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Actualités - OPINION

Au piège de la victoire

La meilleure des défenses est souvent l’attaque. Après un an et demi de crise, c’est cette règle d’or de la science militaire que vient d’appliquer le Hezbollah pour modifier de fond en comble, à son avantage, les données du problème libanais. Comme toute chose a un prix cependant, il lui aura fallu pour cela jeter aux orties une autre règle non point d’or, mais de bois, celle-là : une règle qu’il affirmait s’être imposée, une règle qui n’a jamais fait trop illusion au demeurant, celle de ne jamais tourner ses armes contre des Libanais. Pour autant, ce n’est même pas une guerre préventive qu’a lancée le parti de Dieu afin de se rendre maître des quartiers ouest de la capitale. Car aucune main ne le menaçait, qu’il convenait de trancher vite fait, comme s’y engageait mercredi à la télévision Hassan Nasrallah. À aucun moment il n’a été question, pour l’establishment politique du moins, de le désarmer par la force. Et même quand fut ordonnée l’ouverture d’enquêtes sur ces abus caractérisés que sont la surveillance par caméra des pistes de l’aéroport international de Beyrouth et la mise en place d’un réseau de télécommunications privé, il était évident pour tous que le gouvernement n’avait guère, là, les moyens de sa politique : que ces deux affaires étaient promises aux arguties du débat politique comme aux légendaires lenteurs de la machine judiciaire. Par sa fulgurance et sa violence, mais aussi par les inacceptables exactions qui l’ont accompagnée et qui n’avaient d’autre objet que d’intimider, de terroriser, l’offensive du Hezbollah apparaît bel et bien, dès lors, comme un plan minutieusement élaboré, lentement mûri et qui n’attendait que le jour J pour être appliqué. Au plan psychologique et de la propagande, l’opération aura été précédée d’une incroyable prestation dans l’art de retourner contre l’adversaire les mêmes arguments qui vous sont opposés. Ainsi, et à titre d’exemple, l’AIB pris en otage au mépris de toutes les lois ? Rien qu’un corridor par où étaient acheminés armes et argent à ces traîtres et vendus de gouvernants, a cherché à faire accroire une milice notoirement fondée, armée et financée par l’Iran. Le déchaînement de violence, le vandalisme, l’élimination des organes d’information du Courant du futur auront donné peu après un éloquent spécimen des vertus démocratiques, civilisées, dont l’opposition n’a cessé de se réclamer. De même, ce n’est absolument pas un coup d’État qu’a opéré le Hezbollah : si coup il y a bien en effet, c’est en réalité un coup de non-État. Pour avoir violé sa promesse solennelle de ne tirer en aucune circonstance sur d’autres Libanais, pour avoir fait d’une manifestation à caractère social un mouvement de désobéissance civile vite mué en agression militaire, ce parti perd toute crédibilité en ce qui concerne la myriade d’autres engagements contractés sur la place publique. C’est bel et bien l’essence, sinon la totalité du pouvoir, qu’il convoite, même s’il ne revendique qu’une simple, normale et banale association. Et cette énorme part de pouvoir, avec toutes les connexions extérieures qu’elle implique, le Hezbollah ne pourra jamais l’imposer à tous les Libanais. Ce n’est pas une république nouvelle, mais des ruines de république que peut engendrer une telle démarche. Tout cela, le Hezbollah, qui a les dents bien longues, mais qui aura sans doute du mal à digérer son triomphe, devrait en prendre conscience, ne serait-ce que par devoir de loyauté à l’importante communauté libanaise dont il assume le destin. Devraient en prendre conscience aussi ceux des alliés qui plastronnent au spectacle de cette nouvelle (et divine ?) victoire et qui ne dédaigneraient pas une gloriole présidentielle sur ces ruines de république. Un gouvernement assiégé, mais qui ne peut se dédire et annuler ses dernières décisions sans perdre la face et même bien davantage ; et en face, une organisation armée décidée à récolter tout de suite les fruits de son aventure : par sa gravité, le rébus actuel ne laisse d’autre arbitre en place que le commandant de l’armée, qui se trouve être aussi le président virtuel du pays, si tant est bien sûr que les appuis qui lui ont été exprimés de toutes parts sont tous sincères. Dans l’ensemble, c’est un comportement exemplaire qu’avait eu l’institution militaire depuis le séisme de l’an 2005. Ce n’est pas l’accabler, ce n’est pas méconnaître les précautions qu’exige le souci de sa propre cohésion que de constater qu’en maintes occasions durant ces derniers jours elle a été prise en défaut. Et ce n’est pas pousser l’armée au suicide que de lui rappeler le plus élémentaire de ses devoirs, c’est-à-dire la protection et la défense de l’autorité légale, mais aussi des services publics. Sagesse et doigté sont de rigueur bien sûr. En revanche, toute tentation manœuvrière ne serait qu’une porte ouverte à toutes les compromissions. Là aussi, c’est sur des ruines de république que se seraient hissées les étoiles d’épaulette… Issa GORAIEB
La meilleure des défenses est souvent l’attaque. Après un an et demi de crise, c’est cette règle d’or de la science militaire que vient d’appliquer le Hezbollah pour modifier de fond en comble, à son avantage, les données du problème libanais. Comme toute chose a un prix cependant, il lui aura fallu pour cela jeter aux orties une autre règle non point d’or, mais de...