Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L’identification inconsciente avec l’ennemi David SAHYOUN

« L’identification avec l’ennemi et la compulsion incontrôlable à imiter ses mots et ses actions sont très caractéristiques des névroses ethniques. » Georges Devereux Lorsqu’un être humain subit, durant son enfance ou bien à l’âge adulte, un événement dont les retentissements s’avèrent traumatiques sur son psychisme, il peut développer ce qu’on appelle un mécanisme d’identification à celui qu’il considère comme son agresseur, mécanisme dont il est inconscient, mais qui se manifeste d’une manière toujours étonnante et difficilement compréhensible au premier abord. Cela se vérifie également au niveau d’un groupe d’individus, une communauté religieuse ou ethnique. Ainsi, un individu ou un groupe d’individus peuvent dénoncer avec force et conviction la violence qu’ils pensent avoir subie de la part d’un agresseur, exprimer toute la haine et le rejet qu’ils éprouvent à son égard et pourtant se retrouver en train d’utiliser les mêmes systèmes de pensées et d’actions violentes que l’agresseur envers autrui, voire des personnes proches. Ce n’est pas une simple conduite d’imitation car les actions entreprises portent toute la charge féroce, brutale qui a été intériorisée. Et c’est bien de cela dont il s’agit : une personne, fragilisée par son agresseur, intériorise non seulement certains de ses traits, mais ses pulsions mêmes. Autrement dit, c’est une partie de l’identité de la personne fragilisée qui se développe à l’image des objets psychiques intériorisés appartenant à l’agresseur. Ce qui est aussi remarquable dans ce processus, c’est que la personne en arrive à tirer plaisir des productions de ces contenus intériorisés même s’ils lui sont néfastes. Un autre prolongement intéressant de ce mécanisme est sa manipulation dans les procédés de « lavage de cerveau » employés par certains services de police : la victime est amenée à un état de confusion mentale avancée, à la perte de confiance dans ses sens et ses capacités, à être emplie de haine et de rage à l’égard de son bourreau. Mais, en dépit de ce ressenti, c’est de ce même bourreau qu’elle attend le soulagement comme d’un parent bienveillant qui viendrait la consoler et la réconforter. Elle se fabrique alors de son bourreau, toujours inconsciemment, une image de « bon » parent et transfère sur elle-même les aspects mauvais de son tortionnaire, et cela parce que c’est la seule issue qui lui est offerte pour survivre. Son bourreau n’aura plus alors qu’à lui faire intérioriser les pensées et les sentiments qui correspondent à ses objectifs. Examinons maintenant notre histoire récente. En juillet 2006, Israël a fait subir à la nation libanaise entière un traumatisme d’une violence inouïe. Nous avons assisté, sidérés, impuissants, à un rare déchaînement de pulsions de mort au moyen, entre autres, de bombes de 500 tonnes ensevelissant indistinctement enfants, vieillards et adultes innocents. Nous ne comprenions pas les mobiles du déclenchement de cette barbarie et nous nous demandions pourquoi l’État hébreu s’en prenait avec une telle cruauté au Liban entier, à une population qui n’aspire qu’à la paix, alors que le conflit aurait dû se limiter aux deux partis en guerre : le parti d’Allah et celui de Jéhovah. Il fallait qu’il existe des motivations psychiques sous-jacentes, non déclarées et inconscientes, qui poussaient les Israéliens à punir un peuple entier des actions entreprises par un parti militaire se situant en dehors de la loi, sans le consentement de la majorité de la population libanaise. À l’époque, dans ce même journal, j’avais avancé l’existence d’un facteur explicatif déterminant, celui du réveil, du déclenchement du mécanisme psychique inconscient d’identification avec l’ennemi, chaque fois que les Israéliens revivaient les traumatismes ancestraux, réels ou fantasmés, d’élimination ou d’extermination. Edgar Morin, dans un article du Monde en 2002 avait relevé « l’incroyable paradoxe » suivant : « Les juifs d’Israël, descendants des victimes d’un apartheid nommé ghetto, “ghettoïsent” les Palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l’inhumanité montrent une terrible inhumanité. Les juifs, boucs émissaires de tous les maux, «bouc-émissarisent» (…) l’Autorité palestinienne, rendue responsable d’attentats qu’on l’empêche d’empêcher. » Un général israélien, Samuel Gordon, a lui-même comparé le bombardement de la banlieue-sud de Beyrouth au bombardement des nazis qui a détruit la ville espagnole de Guernica en avril 1937 et que Picasso a symbolisée dans un célèbre tableau. En ce début du mois de mai 2008, les mêmes interrogations ont refait irruption : quelles pouvaient bien être les motivations inconscientes du parti d’Allah qui, rejetant la juridiction libanaise et toute légitimité gouvernementale, s’est déclaré menacé dans son existence par des décisions que tout le monde savait totalement inapplicables ? Ne faut-il pas, une fois de plus, chercher les mobiles psychiques sous-jacents à ce déchaînement meurtrier, barbare, infligé à des milliers de Libanais dans la capitale, dans la montagne, au Nord et créant la terreur partout ailleurs ? La similitude des mécanismes psychiques motivant les agissements belliqueux du parti d’Allah avec ceux des entreprises guerrières du parti de Jéhovah est frappante. Nous retrouvons ce même mécanisme d’identification avec l’ennemi remontant probablement, chez le parti de l’imam Hussein, aux sentiments d’humiliation, de persécution et de frustration vécus et fantasmés au VIIe siècle, annuellement ravivés depuis lors et caractéristiques de ses conduites névrotiques. Nous trouvons, chez le parti d’Allah, d’une part, la haine proclamée de l’ennemi actuel (dénoncement de son injustice fondamentale à l’égard d’un peuple qu’il opprime et qu’il soumet à sa totale emprise, de son terrorisme, de sa violence guerrière, etc.) et, d’autre part, l’admiration devant ce même ennemi (sa structure, le fonctionnement de la justice « qui peut atteindre les hommes politiques », l’efficacité de sa machine militaire et de ses médias à travers le monde, sa stratégie guerrière, ses réseaux de communication, continuelle intrusion dans sa vie politique et militaire, etc.). Le procédé qui consiste à se saisir d’un prétexte fallacieux pour déclencher les hostilités est identique, alors que nous savons que les plans pour l’invasion des régions étaient préparés depuis bien longtemps et n’attendaient que leur exécution. L’arrogance affichée et hurlée par les petits chefs, orchestrée dans les médias, est encore la même. La tactique de guerre-éclair, réduisant à néant les possibilités défensives de l’autre, est aussi similaire à celle qu’Israël met en action, cela sans oublier la traque (exécutions ?) des opposants politiques ou militaires. Tout nous conduit à penser que le fantasme du parti divin le conduit à s’identifier à un État religieux aussi puissant qu’Israël, aussi implacable, aussi techniquement performant que l’État juif qu’il abhorre et admire en même temps afin, tout comme lui, d’écraser, d’humilier et d’éliminer par la violence tout individu ou tout groupe qui refuserait de se soumettre à ses dogmes et conceptions. Un avant-goût de l’actualisation de ces fantasmes nous a été présenté durant ces quelques jours de guerres de conquête. Le parti de Jéhovah fête cette année 60 ans de spoliation, d’oppression et d’assassinat du peuple palestinien, pris dans l’engrenage de l’aveuglement, prisonnier de ses fantasmes et de la répétition de ses réactions violentes, faute d’avoir le courage de réaliser que ses massacres depuis plus d’un demi-siècle ne lui ont pas amené la sécurité à laquelle son peuple aspire, faute de pouvoir sonder avec lucidité les mécanismes inconscients qui le déterminent. Dans 60 ans, il est difficile de penser que le parti d’Allah, s’il persiste jusque-là, fera mieux.
« L’identification avec l’ennemi et la compulsion incontrôlable à imiter ses mots et ses actions sont très caractéristiques des névroses ethniques. »

Georges Devereux

Lorsqu’un être humain subit, durant son enfance ou bien à l’âge adulte, un événement dont les retentissements s’avèrent traumatiques sur son psychisme, il peut développer ce qu’on...