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Actualités - CHRONOLOGIE

CONFÉRENCE - Dans le cadre du Festival du printemps au théâtre Tournesol « L’art et les tabous religieux dans l’islam » par Nasr Hamed Abou Zeid

Menacé de mort, condamné au divorce par un tribunal du Caire, Nasr Hamed Abou Zeid, qui défendait « une approche littéraire du texte coranique, comme tout autre texte écrit en arabe », a été contraint à l’exil aux Pays-Bas pour fuir le terrorisme intellectuel en Égypte. Le professeur d’études islamiques, dont l’affaire a défrayé la chronique au début des années 90, a donné une conférence au théâtre Tournesol (dans le cadre du Festival du printemps) sur le thème de « L’art et les tabous religieux dans l’islam ». Nasr Hamid Abou Zeid figure parmi les théologiens libéraux les plus connus de l’islam. Son œuvre cherche à interpréter le Coran par une herméneutique humaniste. Résultat : il est officiellement déclaré « apostat » par les tribunaux égyptiens en 1996. Les problèmes de ce chercheur en théologie, né en 1943 en Égypte, commencent dès 1992, quand il affirme que le Coran n’est pas le Verbe incarné et éternel, mais une œuvre culturelle qui doit être comprise en tenant compte du contexte historique. Dans son livre Critique du discours religieux (Actes Sud, 1999), il explique qu’il ne faut pas s’en tenir au sens littéral du texte, mais le soumettre à une analyse historique, sociologique et linguistique. Le professorat lui échappe, sous prétexte que son œuvre porte atteinte à l’islam. En 1995, la justice prononce d’office son divorce, puisqu’une musulmane ne peut vivre avec un apostat. Abou Zeid résume alors la complexité de la situation en affirmant qu’il allait intenter une action en justice. « Seulement, avait-il dit, je ne sais pas auprès de qui me plaindre ni contre qui. » Afin d’éviter la séparation et d’échapper aux menaces de mort qui pèsent sur lui en Égypte, il s’exile aux Pays-Bas et enseigne à l’Université de Leyde. Il a publié la plupart de ses ouvrages en arabe au Caire et à Beyrouth. En 2002, la médaille de la Liberté de croyance de la Fondation Franklin-Roosevelt lui a été décernée. Nasr Abou Zeid prépare actuellement son autobiographie. Ce spécialiste de l’islam refuse de voir dans le débat sur l’islamisme une opposition entre l’islam et l’Occident. « L’Orient et l’Occident sont des concepts abstraits de notre imagination. Au cours de l’histoire, ils se sont influencés et se sont complétés mutuellement. Ils se sont combattus. Si je prends mon parcours comme exemple, voici ce que signifie pour moi la construction de l’identité. Mes origines – arabe égyptien et musulman – signifient que ma culture est riche de multiples facettes : pharaonique, grecque, romaine, copte, arabe et islamique. J’ai étudié et enseigné aux États-Unis et au Japon et, aujourd’hui, je vis en Europe. Désormais, quelle est mon identité ? Est-elle plutôt orientale ou occidentale ? Je souhaite que le terme “identité” soit débarrassé de son étiquette simpliste, telle que “européen” ou “musulman”. Cette notion devrait être plus complexe. » Concernant les tabous religieux et l’art, Abou Zeid estime que « c’est dans l’art que l’homme exerce les plus hauts degrés de l’affranchissement. Il se libère des liens du corps dans la danse ; des contraintes rythmiques dans la musique ; des servitudes de la matière dans les arts plastiques ; des attaches de la langue usuelle dans la poésie et la littérature. L’humanisme de l’homme est révélé dans l’art. Et c’est dans l’art uniquement que l’être humain se libère pour pouvoir construire son monde et développer sa culture. C’est à cause de cette liberté absolue dans l’art que les extrémistes – toutes confessions, religions, tranches sociales et politiques confondues – détestent l’art et exercent envers l’art et les artistes toutes formes d’intimidations et de censures. » Et pourtant, selon lui, la relation entre la religion et l’art est plus étroite qu’on ne le supposerait de premier abord. « La prière, surtout chez les chrétiens, prend la forme d’une performance artistique rythmée. En islam, la récitation du Coran est musicale. Le dessin et la peinture sont présents également dans l’iconographie chrétienne. Quant à l’architecture, si l’art est vraiment “haram”, il faudrait alors démolir tous les lieux de prière qui rivalisent de beauté et de grandeur. » Le courage de l’auteur et la vigueur de ses positions sont exemplaires. Tout en argumentant pour défendre ses thèses, il fait usage d’un verbe acerbe contre ses détracteurs et ne se laisse tenter par aucune concession. Son sens de l’humour ne gâche pas les choses et ajoute au charme de ses paroles. Sa conférence, un véritable traité spécialisé et pointu, sera publiée. Depuis le début de sa carrière universitaire, Abou Zeid a développé une vision renouvelée du Coran et des textes sacrés musulmans, se basant sur une interprétation du texte, remis dans son contexte historique, linguistique et culturel. Abou Zeid est certainement le promoteur d’une pensée musulmane moderne, approchant de manière critique les discours musulmans contemporains et classiques en utilisant la théologie, la philosophie, le droit, les sciences politiques et l’humanisme. Le but de ses recherches est d’appuyer une herméneutique humaniste qui pourrait permettre aux musulmans de construire un pont entre leurs propres traditions et les idées modernes de liberté d’expression, d’égalité (droit des minorités, droits des femmes, justice sociale), de droits de l’homme, de démocratie et de mondialisation. « La société égyptienne, dit encore Nasr Abou Zeid, est plus théocratique que civile. Elle n’est entrée en contact avec l’Occident qu’au début du XIXe siècle. À partir de là, les structures de l’État se sont modernisées, mais deux enseignements ont perduré : l’un traditionnel et religieux, symbolisé par l’Université d’el-Azhar, l’autre moderne et civil, symbolisé par l’Université du Caire. Il y a toujours eu conflit entre les deux. Mais peu à peu, l’Université du Caire a été colonisée de l’intérieur par les traditionalistes. Dans mon cas, l’attaque est venue de l’intérieur et ce sont des intellectuels et des journalistes de l’extérieur qui m’ont défendu. Il y a cinquante ans, quand cheikh Taha Hussein avait été accusé d’apostasie pour son ouvrage sur la poésie préislamique, l’université avait pris sa défense. Le rapport du procureur de l’époque admettait l’existence de points de vue différents entre science et religion. Utiliser la science n’était pas un crime. Si on compare ce rapport avec celui me concernant, on constate qu’il y a eu un recul très net depuis lors. Cela me paraît grave, car si l’enseignement est menacé, c’est la société tout entière qui est menacée. » M.G.H.
Menacé de mort, condamné au divorce par un tribunal du Caire, Nasr Hamed Abou Zeid, qui défendait « une approche littéraire du texte coranique, comme tout autre texte écrit en arabe », a été contraint à l’exil aux Pays-Bas pour fuir le terrorisme intellectuel en Égypte. Le professeur d’études islamiques, dont l’affaire a défrayé la chronique au début des années...