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Actualités - OPINION

LE POINT Legs en déshérence

Quatre lignes dans les journaux, quelques secondes dans les journaux télévisés de 20 heures, et plus rien depuis. C’est à croire que l’Égypte ne vient pas de connaître des élections municipales, une constatation qui, en un sens, serait plutôt proche de la réalité. Si la consultation de mardi n’a pas mobilisé les foules, c’est qu’elle ne concernait que 30 pour cent des sièges à pourvoir, l’immense majorité des 35 000 autres postes ayant déjà été octroyés, faute de concurrents, aux représentants du parti au pouvoir. La désaffection populaire s’explique aussi par le fait que le scrutin était boycotté par la puissante confrérie des Frères musulmans, malgré l’appel à la participation – « un devoir pour tout musulman » – lancé par le cheikh d’el-Azhar, Mohammad Sayyed Tantaoui. Le reste des troupes de l’opposition (libéraux du Wafd, communistes du Tagammouh, intellectuels de Kefaya) ont vu le nombre de leurs poulains réduit à la portion congrue, soit à peine plus de vingt. De menues peccadilles ont même été relevées ici et là, qui n’ont pas suscité d’ire populaire, puisqu’elles relevaient, il est vrai, du folklore local, des témoins affirmant avoir vu des hommes bourrer les urnes de bulletins en faveur de représentants du parti au pouvoir. Toutefois, la raison première du désintérêt manifesté par les Égyptiens, il faut la voir dans les événements qui, parallèlement aux opérations de vote, se déroulent régulièrement, depuis près de deux semaines, en plusieurs points du pays, principalement dans les grands centres industriels comme Mehalla el-Koubra, mais aussi au Caire même, place al-Tahrir, devant les sièges des ordres des avocats, des journalistes, des médecins… Comme à l’accoutumée, les étudiants figuraient aux premières lignes de la contestation dans les trois universités de la capitale, sans pour autant que l’on puisse parler d’un début de révolte. Cité par l’International Herald Tribune, Abdel Ahad Messiry, ancien attaché culturel de la Ligue arabe auprès des Nations unies, constate : « L’élément de peur est là ; le peuple craint le gouvernement et celui-ci craint le peuple. » Le résultat est une neutralisation de l’un par l’autre, mais pour combien de temps encore ? Car les racines de la crise, tous les observateurs s’accordent à le reconnaître, sont d’ordre socio-économique. Flambée des prix des denrées de première nécessité, dont essentiellement le pain, blocage des salaires, dégradation des conditions de travail, élargissement du fossé entre riches et pauvres : il est évident qu’à vouloir suivre le rythme débridé de la mondialisation, l’Égypte s’essouffle et manque de caler. Certes, la croissance atteint un niveau inégalé il y a peu, mais elle est bien vite rattrapée, et même largement dépassée, par l’inflation, alors que 40 pour cent des gens vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec 2 dollars par jour, que la crise du logement – conséquence d’un exode rural massif – oblige des centaines de milliers de familles à élire domicile dans les cimetières et qu’ils sont de plus en plus nombreux les travailleurs à chercher fortune sous des cieux plus cléments. C’est de ces deux grands problèmes que parle aujourd’hui l’homme de la rue, tout comme aussi de la succession à la tête de l’État. Hosni Moubarak est en exercice depuis l’assassinat d’Anouar Sadate, et à l’issue de la présidentielle du 7 septembre 2005 (au cours de laquelle il a remporté 88,6 pour cent des suffrages exprimés), il est appelé à demeurer en place pour trois ans encore. Le 4 mai prochain, il célébrera son 80e anniversaire et aura passé vingt-sept ans à la tête de l’État, soit plus longtemps que ses deux prédécesseurs. Plus que tout, ce qui inquiète l’establishment politique, c’est la menace d’un vide au sommet, aucun vice-président n’ayant été désigné à ce jour. À l’échéance de 2011 donc, il appartiendra au seul Parti national démocrate de nommer un nouveau raïs, lequel devrait être, selon toute probabilité, Gamal Moubarak. Encore faudrait-il qu’une telle décision reçoive l’aval de l’armée et des forces de sécurité, ce qui est loin d’être acquis tant il est vrai que, depuis la révolution qui avait renversé Farouk et placé au sommet de la hiérarchie, dans un premier temps, le général Mohammad Naguib, il est de tradition que le choix se porte sur un militaire. De plus, l’intéressé s’était vu refuser le poste-tremplin de secrétaire général du PND, après la désignation à cette fonction (moins honorifique que certains voudraient le faire croire) d’un représentant de la vieille garde, ce qui, en clair, signifie que la transmission par voie héréditaire serait mal vue. Incertitude quant à l’avenir politique, malaise au niveau de la rue, absence de traditions démocratiques : autant d’éléments qui rendent aléatoire toute éventualité de voir s’éclaircir l’horizon proche et se décanter la conjoncture économique. Vieille civilisation en désarroi cherche désespérément nouveau dieu Horus. Christian MERVILLE
Quatre lignes dans les journaux, quelques secondes dans les journaux télévisés de 20 heures, et plus rien depuis. C’est à croire que l’Égypte ne vient pas de connaître des élections municipales, une constatation qui, en un sens, serait plutôt proche de la réalité. Si la consultation de mardi n’a pas mobilisé les foules, c’est qu’elle ne concernait que 30 pour cent...