Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Impression Je suis venu te dire…

Voilà donc trois ans que l’armée syrienne a quitté le Liban. Après une trentaine d’années de « présence » dans tous les rouages de l’État et de la société, de flux et de reflux, de déploiements et de replis, de succions et de déglutitions, de pressions et de dépressions, de bonus aux soumis, de malus aux révoltés, les soldats sont partis. Il y avait quelque chose d’extravagant dans ces images qui repassaient en boucle aux informations, files de camions quittant la frontière sous le soleil d’avril, presque sans bruit, sans commentaire, sans adieu. Les manifestants n’en revenaient pas, qui avaient pris l’habitude de remplir la place des Martyrs tous les lundis pour réclamer leur départ. En d’autres temps, leur rassemblement eut été réprimé, mais c’était un temps de stupeur. Les soldats sont partis, laissant pantois les manifestants de la place dont l’enthousiasme avait du mal à retomber. Ils avaient encore tant à dire avec leurs drapeaux, leurs calicots et leurs dazibaos. Leurs banderoles avachies que le vent lui-même ne voulait plus porter serpentaient lamentablement sur l’asphalte, pareilles à ces talismans dont le pouvoir magique ne sert qu’une seule fois. Frustration. Frustration surtout du côté des « amis » de la Syrie, de l’extrême Nord, de l’extrême Sud, de l’Orient extrême, ce peuple des confins éternel orphelin du pouvoir de Beyrouth. Sans cesse, il leur a fallu trouver protection auprès du grand voisin. Trop faible, l’État libanais n’a jamais su étendre son influence au-delà du périmètre de quelques agglomérations et de quelques quartiers de la capitale. Chagrin d’amour ici, où le sentiment d’abandon fut accentué par la rapidité de l’évacuation. Pas une poignée de main, pas une accolade, rien de ce qui, humainement, après tant d’années de vie commune valide une séparation, ne permit d’exprimer l’émotion ou la reconnaissance. Chagrin de haine, pour d’autres. Rancune inassouvie pour les années d’oppression, de sécurité sélective, de justice élective, de prospérité conditionnelle et de vérifications d’identité aux barrages qui faisaient de chacun un suspect. Pas une signature, pas un engagement, pas un accord, pas un armistice, rien de ce qui, entre deux États, permet de conclure une entente. Sentiment d’impunité et surtout d’inachèvement. Il faut lire dans ce départ précipité tout le génie de la stratégie syrienne. Dans ce message sans parole, un « Je pars quand je veux et j’entre quand il me plaît ». Chantage affectif adressé aux amis, menace sans voile pour les autres. Dépit à l’orientale que l’on sait lourd de conséquences quand on vit sous nos cieux. Trois ans que nous vivons cette lourdeur. L’insécurité est faite de rumeurs qu’un attentat de temps en temps confirme pour ranimer les braises. D’un inquiet congénital, le Libanais se mue en paranoïaque incurable. Mais que sont trois ans après des décennies ? Les stèles de Nahr el-Kalb, où les armées de passage ont gravé un mot d’adieu, témoignent de notre vulnérabilité aux invasions. Ici, chacun a laissé un souvenir de son séjour, qui un peu de sa langue, qui un peu de ses mœurs. La France nous a même laissé un cadastre, une infrastructure routière, des réseaux de distribution d’eau. De la Syrie, il nous reste quelques check-points en déshérence, Anjar, Beau rivage, une espionnite aiguë, et cette propension à toujours accuser l’autre de ses malheurs. La Syrie, elle, n’a jamais dit qu’elle s’en allait. Et pourtant, il vogue le navire. Il ne manque pas de rameurs. Il va sans cap, sans timonier, cabote sans horizon. Pourvu qu’il lui reste au ciel une étoile. Fifi ABOU DIB
Voilà donc trois ans que l’armée syrienne a quitté le Liban. Après une trentaine d’années de « présence » dans tous les rouages de l’État et de la société, de flux et de reflux, de déploiements et de replis, de succions et de déglutitions, de pressions et de dépressions, de bonus aux soumis, de malus aux révoltés, les soldats sont partis. Il y avait quelque chose...