Pourquoi le Liban mérite que l’on vive pour lui

À la suite de la parution dans «L’Orient-Le Jour» du samedi 29 mars 2008 de la lettre de Férial M. Assha intitulée?« Pourquoi je me tuerais pour la France », nous recevons la réponse suivante?: Pourquoi le Liban mériterait que tu vives pour lui?? 1) Pour que tu puisses mieux connaître les autres intellectuels libanais et que tu apprennes qu’un vrai intellectuel ne cherche pas à juger la culture d’autrui et à se situer par rapport à elle, mais à l’accepter et à la respecter sans jugement de valeur aucun. Des incultes, il y en a partout. 2) Pour que tu saches que si le Hezbollah a réussi à « servir » sa communauté, c’est parce que les autres communautés du Liban ont assisté ?à l’asservissement de leur État central depuis le retrait syrien de 2005 (entre autres). Cependant, je suis d’accord que l’opportunisme est un mal local, culturel, qui touche la majeure partie des Libanais. 3) Pour que tu réalises que la solidarité communautaire est intéressante, mais qu’elle devrait avoir des limites. Que faire de ceux qui ne veulent pas suivre un certain chef, mais qui veulent pourtant continuer à appartenir à cette communauté ? Celui qui est incapable d’accepter la diversité au sein même de sa communauté peut-il prétendre accepter la diversité au sein d’un même pays ? Que dire de celui qui veut changer de communauté ? Serait-il un traître ? Et les laïcs dans tout ça ? 4) Pour que tu lises son histoire et que tu réalises qu’il y a des Libanais ainsi que des partis qui ont tant bien que mal essayé ?de naviguer à travers les différentes tempêtes régionales et qui y ont laissé leur vie. Certes, en politique, il n’y a pas de place à l’angélisme, et ici tout le monde, à un moment ou à un autre, a « pactisé ?avec l’ennemi ». Mais n’était-ce pas le prix à payer pour s’être trouvé ?sur le pont qui séparait tant de cultures ? Triste région de la planète où tout le monde est devenu l’ennemi de tout le monde. ? Et puis on est d’accord sur un point : le complexe militaro-industriel mondial a déshumanisé le monde en servant le dieu argent. 5) Moi j’aime. Qui ? Quoi ? Comment ? Peu importe. Je veux vivre et aimer. Tout le monde. Moi aussi j’ai mes blessures, et les coups de poignard, je ne les compte plus. Mais il y a l’espoir ! L’imbécile espoir qui me dit que je ne peux pas généraliser, cataloguer, uniformiser, et c’est pour cela que je vis. C’est ça le Liban : l’espoir de l’exception. 6) Je n’admire plus personne ici, à part la nature qui, timidement, proteste. Les politiciens lui ont volé ses couleurs. Mais au-dessus du Liban brillera toujours l’arc-en-ciel et, dans l’arc-en-ciel, les couleurs s’unissent. Personne ne pourra les diviser. Imagines-tu un arc tout rouge ? Ou tout bleu ? Ou tout jaune ? La nature aime et célèbre la diversité, c’est pour ça que l’homme ?la détruit. Moi je suis disciple de Descartes, le doute me libère et je ne cherche pas la vérité à tout prix. Einstein avait bien dit : « Ceux qui peuvent tolérer le mieux l’incertitude sont ceux qui vivent le plus heureux. » Alors, complexe de l’Occident ou complexe de l’Orient, moi j’aspire à l’équilibre du Levant. Alors, je ne pointe jamais l’index dans une tentative d’accusation. 7) Dans les manuels d’histoire du Liban, il est mentionné que le Liban, lors de la guerre de 1948, pénétra dans le nord d’Israël et se battit courageusement. Nier cela reviendrait à insulter la mémoire des héros de cette bataille. Avec tout mon respect pour ton interprétation de la guerre de juillet 2006, je me permets de dire qu’il n’est pas nécessaire d’affirmer être « le seul » à avoir réussi quelque chose pour en tirer gloire. ?D’autres que le Hezbollah se sont battus et méritent eux aussi le même respect. ?Seuls les innocents de tous bords ont réellement payé le prix de la folie des hommes. Mais quand tu parles d’alliance avec l’ennemi, que veux-tu dire ? Dis-moi d’abord d’où vient l’arsenal du Hezbollah ? Rien ne sert d’accuser les autres si soi-même on est aussi dans le même cas. Je n’accuse personne. Ce pays est un pays-arène?: tout le monde a eu recours à des stratagèmes d’origine douteuse. Tout le monde ! Alors, que l’on cesse de nous prendre pour des imbéciles. 8) Pour que tu diversifies les salons que tu fréquentes et que tu me dises si tu continues à y croiser Gebran Tuéni, Samir Kassir, Pierre Gemayel, Walid Eido, Rafic Harriri, et la liste est hélas immense, fort longue. Traiter les autres de lâches est naïf et injuste. La valeur des combattants du Hezbollah mérite le respect et force l’admiration, mais prends garde à vouloir insulter ceux qui combattent autrement. Un vrai combattant, quel que soit son bord, respecte ceux qui se battent et meurent pour leurs idées. ? 9) Le Liban, c’est la conscience du monde, et dans le racisme dont tu fais preuve à l’égard de notre « république bananière », tu fais montre de mépris à l’égard de ces peuples, sous les tropiques, qui ont eux aussi souffert de l’oppression et ont eux aussi résisté. À tes yeux, j’ai l’impression que le monde entier ne vaut rien. Ce n’est pas leur faute si eux aussi ont été esclaves de la cupidité de l’Occident. Le Liban est un diamant brut : ou bien on le prend comme il est, ou bien on fait l’effort de l’accepter et le changer, ou bien on s’en va et on laisse ceux qui essayent de le changer faire le travail, mais jamais on ne l’insulte. 10) Finalement, si tu lis le témoignage de Lazare Ponticelli, tu verras combien il méprisait la guerre et comment, pendant une semaine, il avait, avec ses compagnons, fait la trêve avec « ceux d’en face » pour ne plus s’entre-tuer. Tu verras aussi qu’ils avaient risqué le peloton d’exécution quand leurs officiers ont découvert qu’ils ne tiraient plus. P-S : ta vision du monde est juste, mais elle est « juste » incomplète ! Émile ISSA Étudiant en sciences politiques – AUB