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RENCONTRE - Les codirecteurs du festival en visite de repérage à Beyrouth Baudriller et Archambault racontent la singularité d’Avignon

Vincent Baudriller et Hortense Archambault sont les jeunes codirecteurs du Festival d’Avignon depuis 2004. Elle a 38 ans, lui 40. Ils ont décidé de parler d’une seule voix. À Beyrouth en visite de «?défrichage et repérage?», ils ont présenté au public de la salle Montaigne au CCF leur conception originale de la direction du festival, raconté les grandes étapes de son histoire et expliqué pourquoi ils ont tenu à choisir Wajdi Mouawad, auteur-metteur en scène libanais exilé au Québec, pour être l’artiste associé de l’édition 2009. Le Festival d’Avignon accueille chaque année plus de 100?000 spectateurs. Il s’est affirmé, en 62 ans d’existence, comme le rendez-vous annuel incontournable des amoureux du théâtre, spectateurs néophytes ou fidèles, et des professionnels qui prennent tous les ans d’assaut, dès les premiers jours de juillet, la petite ville du sud de la France. Le secret de la vitalité de cette manifestation,?grande également par la qualité des spectacles que l’on y propose ? «?Depuis ses origines, il y a soixante-deux ans, le Festival d’Avignon se caractérise par un souci double d’innovation et de partage, indique le codirecteur. C’est un festival de création où les artistes invités prennent le risque de proposer de nouvelles formes de théâtre, tout en s’assurant qu’un large public puisse y accéder. Le fondateur, Jean Vilar, était animé par l’idéal du théâtre populaire, en rupture avec les théâtres bourgeois parisiens, et convaincu de la nécessité de placer le public au centre de tout. Depuis, les directeurs successifs ont toujours tenté d’allier l’impératif du renouveau avec cette conviction de Vilar. C’est cela la spécificité du Festival d’Avignon et le secret, à mon sens, de la grande vitalité de cette manifestation.?» Concernant la direction à deux, Vincent Baudriller explique que c’est une première dans l’histoire du festival. «?J’assume la direction artistique, Hortense la mise en œuvre, notamment dans ses applications financières et sociales. Mais tous deux avons une réflexion commune sur l’ensemble du projet et nous partageons les responsabilités.?» La codirectrice précise, elle : «?Il s’agit d’abord d’être dans un esprit de dialogue. Si on veut rêver à des projets, il faut penser aussi à la manière dont on peut les faire aboutir. Sinon on prend le risque de mettre en péril ce qu’on avait imaginé.?» Le duo dirigeant a décidé de s’installer à l’année à Avignon et non plus à Paris, comme les prédécesseurs. C’est un symbole?? Vincent Baudriller précise qu’il s’agit là d’un choix. «?Il répond à notre envie d’avoir une autre relation avec les artistes. Nous voulons les faire venir à Avignon, pour qu’ils rêvent en se promenant dans les cloîtres, les carrières, le palais. Cette ville possède une architecture et une mémoire très fortes. Si ses lieux participent de la genèse des projets, cela peut rendre la création encore plus intéressante. Le choix d’Avignon permet aussi d’avoir une autre relation avec le public local et régional. Et il facilite énormément les relations avec les partenaires publics locaux et régionaux.?» Le projet d’Archambault et de Baudriller pour les quatre années à venir : accentuer la singularité du festival, où le public est disponible et curieux. «?Nous voulons qu’Avignon ne soit pas seulement un lieu de spectacles, mais de rencontre entre une démarche artistique et le public. Ce qui nous intéresse, c’est de développer l’œuvre d’un artiste en profondeur. Nous ne voulons pas seulement présenter une création, mais donner des clés pour entrer dans une œuvre.?» La codirectrice ajoute : «?Cela croise notre fascination pour les artistes qui ont un univers singulier. Pour donner plus de caractère aux éditions et aussi pour être bousculés dans nos manières de faire, chaque année un artiste est associé au festival?: Thomas Ostermeier en 2004, Jan Fabre en 2005, Josef Nadj en 2006 et Frédéric Fisbach en 2007. En 2008, l’actrice Valérie Dreville et Roméo Castelluci?et, en 2009, l’auteur-metteur en scène d’origine libanaise Wajdi Mouawad.?» Elle poursuit?: «?L’artiste associé nous parle d’abord de son regard sur le monde et sur le théâtre. C’est seulement après ce dialogue que nous commençons à réfléchir à la programmation, à la meilleure manière de répercuter ses observations sur le choix et l’organisation des spectacles. Ce temps de dialogue est précieux, car il nous aide à réinventer le festival chaque année en lui donnant une coloration particulière. Il permet aussi de maintenir notre travail au cœur de la préoccupation de la création artistique.?» Vincent Baudriller ajoute que «?c’est son admiration pour Mouawad et la manière dont ce dernier essaye, à travers son écriture et sa mise en scène, de raconter le monde et son incohérence?» qui a guidé son choix. Il note que la collaboration avec l’artiste d’origine libanaise est à ses débuts. «?D’abord, nous avons de longues discussions avec l’artiste associé pour mieux comprendre son travail, ses goûts, ses dégoûts. Puis il y a des échanges?: il nous présente ou fait découvrir des artistes qu’il aime et nous lui parlons d’artistes que nous trouvons intéressant de confronter à son œuvre. Ainsi naît une constellation, formée de nos envies.?» C’est ainsi que les deux directeurs du festival se trouvent à Beyrouth pour défricher la scène locale et partir aux sources de l’inspiration de Mouawad dont l’œuvre est empreinte du Liban. Rendez-vous donc en juillet 2009. Grandes lignes historiques du Festival d’Avignon L’histoire du Festival d’Avignon commence à la fin des années 40. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement dévastatrice pour l’ensemble du monde européen, la France tente de renouer tant bien que mal avec la vie culturelle. L’organisation inédite, en septembre 1947, d’une semaine d’art dramatique (on ne parlait pas encore de «?festival?»), dans l’enceinte du Palais des papes, s’inscrit dans ce processus de renaissance et de renouvellement. L’initiative en revient à un couple de galeristes parisiens tombés follement amoureux de la région – la Provence – et qui ont choisi ce site historique, alors presque à l’abandon, pour présenter leur fonds exceptionnel d’œuvres d’art contemporain. Sur les conseils de leur ami, le poète René Char, le couple Zervos fait appel à l’étoile montante du théâtre français de l’après-guerre, Jean Vilar, pour accompagner leur exposition en organisant une semaine de représentations théâtrales en plein air, dans la cour d’honneur du Palais des papes. Après un refus initial, Vilar accepte de relever le pari, un pari d’autant plus difficile que, au dire même du comédien, cette cour était «?techniquement un lieu théâtral impossible?» et que «?l’histoire?» y était «?trop présente?». Génial et inventif, Jean Vilar saura pourtant jouer des difficultés techniques de la cour d’honneur et en faire un espace merveilleusement théâtral où ont été présentées, depuis, quelques-unes des plus grandes pièces du répertoire européen, de Shakespeare à Büchner, en passant par Beaumarchais, Molière, Hugo, Calderón, Goldoni ou Beckett. Mais, plus encore, Vilar, partisan d’un théâtre populaire et d’un art dramatique qui « serait comme le gaz et l’électricité?» à la disposition de tous, va profiter de la liberté que lui procure l’éloignement de la capitale et de l’audace architecturale des lieux pour inventer un théâtre nouveau, proche du spectateur et en rupture avec les traditions bourgeoises des salles parisiennes. Le succès est au rendez-vous dès le début des années 50 et le festival devient rapidement un événement incontournable de l’été. Pendant deux décennies à la tête du Festival d’Avignon, Jean Vilar lui imprime sa marque et fixe des orientations fondamentales?: mettre le public «?au centre?», rendre les grandes œuvres du répertoire européen accessibles au plus grand nombre, ouvrir ce festival d’art dramatique à d’autres disciplines, la danse avec Maurice Béjart, la musique avec, notamment, Jorge Lavelli, ou le cinéma avec Jean-Luc Godard. Sur les traces du fondateur – Vilar meurt en 1971?–, ses successeurs (Paul Puaux, Bernard Faivre d’Arcier, Alain Crombecque et les directeurs actuels, Hortense Archambault et Vincent Baudriller) ont poussé plus loin cette ouverture à d’autres formes artistiques, en accueillant à Avignon des concerts, des expositions, mais aussi du cirque et du théâtre équestre. Enfin, et surtout depuis les années 80, le festival s’est tourné vers des créateurs étrangers. Sa programmation d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle des années 50 ou 60, où il représentait essentiellement le répertoire français. Cette internationalisation a permis au public, francophone à 90 %, de découvrir les œuvres des plus éminents chorégraphes contemporains (Merce Cunningham ou Pina Bausch), mais aussi des pratiques théâtrales venues d’ailleurs. Vilar lui-même avait montré la voie en invitant, dès 1968, le Living Theatre. Ce sera ensuite le tour du théâtre musical italien, du nô japonais ou du tazieh, drame religieux iranien. D’ailleurs, l’adaptation, en 1985, de l’épopée indienne le Mahabharata par le duo Peter Brook et Jean-Claude Carrière demeure un moment de grâce exceptionnel. M.G.H.
Vincent Baudriller et Hortense Archambault sont les jeunes codirecteurs du Festival d’Avignon depuis 2004. Elle a 38 ans, lui 40. Ils ont décidé de parler d’une seule voix. À Beyrouth en visite de «?défrichage et repérage?», ils ont présenté au public de la salle Montaigne au CCF leur conception originale de la direction du festival, raconté les grandes étapes de son...