Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Pour Renaud Egreteau, la junte militaire a su se renouveler par de nombreuses purges régulières dans ses rangs Seul un bouleversement interne au régime permettrait un changement visible en Birmanie Propos recueillis par Antoine AJOURY

«Allez tous voter, allez tous aux isoloirs. » Cet appel, relayé par des clips télévisés tout au long du mois dernier, était lancé par des chanteurs joviaux et enjoués, exhortant la population à participer massivement au référendum organisé par les autorités birmanes pour approuver la nouvelle Constitution. Paradoxalement, les médias locaux n’ont pas évoqué durant cette campagne continue l’une des pires catastrophes naturelles de l’histoire récente qui a fait près de 135 000 morts et disparus, après le passage du cyclone Nargis sur la Birmanie le 3 mai. Malgré les appels de la communauté internationale à privilégier les secours aux sinistrés, la junte a ainsi organisé son référendum le 10 mai contre vents et marrées dans la plupart des régions du pays, à l’exception des zones méridionales les plus touchées par le cyclone dévastateur. Puis, sans surprise, le régime militaire a crié victoire, annonçant, jeudi dernier, que plus de 92 % des électeurs ont approuvé la nouvelle Constitution. C’était la première fois que les Birmans étaient appelés à voter depuis les élections législatives de 1990 très largement remportées par le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi. À l’époque, les militaires avaient refusé d’honorer les résultats, et l’opposante, prix Nobel de la paix, a été privée de liberté pendant la majeure partie des 18 dernières années. Selon la junte, l’approbation de la Constitution ouvrira la voie à des « élections multipartites » en 2010 et à un « transfert de pouvoir » progressif aux civils, mais des dissidents estiment que le texte enracine au contraire la suprématie de l’armée, au pouvoir depuis 1962. Pour Renaud Egreteau, chercheur rattaché au CERI-Sciences Po, Paris, « le régime militaire a su se renouveler par de nombreuses purges régulières en son sein, notamment lors du coup d’État de 1988 ou de l’éviction des services de renseignements en 2004. L’armée contrôle l’ensemble des institutions du pays, administration et justice comprises, ainsi qu’une grande partie de l’économie formelle. Il s’appuie sur un vaste réseau de renseignements et de sécurité lui permettant de contrôler la société birmane. En outre, son credo nationaliste et isolationniste lui permet de ne pas subir passivement les influences extérieures ». En effet, la Birmanie est soumise à des sanctions américaines et européennes depuis plus de dix ans. Malgré les pressions occidentales, la révolte des moines bouddhistes l’année dernière et, aujourd’hui, les ravages du cyclone Nargis, rien ne semble toutefois déstabiliser la junte au pouvoir et rien n’a pu déclencher une ouverture démocratique. « Le régime est bien en place, il encadre la société, marginalise l’opposition civile de façon efficace et se montre imperméable aux pressions externes car il se base sur près de 5 décennies de méfiance xénophobe qui l’ont tenu (presque) éloigné des grands bouleversements géopolitiques mondiaux. Par ailleurs, la communauté internationale se montre divisée entre puissances régionales le soutenant tacitement (Chine, Thaïlande, Inde), les puissances le condamnant (États-Unis, Europe) et les puissances mal à l’aise donc peu investies (reste de l’Asie, Australie, Japon...). Enfin, l’opposition démocratique est complètement décapitée sans le soutien d’Aung San Suu Kyi, muette depuis son assignation à résidence en 2003 », estime M. Egreteau. La situation régionale actuelle (l’appui de Pékin, l’essor économique de l’Inde) a, en outre, donné à la junte un nouveau souffle. « C’est le cas depuis le milieu des années 1990, ajoute-t-il, depuis que la Birmanie a intégré l’Asean (1997). Auparavant, elle bénéficiait seulement du soutien chinois. Depuis, face à l’implantation effective de la junte, des pays comme l’Inde ont estimé qu’il fallait faire avec le régime et établir des relations cordiales avec lui, l’ostracisme, tel qu’il est pratiqué par les Occidentaux, ayant montré ses limites. » Pour Renaud Egreteau, « les pays occidentaux ne sont pas du tout désintéressés de la situation politique, au contraire. C’est parce qu’ils donnent la priorité aux condamnations de la junte pour ses manquements aux droits de l’homme, pour sa répression des opposants et pour son repli autiste auquel on assiste depuis le cyclone Nargis qu’ils ont peu d’influence dans le pays et ne sont que peu présents économiquement, à l’exception de quelques grands groupes, minoritaires par rapport aux entreprises asiatiques qui exploitent bien plus le pays ». À noter que malgré la pauvreté de la population (un foyer sur quatre vit sous le seuil de pauvreté), le pays est riche en matières premières (pétrole, gaz naturel, tek, jade, rubis et même uranium). Des richesses qui servent à nourrir la junte (l’an dernier, une vidéo ayant filtré à l’étranger dévoilait les images du mariage de la fille de Than Shwe, couverte de perles et de diamants) ainsi qu’une armée de 400 000 hommes. Ainsi, à l’instar de tout régime autoritaire, la classe dirigeante est devenue de plus en plus riche face à une population de plus en plus pauvre. « La situation actuelle ne prête pas à l’optimisme. Une ouverture progressive de l’économie birmane, notamment par un allègement de sanctions occidentales, pourrait éventuellement permettre à l’économie birmane de se développer et à la population birmane d’en bénéficier. Mais l’état de contrôle de l’économie par les militaires est tel qu’il faudrait un bouleversement interne au régime pour envisager un changement visible », conclut M. Egreteau.
«Allez tous voter, allez tous aux isoloirs. » Cet appel, relayé par des clips télévisés tout au long du mois dernier, était lancé par des chanteurs joviaux et enjoués, exhortant la population à participer massivement au référendum organisé par les autorités birmanes pour approuver la nouvelle Constitution.
Paradoxalement, les médias locaux n’ont pas évoqué durant...