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Actualités - REPORTAGE

Mutinerie de Roumieh - Les quatre généraux n’ont aucun lien avec les incidents, affirme Sabeh La prison retrouve son calme, mais les conditions de détention sont toujours aussi précaires

Au lendemain de la mutinerie menée par une centaine de prisonniers dans le bâtiment des condamnés à Roumieh, la prison a retrouvé un calme prudent, hier. Les négociations qui avaient été menées par le directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Achraf Rifi, ainsi que par le commissaire du gouvernement près la cour militaire Jean Fahd, avaient porté leurs fruits à l’aube, et les mutins avaient relâché leurs sept gardes pris en otage, dont deux gradés. Hier dans la journée, il était encore interdit aux parents de ces prisonniers de leur rendre visite. Selon les informations obtenues, ceux-ci étaient revenus dans leurs cellules, et la réhabilitation du bâtiment, dévasté par l’incendie causé par les mutins qui avaient mis le feu aux matelas et à leurs habits, était en cours. La mutinerie s’était cependant terminée sans recours à la force, avec promesse faite aux prisonniers de débattre de leurs revendications, qui ont rapport avec la libération de l’un des leurs, dont l’innocence a été prouvée, la diminution des peines et l’amélioration des conditions de détention. Comme l’a expliqué le communiqué des FSI, les revendications des prisonniers, que le général Rifi a promis de prendre en compte, « s’insèrent dans le cadre d’une amélioration des conditions de détention, notamment concernant la surpopulation, l’aménagement d’espaces pour des réunions familiales, l’installation de lignes téléphoniques, et, surtout, l’intercession auprès des autorités compétentes afin d’appliquer le code pénal qui considère que l’année juridique a une durée de neuf mois ». Le texte précise que la libération des otages et le dénouement de la crise se sont produits vers deux heures du matin, et « les prisonniers sont retournés dans leurs cellules sans qu’aucun recours à la force n’ait été nécessaire, dans le cadre de mesures de sécurité exceptionnelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison ». Le jour de la mutinerie (celle-ci avait éclaté le jeudi, vers 16h), on craignait encore que la crise n’ait des origines d’ordre politique cachées. Hier, ce sont les causes sociales qui semblaient dominantes. Et nul ne pouvait mieux exprimer cela que l’aumônier de la prison, le père Élie Nasr, qui était présent au moment des faits. Rencontré hier à la porte de Roumieh, celui-ci a assuré, tout en précisant ne pas approuver la méthode de protestation des prisonniers, que « ce qui s’est passé hier n’était de leur part que l’expression d’un cri de douleur et d’injustice ». 3 500 prisonniers dans une prison conçue pour 1 500 Le père Nasr rappelle les conditions de détention invivables de la plus grande prison du Liban. « Cette prison a été bâtie en 1971 et conçue pour accueillir 1 500 personnes, mais elle en compte aujourd’hui 3 500, dit-il. Dans des cellules dotées d’un seul lit résident quatre ou cinq prisonniers, et dans des cellules de trois lits se trouvent dix à douze personnes. Il y a de toute évidence une surpopulation. » Il ajoute : « Le problème des prisons n’est pas nouveau. Ce n’est même pas un problème typiquement libanais, mais qu’on rencontre ailleurs dans le monde. Malheureusement, nous savons que l’État passe par une période difficile et mouvementée, donc les prisons ne sont pas une priorité. Or leur réhabilitation nécessite de l’argent, qui ne peut être assuré que dans le cadre du budget national, sachant qu’aucun budget n’a été adopté depuis déjà trois ou quatre ans. » Faudrait-il, idéalement, bâtir de nouvelles prisons ? « Ce n’est pas la seule solution, répond le père Nasr. De nouvelles prisons sont nécessaires dans les circonstances actuelles, même si, en théorie, nous sommes contre la création de nouveaux espaces carcéraux et pour la lutte contre le crime. Ce qu’il faut surtout, c’est accélérer les jugements. Certains détenus restent incarcérés, en attente d’un jugement, durant des années. Il est certain que la justice a ses raisons, mais il n’en demeure pas moins que le retard est bien réel. » Et ce n’est pas tout. L’aumônier parle de lacunes relatives aux soins médicaux, à l’alimentation. « L’État ne manque pas de volonté, mais de fonds, conclut-il. Il y a cependant de nombreuses associations présentes dans la prison pour aider l’État à résoudre les problèmes. Je remercie tout particulièrement la Fondation al-Walid ben Talal qui nous aide actuellement à creuser un puits pour l’approvisionnement en eau, ainsi que l’aménagement de dispensaires pour répondre aux besoins médicaux. Nous avons un projet de création d’espaces où les familles peuvent être réunies. Bientôt, nous pourrons installer des lignes téléphoniques pour que ces détenus puissent rester en contact avec le monde extérieur. Nous œuvrons dans le cadre de nos moyens limités. » À propos de la réhabilitation des prisons, le père Nasr souligne que « le ministère de l’Intérieur n’en est pas seul responsable, il faut un plan global parce que tous les secteurs et tous les ministères sont concernés, c’est une affaire d’ordre public, à caractère humanitaire ». Interrogé sur l’état d’esprit des prisonniers au lendemain de la mutinerie, il indique que les esprits se sont calmés, mais qu’il ne faut pas exclure la possibilité de nouveaux incidents tant que la situation reste inchangée. Une priorité pour Sabeh C’est le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, Hassan Sabeh, qui a répondu à la question de savoir ce que l’État comptait faire des prisons, lors d’une intervention hier à la LBC. Le ministre a reconnu qu’il y avait une surpopulation à Roumieh, et affirmé que « le gouvernement compte prendre bientôt des mesures pour agrandir la prison », assurant même que c’était une « priorité » pour lui. M. Sabeh a par ailleurs confirmé que les quatre généraux (détenus dans le cadre de l’affaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri) n’étaient pour rien dans la mutinerie, qu’il n’y avait aucun plan pour les transférer ailleurs, et que les mesures de protection qui les entourent sont déjà maximales. Le général Rifi a lui aussi évoqué le cas des quatre généraux, assurant que les forces de l’ordre « ne resteront pas les bras croisés au cas où la sécurité des généraux serait en danger, ou s’il y a tentative de les sortir de leur cellule », évoquant la possibilité « de les transférer à la prison de Kobbé, au Nord, comme mesure préventive ». Comme pour répondre au ministre et au directeur des FSI, les épouses des quatre généraux ont publié un communiqué dans lequel, en substance, elles accusent les autorités (ainsi que les forces de la majorité, en général) et des responsables de la prison d’avoir « fabriqué un simulacre de mutinerie, qui s’est terminée à l’aube sans aucune violence, afin de justifier le transfert des quatre généraux ». Elles ont exprimé leurs craintes de voir leurs maris transférés en douce à la prison de Kobbé, à Tripoli, « où se trouve le périmètre sécuritaire du directeur du service de renseignements (des FSI) le lieutenant-colonel Wissam Hassan ». Elles ont appelé à l’intervention de la Croix-Rouge internationale et des comités des droits de l’homme dans cette affaire. Les souffrances des parents À l’extérieur de la prison, le va-et-vient des parents de détenus, avec des provisions plein les bras, se poursuivait normalement hier. Avec quelques différences cependant, puisqu’il ne s’agissait strictement que des parents de détenus attendant le jugement (les parents de condamnés ayant été privés de visite ce jour-là), et qu’un certain soulagement se lisait sur leur visage. « Nous n’avons pas dormi de la nuit, nous suivions le déroulement des événements en craignant pour nos enfants, nous dit une mère. Heureusement, je viens de voir mon fils, il se porte bien et je n’arrive pas à y croire. » Mais au-delà de ce soulagement temporaire, les plaintes des parents ne sont pas peu nombreuses. Ils confirment les mauvaises conditions de détention de leurs enfants, mais parlent aussi de leur vécu pénible. « Nous passons des heures au soleil pour obtenir du parquet militaire une permission de venir visiter nos fils », affirme une mère dont le fils est emprisonné depuis neuf mois. D’autres souffrent depuis encore plus longtemps. Une famille rencontrée à la porte de la prison vient visiter un détenu incarcéré depuis… deux ans et demi, en attente du jugement. Sa femme, accompagnée de deux très jeunes enfants qui ont à peine dû connaître leur père, dénonce les « privilèges politiques, en vigueur même en prison ». Avant de disparaître, elle a juste le temps de crier : « Ce sont les pauvres qui sont toujours des victimes. » Autour de la prison, les langues se délient assez vite pour relater des histoires sur les mauvaises conditions de détention – à l’instar de l’approvisionnement insuffisant en eau – et sur l’injustice qui frappe de nombreux détenus, comme ces étrangers sans ressource aucune, qui se trouvent incapables de payer leurs formalités pour sortir de taule une fois leur peine purgée. À signaler que le bâtiment où a eu lieu la mutinerie compte un grand nombre d’étrangers. Ce n’est pas la première fois qu’une mutinerie éclate à Roumieh. Des troubles avaient eu lieu en 1998, et des détenus appartenant à l’organisation de Fateh el-Islam avaient donné des sueurs froides aux autorités il y a deux ans, mais ils sont incarcérés dans un autre bâtiment que celui où a eu lieu la mutinerie de cette semaine. Suzanne BAAKLINI * * * Youssef Chaabane, arbitrairement détenu depuis 1994 Les mauvaises conditions de détention ont certainement été la cause principale du déclenchement de cette dernière mutinerie à Roumieh, mais il n’y a pas que ce facteur. Les prisonniers, qui ont recouru à la violence après un accrochage avec leurs gardiens, comme l’a confirmé le communiqué des FSI, protestaient également contre la détention arbitraire de l’un de leurs camarades, le Palestinien Youssef Chaabane. De ce détenu, le général Achraf Rifi, directeur général des FSI, avait dit hier qu’il était « l’un des meneurs de la mutinerie, mais il a finalement aidé les autorités à rétablir l’ordre ». Le cas de Chaabane est poignant. Comme le rappelle l’aumônier de la prison, le père Élie Nasr, cet homme se trouve toujours en prison pour le meurtre d’un diplomate jordanien, alors que le vrai coupable a été jugé et condamné à mort en Jordanie, et que son innocence a par conséquent été prouvée. « Mais comme le jugement a été prononcé par la Cour de justice contre laquelle il n’y a pas de recours et que cette instance n’a pas la possibilité de rouvrir un dossier de cette manière, il se trouve toujours là, a-t-il poursuivi. Son cas requiert une décision du Parlement ou une amnistie spéciale, or il n’y a pas aujourd’hui de président de la République, et le Parlement est fermé, d’où le fait que l’accélération d’une solution pour son cas reste impossible actuellement. » Youssef Chaabane, né en 1965 au camp palestinien de Bourj el-Brajneh, est connu pour sa loyauté à la cause palestinienne. Quand le Premier secrétaire de l’ambassade de Jordanie au Liban, Naëb Omran Maïtha, est assassiné le 29 janvier 1994, c’est Youssef Chaabane qu’on arrête quelques jours plus tard, très exactement le 5 février. Il aurait été arrêté directement par les services de renseignements syriens à l’époque. Un rapport de Solida parle de tortures infligées à Chaabane et à ses amis pour leur arracher des confessions. De leur côté, les Jordaniens n’avaient pas abandonné les recherches. En 2000, ils arrêtent un certain Yasser Mohammad Ahmad Salamé Abou Chanaar, qui avoue sa culpabilité et procure aux autorités jordaniennes tous les détails du meurtre, niant que Youssef Chaabane ait eu un quelconque lien avec le crime. Abou Chanaar et ses complices sont condamnés à mort le 3 décembre 2001. Malgré cette condamnation, et en dépit de nombreux recours depuis cette date, Youssef Chaabane reste oublié à Roumieh, purgeant une peine qui n’en est pas une, détenu arbitrairement entre les quatre murs de sa prison, dans l’attente du dénouement de cette affaire qui mêle l’absurde au tragique. * * * « Les quatre généraux n’ont pas besoin de s’enfuir », affirme Jamil Sayyed Dans un communiqué publié par son bureau de presse, l’ancien directeur général de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, a indiqué que les quatre généraux, « détenus arbitrairement par les autorités libanaises, n’ont pas besoin de s’enfuir du moment que les données de la commission internationale d’enquête ont déterminé leur innocence et que le gouvernement n’a pas réussi à convaincre les Nations unies de ne pas qualifier d’“arbitraire” leur détention ».
Au lendemain de la mutinerie menée par une centaine de prisonniers dans le bâtiment des condamnés à Roumieh, la prison a retrouvé un calme prudent, hier. Les négociations qui avaient été menées par le directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Achraf Rifi, ainsi que par le commissaire du gouvernement près la cour militaire Jean Fahd, avaient...