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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE Wajdi Mouawad en tournée avec « Seuls » : soi-même comme bercail

Wajdi Mouawad, seul sur scène, seul avec son double ou ses « doubles », toutes les éventualités, les possibilités d’un être. Celui qui serait resté à Beyrouth, enfant, adolescent, adulte, celui que son père aura transporté au Canada pour lui offrir une vie meilleure, le privant d’une langue, d’un jardin, d’un bonheur céleste. Wajdi Halwan qui lutte pour être quelqu’un de bien, d’heureux, dans un pays en paix et qui trébuche sur l’absence de l’enfant qu’il a été, celui qui aimait la couleur, les étoiles et son chien – et dont on a omis d’emmener les jeux, les cadeaux de Noël, les tableaux qu’il avait lui-même peints, parce que ce n’était pas essentiel et que lorsqu’on part en exil, c’est l’essentiel (mais quoi ? Des vêtements ? Les carnets scolaires ? Les livrets de vaccination ?) qu’on prend avec soi. À Montréal, dans le froid, Halwan rédige une thèse sur l’identité au travers de l’usage du cadre dans le travail de Robert Lepage, cinéaste et metteur en scène canadien. Tout son travail de recherche aura eu pour but de comprendre comment l’œuvre artistique parvient, à partir d’un cadre fini, à nous déposer ailleurs, à nous déplacer dans les infinies possibilités, dans ce qui a été de tout temps et qui se transformera pour donner sa couleur à tout ce qui advient. Après avoir installé le décor (sa chambre nue, sans âme, avec fenêtre), la situation (un chagrin d’amour, une thèse sans conclusion, une sœur complice, un père qui l’attend souvent en vain les dimanches, à la fois aimant et exilé de ce qu’il aime), après avoir mêlé les langues, lutté contre la passivité, la colère, l’inaction, la neige à moins quarante, les mauvaises nouvelles, les imprévus, la tentation de rester couché, d’en vouloir aux autres – le père, la nouvelle patrie, le destin et les sillons arbitraires, raisonnables, étouffants de l’avenir, le personnage, l’auteur, la dramaturgie basculent au bout de près de deux heures, prennent leur envol. C’est quand le personnage se tait, enfin, que la pièce elle-même explose de son cadre et se transforme en ce que rien n’annonçait : une performance de plasticien. C’est subitement, tout simplement, incroyable. Un ballet qui consiste à donner couleur à un décor étonnant, un immense paravent dépliable à souhait, fabriqué aux ateliers du théâtre du Grand T à Nantes même et où se confondent les figures de Halwan, du fils prodigue peint par Rembrandt et de Mouawad qui se love ici dans le giron de son pays, explicitement, afin de se retrouver lui-même. La brillance technique de son corps, de la scénographie, des lumières, de la peinture, nous amène forcément et cyniquement à nous demander s’il ne valait pas mieux vivre en exil, « produire » et avoir accès aux structures et au savoir-faire canado-européens plutôt que de rester à Beyrouth, durant toutes ces années de maturation, à écouter la même musique (Feyrouz, Abdel Wahhab et la musique originale d’assez mauvais goût signée Michael Jon Fink, le seul bémol !) qu’il nous a servie durant la pièce. En tout cas, pour avoir établi un cadre parfait, une gestuelle forcenée, des découpages de lignes, de lumières, de sons, réglés au millimètre et à la seconde près, Mouawad parvient à offrir l’irremplaçable, la rare sensation d’échapper aux lois du temps et de l’espace. En peignant la pure affectivité, il se place en deçà de tout discours (identitaire, familial, nostalgique, national, artistique) et décide d’ignorer les bornes et les frontières, les limitations imposées, imaginées, illusoires, posées par les récits de la mémoire. Seule l’expression compte, la sortie de soi, trouver le vocabulaire originaire qui n’est pas celui des langues parlées. Cela seul permet de convoquer en un lieu et en un temps ceux que nous sommes, avons été et serons. On est moins seul, lorsqu’on revient à soi. Caroline HATEM * « Seuls », une pièce de et avec Wajdi Mouawad au Grand T de Nantes. En tournée jusqu’en janvier 2009.
Wajdi Mouawad, seul sur scène, seul avec son double ou ses « doubles », toutes les éventualités, les possibilités d’un être. Celui qui serait resté à Beyrouth, enfant, adolescent, adulte, celui que son père aura transporté au Canada pour lui offrir une vie meilleure, le privant d’une langue, d’un jardin, d’un bonheur céleste.
Wajdi Halwan qui lutte pour être...