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Actualités - CHRONOLOGIE

GROS PLAN - L’artiste égyptien a donné une conférence au Madina dans le cadre de Home Works IV Hassan Khan, manipulateur de mots, d’images et de sons Maya GHANDOUR HERT

Lorsqu’un artiste vous annonce sans ambages « I am not what I am » (« Je ne suis pas ce que je suis »), il y a de quoi être interloqué et effrayé à la fois. L’on s’attend en effet à une dissertation philosophico-existentielle sur l’art conceptuel et ses ramifications psychanalytiques. Les spectateurs qui ont assisté à la conférence de Hassan Khan au Madina, dans le cadre de Home Works IV, n’ont pas été déçus dans ce sens-là. L’artiste égyptien a abreuvé l’assistance d’un jargon technique un brin désorientant pour le grand public. Des explications simplifiées s’imposaient donc, histoire de faire connaître cet artiste qui fait beaucoup parler de lui et semble être aussi à l’aise en Europe comme dans le monde arabe ou en Extrême-Orient. Hassan Khan est un artiste, compositeur et écrivain dont l’œuvre se situe aux confins de ces disciplines. « Mais en même temps, je ne veux pas effacer les particularités de chaque activité, précise-t-il. Cela mène à une sorte de paradoxe, surtout lorsqu’on considère que je suis apte à casser ces spécificités à tout moment. En réalité, j’applique des règles auxquelles je ne crois pas. Mes œuvres sont érigées à partir d’une série de préoccupations, d’intérêts et d’imaginations et, pourtant, chaque création est unique dans sa forme, son approche et son média. Je me considère chanceux d’avoir pu amasser ces expériences variées. Chaque domaine possède des aires d’intersection avec l’autre et je suis en état d’apprentissage continu. » Dans ses films et ses installations vidéo, il emploie une syntaxe syncopée, un langage audiovisuel chiffré à travers lequel il invite son public à se rendre compte du pouvoir pernicieux du média qu’il utilise (vidéo, son ou performance), tout en déclarant ouvertement qu’il les manipule de la même manière qu’ils vous manipulent à vous. Des exemples s’il vous plaît ! Prenons The Hidden Location, œuvre réalisée en 2002 et qui consiste en quatre projections simultanées et synchronisées, proposant une formalisation de systèmes urbains, expérimentés au niveau affectif et émotionnel. Chaque séquence crée un langage, une approche et un style visuel différents. Cette pléthore de styles est employée pour tisser des moments de narrations dispersées avec des images extraites de leurs contextes, des séquences issues d’un processus d’élaboration avec des acteurs, avec une construction entre la fiction et le documentaire. Ou encore Kompressor, présenté en 2007 au Salon d’automne de Paris. « Kompressor est un logo, une marque, en fin de compte un mécanisme, une façon de travailler, de comprendre comment des œuvres peuvent être présentées », prévient l’artiste. Explications : « J’ai utilisé ce logo pour la première fois à l’exposition à la galerie Gasworks en 2006. L’exposition était composée de différents éléments (images, sons, interventions architecturales) qui entraient en écho les uns avec les autres d’une façon spécifique, basée sur la manière dont ils étaient présentés dans l’espace physique de la galerie. Pour l’exposition du Plateau à Paris, certains de ces éléments seront repris, mais de nouvelles pièces seront aussi produites à cette occasion. L’espace du Plateau est très différent de celui de la galerie Gasworks et présente, à ce titre, un défi différent et, par extension, demande une intervention différente. J’aime utiliser le mot “articulation” parce que cela relie le projet entier à l’idée d’une manifestation bien qu’il ne s’agisse pas d’une manifestation mystique, invisible ou mystérieuse, mais bien plutôt d’une manifestation qui suppose une forme d’agencement actif. Une disposition de “présence”. Dans Kompressor, je vise à trouver le moment, quand c’est possible, où l’on oublie ce qu’on est en train de faire exactement, autant que la distance, une écoute qui tient à un matériau qui ne se fie pas à un index de compréhension et de cheminement linéaires. » Le désir et la colère Ni le voile ni l’héritage colonial ne nourrissent donc l’œuvre de Khan, qui se défend farouchement des étiquettes et autres labels, symboles pour lui de paresse intellectuelle. Les « thèmes » abordés alors ? « Les choses ne sont pas aussi clairement définies. Mais une liste approximative : le pouvoir, la peur, le plaisir, “persona”, l’insécurité, la construction, les relations humaines, la densité, le désir, la possession, la normalisation, la civilisation, la colère et l’agression, la paranoïa, les stratégies. » Le travail de Hassan Khan a été présenté, entre autres, à la 8e Biennale d’Istanbul (2003), la première Triennale de Torino (2005), la Biennale de Séville. Ses expositions individuelles ont été présentées à Londres (Gasworks Gallery, 2006), à Toronto (2005, A Space Gallery), à Paris (galerie Chantal Crousel, 2004) et au Gezira Art Center du Caire (1999). Khan possède également à son actif un album, Tabla Dub, sous le label musical 100COPIES. Ses œuvres impliquent toujours le spectateur dans une série d’associations et dans des expériences émotionnelles liées aux univers urbains dans leur relation à l’histoire, au pouvoir, à la culture et au mythe. Le spectateur n’est pas un simple « regardant ». Il fait partie de l’œuvre. « Je me suis, dès mes débuts, intéressé à cette relation entre le travail artistique et le public ou le spectateur. Mon intérêt n’est pas dans les gestes d’inclusion ou d’interactivité qui semblent être une excuse fatiguée pour la production de situations libérales autocongratulatoires. Je cherche également à célébrer mon autorité. » « La grandeur, la force d’une œuvre, est parfois mesurable à l’engagement du voyeur. Je suis totalement en phase avec mon travail, alors j’espère que le spectateur l’est aussi. » Il habite Le Caire. Cette ville habite son œuvre, il le reconnaît. Mais cette dernière parle aussi de structure, de perception, de subjectivité, d’expériences personnelles ou bien de l’imaginaire tout court. La densité urbaine de la ville, unique en son genre, créé un état d’esprit assez particulier. « Les relations humaines, tout devient intense. Et je suis accro à cet état d’esprit là. » Sa première création artistique ? Il ne s’en souvient pas vraiment. Mais il sait que pendant sa première adolescence, il réalisait sciemment des « choses ». Comme écrire des poèmes et s’imaginer aussitôt être le plus jeune lauréat du Nobel, ou bien, à l’aide d’une guitare désaccordée, traficoter une bande sonore pour accompagner Un chien Andalou de Bunuel, ou encore fonder, avec son ami Amr Hosny, un groupe d’artistes imaginaire qu’ils ont joyeusement intitulé « al-Gazarin » (Les bouchers). « Pour notre première performance, nous devions jouer le rôle de morceaux de viande accrochés aux cimaises d’une galerie. Mais ce show n’a jamais eu lieu », regrette-t-il avant de commenter : « L’art et l’ambition ne sont pas nécessairement ennemis. » L’élément de surprise Élitiste, l’œuvre de Hassan Khan ? « Rien n’est accessible à tout le monde. Chacun voit les choses à travers le prisme de ses propres expériences et de sa culture personnelle. Mais en même temps, je pense que l’œuvre d’art recèle toujours un extra inconnu, un élément de surprise qui la rend accessible à des gens venant de milieux complètement différents. Je pourrais dire alors que l’œuvre n’est pas accessible à tous, mais qu’elle est ouverte à plusieurs possibilités. Les gens y verront des choses différentes et certains n’y verront rien du tout. C’est ainsi. » Alors qu’est-ce qu’est l’art pour Hassan Khan ? « Pour expliquer les choses d’une manière purement matérialiste, il faut souligner que l’art est tout ce qui est nommé art. Nonobstant toutes les interrogations possibles sur certaines œuvres, il faut accepter cette position initiale parce que c’est ce qui garantit, à mon avis, la spécificité de l’art. La possibilité de sa redéfinition à tout moment. C’est la seule garantie que le système ne sera jamais fermé. C’est absolument nécessaire de laisser le champ au questionnement des définitions. Même des manières les plus idiotes. »
Lorsqu’un artiste vous annonce sans ambages « I am not what I am » (« Je ne suis pas ce que je suis »), il y a de quoi être interloqué et effrayé à la fois. L’on s’attend en effet à une dissertation philosophico-existentielle sur l’art conceptuel et ses ramifications psychanalytiques. Les spectateurs qui ont assisté à la conférence de Hassan Khan au Madina, dans...