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Actualités - REPORTAGE

SOLIDARITÉ - «Je veux continuer à vivre dans ce monde»… Le don d’organes, une promesse de vie

«Je veux continuer à vivre dans ce monde», avait-elle confié à son mari sur son lit de mort, quelque temps avant de sombrer dans un état comateux irréversible. «?Une mort cérébrale?», avaient alors annoncé les médecins traitants. La réponse du mari ne s’est pas fait attendre. Contacté par le Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus au Liban (NOOTDT), J. n’a pas hésité à faire don des organes et des tissus de son épouse. Le foie, les reins, le cœur et les cornées ont ainsi été prélevés permettant à quatre patients de renouer avec la vie et à deux autres de retrouver la vue. C’était il y a quelques semaines. Au-delà de la douleur et de la souffrance qui accompagnent la disparition d’un être cher, c’est une belle leçon d’abnégation, mais surtout de solidarité sociale que donne cette famille, en rappelant à chacun d’entre nous une vérité tout aussi humaine?: la perte d’une vie peut, dans de nombreux cas, sauver tant d’autres. Or au Liban, les donneurs restent rares, alors que les besoins augmentent. Les principales causes de cette pénurie demeurent d’une part une fausse interprétation de la religion, et d’autre part la peur de défigurer le corps d’un défunt qui nous est cher. Pour que les dons d’organes redeviennent les gestes nobles qu’ils sont, il serait temps de briser les préjugés qui les entourent. Nada MERHI * * * Forte pénurie observée au Liban Promesse d’une nouvelle vie, le don d’organes est accompagné au Liban d’une forte pénurie, contrairement à de nombreux pays de la région où le taux des donneurs est nettement plus élevé. Selon le NOOTDT, autour duquel est organisée cette activité sociale, le Liban compterait moins de deux donneurs par an pour un million d’habitants. Une proportion qui s’élève à 15 donneurs sur un million au Koweït et en Arabie saoudite, 34 en Espagne, 20 aux États-Unis et 25 donneurs en moyenne dans toute l’Europe où chaque jour 11 patients inscrits sur la liste d’attente décèdent. «?Nous sommes encore loin des chiffres observés dans ces pays?», déplore Farida Younan, coordinatrice nationale du NOOTDT, remarquant qu’il y a quelques années, la situation au Koweït et en Arabie saoudite ressemblait à celle du Liban d’aujourd’hui. Dans ces pays toutefois, «?les gouvernements ont appliqué tout ce qu’ils ont acquis au cours des sessions de formation et amendé les lois pour améliorer la situation, alors qu’au Liban, nous nous contentons de publier des arrêtés ministériels sans pour autant les appliquer?». L’un des principaux problèmes à l’origine de cette pénurie demeure, selon le NOOTDT, le manque de coordination concernant la déclaration des cas de mort cérébrale au comité. «?Nous avons entamé des sessions au sein des hôpitaux pour former les corps médical et infirmier aux moyens d’appliquer l’arrêté ministériel qui décrit tout le processus de la donation depuis l’annonce de la mort cérébrale jusqu’à la transplantation et la greffe des organes et des tissus, explique Farida Younan. Nous œuvrons donc actuellement à former un réseau de coordinateurs au sein des hôpitaux, en plaçant un représentant du NOOTDT dans chaque unité de soins intensifs. De cette façon, nous pourrons constater leur influence sur la hausse du taux des donations. Si, au terme de cette année, nous notons une différence en ce sens, on étendra le réseau à un plus grand nombre d’hôpitaux, ce qui nous permettra enfin de changer la politique adoptée jusqu’à ce jour vis-à-vis des morts cérébrales qui continuent, dans leur majorité, à être ignorées. Dans ces cas, la perte de l’être cher est irréversible, mais c’est aussi une chance pour sauver la vie de tant d’autres patients qui figurent sur les listes d’attente et dont certains ne voient jamais le bout du tunnel.?» Religion et défiguration Les idées préconçues constituent elles aussi un des principaux problèmes rencontrés par le NOOTDT. Selon une étude que le comité a menée en 2006, 53?% de la population s’est prononcée en faveur du don d’organes. Parmi les personnes qui se sont déclarées opposées à l’idée, 21?% ont évoqué des raisons religieuses et 13?% la défiguration du donneur. «?Les gens interprètent mal la religion, signale Farida Younan. Celle-ci ne préfère sûrement pas la mort à la vie. Si la religion interdisait le don d’organes, pourquoi alors enregistre-t-on ce taux de donation en Arabie saoudite et au Koweït?? Pourquoi, en Europe, l’Église catholique l’a autorisé depuis 1992???» En ce qui concerne la défiguration, il est important de préciser que le prélèvement des organes se fait avec tout le respect dû au donneur. «?C’est une opération chirurgicale, qui ressemble à toutes les autres, au cours de laquelle le corps du donneur est préservé, indique Farida Younan. D’ailleurs, les familles des donneurs sont les mieux placées pour en témoigner.?» La carte de donneur Dans les rares cas de mort cérébrale déclarés au NOOTDT, les parents ont généralement été favorables au don d’organes. Ceci n’est toutefois pas un indicateur du taux d’acceptation, les familles des patients n’ayant pas été toutes contactées. Parce qu’en ces moments tragiques, c’est à la famille de prendre la décision, certes douloureuse, de faire don des organes de son proche. Une décision qui serait facilitée, «?si au moins la personne concernée avait déjà fait part à sa famille de sa volonté en ce sens?», souligne Farida Younan, qui rappelle que «?le donneur, qu’il soit vivant ou décédé, demeure le principal acteur du processus de transplantation?». «?Ce n’est ni la famille ni de NOOTDT?», poursuit-elle, insistant dans ce cadre sur l’importance de remplir sa carte de donneur et d’en faire part à ses parents, si l’on est bien sûr favorable à l’idée. On peut également faire don de ses organes dans le cadre d’un testament officiel rédigé chez le notaire et dont une copie sera remise au NOOTDT. «?Le donneur décédé a encore plus de mérite que le donneur vivant, ajoute Farida Younan. Ce dernier fait don d’un de ses organes (rein ou une partie du foie) à un membre de sa famille, au moment où le donneur décédé fait don de plusieurs de ses organes à des personnes anonymes. Son acte est gratuit, volontaire et inconditionnel. Les parents de la victime éprouvent de leur côté une certaine joie intérieure parce qu’ils savent que quelque part, leur proche est encore vivant dans une autre personne. En tant que comité, nous accompagnons la famille du donneur dans sa douleur et témoignons de la joie des patients. Nous remarquons aussi que la tristesse s’atténue un peu lorsque la famille du donneur sait que la vie d’un autre a été sauvée. En tant que comité, nous les informons des transplantations qui ont été faites et de l’état des patients, sans pour autant dévoiler leur identité, l’anonymat étant l’une des règles à respecter dans ce domaine.?» Cette règle qui est rigoureusement appliquée dans tous les pays du monde est parfois transgressée au Liban, notamment par les médias qui dévoilent le nom des personnes décédées et dont les proches ont fait don de leurs organes, ou encore dans le cadre de rencontres avec des receveurs. «?Cela est très douloureux pour certaines familles, note Farida Younan. L’anonymat ne peut être levé que dans des cas extrêmement rares, suite à un consentement mutuel des deux parties.?» Séparation des rôles La rapidité est un facteur important dans la donation, parce que l’arrêt cardiaque peut survenir à tout instant. Mais il ne s’agit pas non plus de bousculer la famille encore sous le choc de la perte de l’être cher. Comment le NOOTDT l’aide-t-il à prendre la décision?? «?La mort doit être déclarée par trois spécialistes, le médecin traitant, un médecin légiste et un neurologue, et confirmée par un électroencéphalogramme au tracé plat ou une imagerie adéquate, répond Farida Younan. Bien sûr, dans ces cas, les parents n’arrivent pas à croire à la mort d’autant qu’ils constatent que leur proche respire encore, qu’il a les joues roses et que la température de son corps est chaude. Mais tout cela est artificiel. Dans des cas extrêmes, on peut le leur prouver en retirant le respirateur, pour une durée maximale de trois minutes pour éviter de détruire les organes. La famille peut alors constater d’elle-même que le patient ne respire pas d’une façon spontanée.?» Une fois que les parents se résignent à l’idée, le coordinateur du NOOTDT intervient, pour les aider dans leur décision. «?Malheureusement, les médecins ne sont pas toujours conscients du timing et évoquent en même temps la mort cérébrale et le don d’organes au moment où la famille n’arrive pas encore à croire au décès, constate Farida Younan. Dans tous les pays du monde, les chirurgiens ne sont pas autorisés à aborder le sujet avec la famille parce qu’on considère qu’ils ont un intérêt, celui d’effectuer l’opération. Le médecin traitant n’est pas non plus autorisé à en parler, parce que vis-à-vis de la famille, son rôle consiste à sauver la vie de son patient et non pas celle des autres. D’où l’importance de notre rôle. Les coordinateurs du NOOTDT deviennent ainsi le trait d’union entre le donneur et les receveurs. En général, les familles réagissent mieux lorsqu’un représentant du comité aborde le sujet. Ils constatent que nous sommes un support pour eux et qu’ils peuvent compter sur nous. D’ailleurs, nous restons disponibles 24h/24h et nous les tenons au courant de tout ce qui se passe. D’où l’importance de séparer les rôles et de mieux coordonner ensemble pour faire réussir le travail.?» Au Liban, ils sont plus de 500 enfants et adultes à attendre un cœur, un foie ou un rein. Chaque année, plusieurs d’entre eux décèdent. D’autres noms viennent gonfler encore plus la liste d’attente. Si vous êtes convaincus par l’idée, vous pouvez remplir votre carte de donation auprès du NOOTDT, en appelant aux 01/398171 ou 03/532908, ou en visitant le site Web du comité à l’adresse?: www.nootdt.org M., une femme qui a placé sa vie sous le signe du don M. était une femme pleine de vie, qui avait fait du don son credo. «?Elle était la Samaritaine des personnes nécessiteuses, se souvient J., son mari. Rien ne l’arrêtait pour venir en aide aux autres, même pas les intempéries. Vous la trouviez là où on avait besoin d’elle.?» Mère de trois enfants, deux garçons et une fille, elle avait 50 ans lorsqu’elle a été victime d’une hémorragie cérébrale. «?Elle n’avait pas d’antécédents médicaux et n’est jamais tombé malade?», raconte-t-il. Mais son heure avait sonné. «?J’étais à son chevet quelque temps avant qu’elle ne sombre dans un coma irréversible, poursuit J. Je lui avais demandé, “où tu es??”. Elle m’a répondu, dans ce monde. Je lui ai alors demandé de prier les saints. Elle m’a alors dit, “je suis toujours en vie. Je vais continuer à vivre dans ce monde”.?» Pour J., c’était la révélation. «?J’ai compris que même dans sa mort, M. voulait donner aux autres. Lorsqu’on m’a annoncé la mort cérébrale, je n’ai pas hésité à faire don de ses organes. J’ignore d’où j’ai puisé la force pour faire part de ma décision à nos enfants et à ma belle-famille. Je pense qu’à ce moment, les saints et les anges m’ont guidé. La situation est certes douloureuse, mais l’espace de quelque temps, il faut taire ses sentiments et penser aux autres qui pourraient renouer avec la vie grâce à elle.?» Aujourd’hui, malgré l’immensité de la douleur et de la tristesse, J. et sa famille éprouvent une certaine consolation à savoir que M. est effectivement restée dans ce monde. Elle frôlait la mort, le foie de M. l’a sauvée Mère de quatre enfants dont l’aîné a 11 ans, F., 37 ans, est une autre survivante. Elle a reçu le foie de M. et est encore, à ce jour, dans l’unité des soins intensifs où elle se remet d’une longue maladie qui a touché en plus ses poumons et ses reins. Elle avait du mal à se déplacer et trouvait de la difficulté à parler. «?Elle va mieux. Elle m’a reconnu et m’a même parlé?», annonce son mari, K., sur un ton joyeux. La souffrance de F. a débuté en 2001. «?C’était au mois de ramadan, note-t-il. Nous avions à peine fini de manger, lorsqu’elle lança un cri strident. Elle avait une douleur lancinante à la côte qui irradiait tout son corps.?» À l’hôpital, les médecins ont diagnostiqué un calcul dans la vésicule biliaire. «?Le médecin me conseilla alors de la transporter à un autre hôpital de la banlieue, sans m’indiquer toutefois le nom d’un chirurgien, raconte K. L’opération a duré plus de trois heures et j’ai été surpris de la voir avec tous ces sacs de drainage qui pendaient. L’un d’eux contenait un liquide verdâtre. Le chirurgien m’a expliqué alors que l’opération était un peu compliquée et que le calcul était proche du foie.?» Son état ne s’améliorant pas, F. subit, trois jours plus tard, une nouvelle opération. «?Elle est restée cinq jours aux soins intensifs, poursuit K. Et ce n’est qu’au dix-huitième jour qu’elle reçoit son premier bol de tisane.?» De retour à la maison, «?je lui changeais ses sacs de drainage?». «?Sa sœur et sa belle-sœur m’aidaient à m’occuper des enfants et de la maison, ajoute-t-il. Son état empirait et elle pâlissait au fil des jours. Elle avait également des crises de démangeaison.?» Entre-temps, F. est tombée enceinte, «?suivant le conseil d’un des médecins?». Mais sa grossesse ne s’est pas passée sans complications. «?Au cinquième mois de grossesse, on a diagnostiqué une cirrhose du foie et de la rate, explique le mari. On voulait la faire avorter, mais elle a refusé. Un mois plus tard, elle a commencé à saigner. Je l’ai transportée à l’aube à l’hôpital, où elle a accouché de notre quatrième enfant, une petite fille. Cette dernière est restée durant plusieurs semaines en couveuse. Quant à ma femme, on a dû l’opérer encore une fois.?» F. s’est sentie mieux, mais pas pour longtemps. Un an après sa dernière opération, son état a de nouveau empiré. Et depuis, elle n’a cessé d’effectuer des va-et-vient entre l’hôpital et la maison. «?Quelques jours avant la guerre de juillet 2006, on m’annonce qu’elle souffre d’une cirrhose du foie et qu’elle avait besoin d’une transplantation, dit K. On m’informe du prix de l’opération au Liban et à l’étranger. Je suis chauffeur de taxi et je n’ai pas les moyens.?» Son état ne cessait de s’aggraver. Les derniers mois, elle ne pouvait plus quitter le lit. On l’aidait à prendre son bain et on lui donnait à manger et à boire. «?Elle était tout le temps nerveuse et s’en prenait aux enfants, remarque-t-il. En février, elle allait tellement mal, que je me préparais au pire. Des fois, elle ne nous reconnaissait plus et elle oubliait certains épisodes de sa vie. J’étais désespéré et je savais qu’on ne pouvait plus rien pour elle. Sa mort était imminente.?» Mais le 26 février, «?je venais de quitter la maison, lorsque le téléphone a sonné?». «?C’était l’hôpital. On m’annonce qu’il y avait un donneur. Depuis, notre vie a changé.?» Une culture qui nous manque tant Au Liban, les organes et les tissus qui peuvent être greffés sont le cœur, les reins, le foie, les cornées, les yeux, les vaisseaux sanguins et les valves. Dans d’autres pays du monde, on prélève en plus les intestins, le pancréas, les poumons, la peau, la moelle osseuse, les os, les yeux et la peau. Le prélèvement doit se faire avant l’arrêt cardiaque, «?pour éviter que les organes ne se détériorent?» et dans «?un milieu entièrement aseptisé et stérile, les organes devant être oxygénés jusqu’à la dernière minute?», explique le Dr Georges Tedy, chirurgien cardiaque et secrétaire général d’Aldor (Association libanaise pour le don d’organes et de reins). Cette organisation, note-t-on, a été la première à avoir milité en faveur du don d’organes au Liban sur initiative de plusieurs médecins. Après la création du NOOTDT, en 1999, elle œuvre au sein du comité qui est placé sous la tutelle du ministère de la Santé. «?La première transplantation cardiaque a été réalisée dans le monde en 1967, en Afrique du Sud, rappelle le Dr Tedy. Au Liban, c’est en 1999 qu’on a effectué nos premières greffes cardiaques. Depuis, 21 patients libanais ont reçu un cœur, dont sept à l’étranger. Chaque année pourtant, les noms de 80 nouvelles personnes souffrant d’insuffisance cardiaque sévère viennent allonger la liste d’attente, sans parler des autres maladies comme l’insuffisance rénale, la cirrhose du foie, etc.?» C’est que la culture du don d’organes manque au Liban. «?Nous possédons le savoir-faire, nous avons les moyens techniques et les médicaments adéquats, mais nous souffrons d’une pénurie d’organes liée principalement au refus de l’idée de la mort cérébrale, sachant que chaque année on recense plusieurs dizaines de morts cérébrales sur lesquelles on peut prélever autant d’organes que possible?», souligne le Dr Tedy. Et d’insister sur l’importance de médiatiser parfois les cas de donations, tout en préservant bien sûr l’anonymat, pour sensibiliser l’opinion publique à cet acte noble. «?Les médecins ont bien sûr le mérite de posséder le savoir-faire, mais le vrai héros demeure le donneur et sa famille, remarque-t-il. Sans leur décision, rien ne peut se faire.?» Les donneurs potentiels Qui sont les donneurs potentiels?? «?Les personnes déclarées dans un état de mort cérébrale, répond le Dr Gaby Kamel, chef de service de transplantation rénale et président d’Aldor. Il s’agit principalement des accidentés de la route et des personnes souffrant d’une hémorragie cérébrale irréversible.?» Les organes prélevés sont «?nettoyés?» et placés dans des solutions spéciales en vue d’être transplantés, sachant que chaque organe supporte d’une façon différente «?l’ischémie froide, c’est-à-dire la conservation au froid dans ces solutions?». Le cœur doit ainsi être greffé dans un délai de quatre heures maximum, les reins peuvent, par contre, être conservés durant 48 heures, le foie de 16 à 24 heures, les cornées deux semaines en moyenne et les valves cinq ans. Ne peuvent être acceptés les organes de personnes âgées de plus de 65 ans, ou souffrant d’un cancer (sauf cancer du cerveau ou cancer de peau localisé), d’une maladie transmissible comme l’hépatite B et C, le sida, etc., de diabète ou d’hypertension chronique. En ce qui concerne les tissus, notamment les cornées, le donneur ne doit pas souffrir d’une maladie transmissible ou de cancer. Les bénéficiaires des organes doivent répondre à leur tour à certains critères médicaux. Leur groupe sanguin doit être compatible avec celui du donneur. Ils doivent, de préférence, appartenir à une même catégorie d’âge, avoir pratiquement le même poids, etc. La priorité est toutefois accordée aux patients inscrits sur la liste d’attente, et qui sont en danger de mort, ainsi qu’aux enfants. Le risque de rejet a nettement baissé, grâce à la nouvelle famille d’immunosuppresseurs que le receveur doit prendre toute sa vie et qui sont assurés par le ministère de la Santé. En ce qui concerne le rein, à titre d’exemple, le risque de rejet est passé de 35?% à 15?%. Pour le cœur, le risque de «?rejet mortel?» ne dépasse pas les 3?%. «?Le foie est l’organe qui a le moins de risques d’être rejeté par le corps, qui s’adapte rapidement avec lui?», souligne le ministre démissionnaire de la Santé, Mohammad Khalifé, qui a été le premier à avoir effectué une transplantation de foie au Moyen-Orient, en 1998. «?Lorsqu’il est transplanté d’un être vivant à un autre, le foie se régénère à partir de la deuxième semaine?», ajoute-t-il. Une priorité ministérielle Sensible au sujet du don d’organes, le Dr Khalifé précise que lorsqu’il a été nomme ministre de la Santé, il a accordé au sujet une grande importance et travaillé pour «?établir une structure pour le don d’organes?». «?C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, j’ai prévu dans le cadre du budget 2008 la somme de 150 millions de LL au profit du NOOTDT, précise-t-il. De plus, un centre pour la transplantation et la greffe des organes et tissus a été créé à l’hôpital universitaire Rafic Hariri, qui compte d’ailleurs la plus grande unité de dialyse. Nous y avons formé plus de 15 infirmier(ère)s pour ces opérations. Le siège du NOOTDT sera de même transféré à cet hôpital. Tout cela n’a toutefois aucun sens si on n’a pas de donneurs.?» «?Nous ayant fait part de sa volonté, N. nous a aidés à prendre la décision?» Le drame a eu lieu en 2001. Deux jeunes frères N., 18 ans, et A., 16 ans et demi, sont victimes d’un accident sur la voie publique. «?A. est décédé sur le coup et N. est entré dans le coma, raconte le père, E. Deux mois avant l’accident, en lisant une brochure sur le don d’organes, N. nous avait annoncé que si un malheur lui arrivait, il aimerait faire don de ses organes.?» Lorsque l’accident a eu lieu, E. ignorait que son fils était dans un état critique. Il espérait qu’il se réveillerait. «?Une semaine plus tard, j’ai vu le médecin chuchoter quelque chose à mon frère, qui lui demanda d’attendre un peu, souligne-t-il. J’ai tout de suite compris qu’ils parlaient du don d’organes. Le lendemain, on m’annonçait que c’était une question d’heures.?» Voulant rendre un dernier service à leur enfant, E. et son épouse acceptent immédiatement de répondre à l’appel du NOOTDT. «?Ma femme a dit oui, avant de s’évanouir, dit-il, d’une voix émue. J’ai acquiescé à mon tour. Le coup est énorme. Mais en nous faisant part de sa volonté, N. nous a aidés à prendre la décision. L’être humain pense à tort qu’il n’est pas concerné par ces choses qui, juge-t-il, n’arrivent qu’aux autres. Soudain, il se retrouve au cœur même de l’événement. D’où l’importance de remplir sa carte de donation. Cela facilite à la famille la prise d’une décision.?» Actuellement membre actif au sein du NOOTDT, E. déclare?: «?Malheureusement, les donneurs se font rares au Liban. Il faudrait que les campagnes de sensibilisation soient intensifiées, notamment au sein des clubs et des universités. Les gens ont peur que le corps de leur proche ne soit défiguré, ce qui n’est pas du tout le cas. La religion aussi ne condamne pas le don d’organes. De plus, si on n’en fait pas don, les organes sont destinés à se décomposer. Autant qu’ils servent à quelqu’un. L’accident est tombé. Ce n’est pas comme si les receveurs ont prié pour que mon fils meure. Le destin en a voulu ainsi.?» Huit ans après l’accident, la douleur que ressent la famille de N. est tout aussi intense. «?Je n’ai de goût pour rien. Ma maison s’est vidée. Heureusement que nous avons encore notre fille. Notre consolation demeure cette conviction d’avoir pris la bonne décision. Au moins, sa mort n’a pas été vaine.?», confie E. Et d’ajouter?: «?Après l’accident, nous avons rencontré la personne qui a reçu le cœur. C’est un homme marié avec des enfants. La transplantation lui a permis de se remettre à pied pour prendre soin de sa famille. Nous sommes heureux pour lui, mais d’après cette expérience personnelle, je déconseille vivement une telle rencontre tant à la famille du donneur qu’aux bénéficiaires, parce que la situation est très pénible sur le plan émotionnel.?» «?Le cœur du donneur bat dans mon corps...?» C. est l’un des quatre patients ayant renoué avec la vie grâce à la greffe du cœur qu’il a reçu récemment. Le problème de C. a débuté, il y a près de six ans, lorsqu’il attrapa un virus qui toucha le muscle cardiaque. Aîné d’une famille de quatre enfants, C. avait 30 ans à l’époque. Il venait de se marier. «?On a dû me placer un stimulateur pour réguler autant que possible l’activité du muscle cardiaque, qui ne fonctionnait plus qu’à 30?%, raconte-t-il. Mais on savait déjà que la greffe était indispensable pour ma survie.?» Au cours de ces six dernières années, on a dû lui replacer le stimulateur, le premier n’ayant pas longtemps tenu. «?Mon état de santé était instable, poursuit C. Je faisais souvent la navette entre l’hôpital et la maison.?» Suite à un épisode, il y a quelque quatorze mois, le verdict des médecins a été sans appel?: «?Je devais subir une greffe du cœur dans les plus brefs délais.?» Le nom de C. a ainsi été inscrit sur la liste d’attente, dans l’espoir de trouver un donneur le plus tôt possible. Les jours passaient et son état devenait de plus en plus inquiétant. Mais c’est au cours des six mois qui ont précédé l’opération que sa santé s’est vraiment détériorée de façon dramatique. «?J’étais dans un état très critique, insiste-t-il. Le muscle cardiaque ne fonctionnait plus qu’à 15?%. On n’avait pas de donneur au Liban et ma famille pensait sérieusement à demander de l’aide pour aller à l’étranger. Nous avions évidemment caché la nouvelle à mon père et à ma mère. Mes frères et ma sœur ont ainsi entamé les contacts. Mais la chose n’était pas évidente, parce que, d’une part, les frais sont nettement plus onéreux, plus de 250?000 euros mis à part les frais du voyage, du séjour à l’hôtel et à l’hôpital. D’autre part, je devais être inscrit sur la liste d’attente du pays de destination et attendre mon tour.?» C. et sa famille pensaient ne jamais voir le bout du tunnel, lorsqu’un lundi soir, il reçoit un coup de fil de la part de son médecin traitant, lui annonçant qu’il a un donneur et lui fixant la date de l’opération. «?J’étais comme dans un rêve, se souvient-il. Je n’arrivais pas à croire. Ma vie était en danger et personnellement, je ne n’avais pas d’espoir,, et j’étais conscient du fait que mes jours étaient comptés. J’étais en fait convaincu que me trouver un donneur était une mission impossible, parce que nous savons tous que la culture du don d’organes manque chez nous. Les Libanais ne sont pas sensibilisés au sujet. C’est la raison pour laquelle j’appelle les autorités concernées et les médias à accorder une plus grande importance au sujet. J’ai été chanceux. Mais des centaines d’autres personnes attendent encore leur tour, certains depuis des années. Les patients sont jeunes. Ils aiment la vie et ne veulent pas mourir. Une mort cérébrale est irréversible, mais peut sauver la vie des autres. En somme, le don d’organes est le don le plus noble. Et mon plus grand remerciement va, bien sûr, au donneur dont le cœur bat maintenant dans mon corps. J’espère que mon témoignage sensibilisera d’autres personnes et les encouragera à penser à faire don de leurs organes.?» Aujourd’hui, C. se rétablit. Son état s’améliore de jour en jour et il a de nouveau confiance en son avenir. Employé dans une école publique, il espère pouvoir retrouver son job bientôt. Son rêve? «Avoir des enfants.» Prochain article : La Banque des yeux
«Je veux continuer à vivre dans ce monde», avait-elle confié à son mari sur son lit de mort, quelque temps avant de sombrer dans un état comateux irréversible. «?Une mort cérébrale?», avaient alors annoncé les médecins traitants. La réponse du mari ne s’est pas fait attendre. Contacté par le Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus au Liban...