INITIATIVE Au «?Théâtre joyeux?», la première école professionnelle d’acteurs handicapés

Dans un ancien quartier ouvrier, triste et désolé de Copenhague, un théâtre pas comme les autres vient d’ouvrir ses portes : le «?Théâtre joyeux?», première école théâtrale professionnelle au monde avec pour seuls élèves des handicapés physiques et mentaux. Une salle toute blanche aux larges baies vitrées, au parquet bien ciré?: Carole, Emil, Heidi, Camilla et les autres, des jeunes déficients psychiques, légers et moyens, apprennent à moduler leurs voix avec Anja Owe, une actrice professionnelle. Observant la scène, Lars Thomsen, 31 ans, un des deux pères de «?Glad Teater?», rêve déjà de voir un jour certains de «?ses poulains?», des autistes, attardés mentaux, psychotiques, monter sur les planches d’un théâtre établi ou d’un music-hall. «?Et pourquoi pas des étoiles. Les handicapés peuvent être plein de talents. Nous essayons d’en dénicher quelques-uns?», confie-t-il. L’école, inaugurée le 30 avril, accueille onze élèves souffrant de troubles mentaux, qui seront rejoints cet été par cinq à huit handicapés physiques pour une formation de trois ans et demi. Tâche ardue et un beau défi à relever surtout qu’il faut, même dans une société égalitaire et tolérante comme la danoise, affronter, dit-il, «?pleins de préjugés, y compris parmi les acteurs professionnels qui n’aiment pas cette idée de voir des handicapés empiéter sur leur terrain, risquant de leur voler leur emploi?». «?Nos élèves sont des êtres humains. Ils font partie de la société et ils doivent naturellement être représentés dans le milieu artistique et créatif au même titre que les autres?», dit-il. Lars avoue qu’il avait lui-même «?des préjugés en travaillant comme bénévole pendant deux ans et demi à ce projet?». «?Je craignais le moment venu qu’ils ne lâchent prise, car c’est un dur métier à apprendre, et je ne suis ni pédagogue ni spécialiste de leurs maladies.?» Mais en travaillant avec eux «?j’ai découvert que c’était comme travailler avec des acteurs normaux, sauf qu’ils peuvent passer d’un état à un autre en quelques minutes, d’un niveau adulte à un niveau jardin d’enfants?». Ni pitié ni commisération?: les élèves, nombreux au départ (l’école a reçu plus de 200 candidats), ont été passés au peigne fin : cours intensifs avant la sélection, puis trois jours de tests devant un jury. Ils sont ensuite soumis à nombre d’exercices, répètent un texte, un chant, un mime, comme une école de théâtre traditionnelle. Seuls les plus talentueux seront retenus. Léchant le soleil printanier pendant la pause déjeuner, Carole Cuisine, une Franco-Danoise attardée mentale de 38 ans, visage d’enfant espiègle, espère être de ceux-là. La commune de Copenhague lui paie les cours qu’elle suit assidûment. «?C’est très dur. Je veux réussir et montrer qu’on a autant de qualités que les autres, mais qu’on les exprime différemment?», raconte-t-elle. Partageant son avis, le codirecteur de l’école, Jesper Michelsen, 33 ans, metteur en scène et acteur formé aux États-Unis, souligne qu’il ne s’agit pas de gommer le handicap. Il est «?essentiel que les élèves soient conscients de leur handicap et qu’ils ne se prennent pas pour Sean Connery ou Julia Roberts?». Il est persuadé que «?les handicapés ont quelque chose à apporter de plus, une autre expression artistique, un regard différent, et qu’ils enrichiront le milieu du cinéma (...)?». Les élèves diplômés se verront offrir un contrat de stage de deux ans à «?Glad Teater?» où ils joueront avec d’autres acteurs professionnels, symbole de leur intégration et pour éviter que ce lieu ne soit qu’un «?théâtre d’handicapés isolé dans un coin perdu de Copenhague?». «?Glad Teater?» est soutenu par des partenaires en Angleterre, en Allemagne et en Suède. Il fait partie du groupe de médias pour handicapés Glad TV, qui abrite la première télévision au monde faite par et pour les déficients mentaux. Slim ALLAGUI (AFP)