller en Europe ? Croyez-vous que nous sommes contents d’être contraints à l’exil ? Nous aimons la France, mais nous aimons encore plus le Liban. Si seulement nous avions la stabilité chez nous ! Aujourd’hui, le constat est amer. Suite à l’accord de Doha, nous avons compris. J’ai compris. Je ne m’occuperai plus jamais de politique, ni moi, ni mes amis, ni personne de mon entourage. Nous avons compris que même les plus grands chez nous ne comptent pour rien dans l’échiquier régional, que le sang des innocents ne veut rien dire dans la « realpolitik ». Je me mettrai de côté. Il y a tellement d’autre choses à faire dans la vie. Même les jeunes les plus engagés finissent par se décourager. Triste XXIe siècle qui voit la montée des intégrismes dans toutes les religions et le retour d’un néofascisme allié au lobbying du complexe militaro-industriel. Là-haut parmi les grands hommes, les hommes ordinaires ont l’air de fourmis que l’on manipule et que l’on ?écrase du pied. C’est peut-être le problème de ce siècle où ils disent « ne plus avoir le choix » ?tellement la démographie est partout galopante. Le Liban des Lumières aurait pu être un partenaire de choix pour l’Europe. Le problème, c’est que nous revenons à un Moyen Âge et cela est, hélas, le cas aussi au niveau planétaire. Monsieur le Président, si je vous écris, c’est que quelque part je crois qu’il existe encore de grands hommes qui savent encore écouter ce que personne n’a envie d’écouter. Ceci n’est rien d’autre qu’un cri du cœur. Nous les jeunes, nous sommes poussés à un égoïsme et à un individualisme et à un clientélisme qui seront fatals aux nouvelles générations. Les jeunes des banlieues en France ne savent pas la chance qu’ils ont de vivre là ou ils sont, dans un État libre et démocratique malgré toutes les failles de votre système ! Et je me porterai personnellement volontaire à témoigner de notre quotidien, ici, rythmé par les voitures piégées, afin de leur ouvrir les yeux sur la chance qu’ils ont de vivre là-bas. Mais cela est une autre affaire. Monsieur le Président, Tout a été dit par nos aïeux, par nos martyrs et nos penseurs. Il n’y a plus rien à ajouter. Depuis Michel Chiha et tellement d’autres jusqu’à nos jours… Et par respect pour leur combat, je ne dirai plus rien. Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir lu et je vous souhaite tout le succès dans le travail titanesque dont vous êtes chargé. ? Monsieur le Président, soyez le bienvenu !
Par Emil ISSA
Étudiant en sciences politiques à l’AUB

Monsieur le Président,
Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue dans notre pays : «?Ahlan Wa Sahlan ! »
C’est un honneur pour nous que d’accueillir le président d’une si grande nation qui a tant œuvré ?afin de sauvegarder et ?de propager les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité,...