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Actualités - CHRONOLOGIE

« Lorsque l’âme d’une ville s’évanouit, il ne lui reste plus que l’ennui de quartiers dont l’anonymat risque d’être désespérant »

Lors d’une causerie organisée en mars 1998 à Tripoli par Me Hoda Chalak sur le thème « Municipalités et développement », Mme Yvonne Cochrane avait souligné la nécessité de la présence d’un ministère de l’Aménagement du territoire. Dix ans plus tard, l’exposé qu’elle avait présenté et dont nous reproduisons des extraits reste d’une actualité brûlante : « À voir le bidonville et la “taudification” galopante de Beyrouth, et d’ailleurs de tous les centres urbains et des montagnes, force est de constater que le seul souci des municipalités est l’élargissement à tort et à travers des routes et l’octroi de permis de construire et de détruire, ce qui est sans doute fort rentable, alors qu’en fait leur rôle est surtout la création d’espaces culturels, de loisirs, de santé, autrement dit, de s’assurer de l’aménagement de jardins, et de lieux destinés aux théâtres ainsi qu’à des salles de concerts, d’hôpitaux, de dispensaires, etc., ainsi que du bien-fondé de chaque nouvelle construction, non seulement par rapport aux lois, mais aussi par rapport à leur intégration dans le site urbain déjà existant. Tout cela en collaboration avec les ministères : du Plan et de l’Aménagement du territoire, de la Culture, de la Santé. » « (...) Il faudrait d’abord établir qu’à l’inverse des municipalités de métropoles, les petites municipalités ne devraient pas remplacer les services régionaux d’un ministère. L’on doit toujours maintenir présent à l’esprit que l’Aménagement du territoire ne peut pas s’effectuer par à-coups isolés et déconnectés. » « (...) Tout se tient dans un pays et s’il y a parfois avantage à décentraliser au moyen de centres régionaux planifiant sur place, les plans doivent éventuellement être coordonnés entre eux par une administration centrale. » « (....) Cependant, en libérant les petites municipalités d’une tâche qui les dépasse, notamment les travaux d’urbanisme, et en limitant leurs activités aux questions municipales proprement dites non planificatrices (nettoyage, gardiennage, perception des taxes etc.), l’on respectera, par conséquent, l’application du principe démocratique. Peut-être faut-il souligner que lorsque ces lignes se réfèrent à un ministère de l’Aménagement du territoire, il est surtout question de planification ; l’exécution des plans étant généralement du ressort du ministère des Travaux publics. » « (....) Le gouvernement des villes se trouve confronté à une poussée démographique qui présuppose des plans de développement. Or ces plans ne doivent, sous aucun prétexte, endommager ou blesser l’âme de la ville qui émerge de son passé historique. Car tuer le passé, c’est compromettre l’avenir et le réduire à des conglomérations de bâtiments sans identité. » Une densité démographique incapable d’assurer une qualité de vie civilisée « Dans les cités historiques, la ville nouvelle (c.à.d. : l’extension de la ville ancienne…) a ses racines dans le passé et les nouvelles constructions devraient exprimer le présent sans perdre contact avec la ville ancienne, autrement dit, il doit y avoir un dialogue entre le passé et le présent. Or au Liban que voyons-nous ? Un présent informe qui se superpose à la ville ancienne, l’écrase et la détruit. « Cette situation est non seulement dramatique culturellement, elle est absurde topographiquement et mathématiquement. Prenez une ville d’un million d’habitants confortablement installés dans un espace assez grand pour leur assurer une qualité agréable de vie. Au bout de 50 ou 100 ans, les habitants deviennent, à titre d’exemple, un million cinq cent mille. Pour maintenir la même qualité de vie, la ville doit s’agrandir sur son périmètre sans toucher à son centre. « Ce n’est pas ce qui se passe au Liban, où l’on concentre 1 500 000 habitants sur un espace prévu pour 1 000 000, créant ainsi une densité incapable d’assurer une qualité de vie civilisée. De surcroît, la concentration ouvre la voie à la spéculation qui est, elle-même, un poison mortel, conduisant la ville sur la voie de la “taudification” et finalement de la mort. « Car quoi qu’en pensent les Libanais, le prix élevé du terrain ne contribue en rien à l’assainissement de l’économie ni à l’enrichissement du pays, car le terrain ne peut s’exporter et ne peut pas, par conséquent, produire les rentrées dont le pays a tant besoin. Le prix élevé du terrain est un obstacle à un aménagement sain et équilibré du territoire, et même inexorablement à la ruine d’une ville et, par extension, d’un pays. « En ce qui concerne la préservation d’ensembles anciens, celle-ci n’est plus adoptée comme un but en lui-même, mais plutôt comme conséquence parce qu’il ne faut pas désorienter une ville et bouleverser son organisme délicat. La valeur individuelle d’un édifice historique sera secondaire aux yeux de l’urbaniste qui ne considère la ville que dans son ensemble ? Voilà pourquoi la préservation de quelques bâtiments anciens, isolés de leur contexte, perd de son sens, autant les supprimer à moins qu’ils ne soient d’une beauté exceptionnelle qui survit quand même à la mutilation de l’environnement dont ils tiraient une partie de leur puissance de rayonnement. Comme l’a dit André Malraux avec force : “ Les nations ont pris conscience qu’en architecture, un chef-d’œuvre isolé risque d’être un chef-d’œuvre mort.” Hélas ! le Liban ne se compte pas parmi ces nations. « Lorsque l’âme d’une ville s’est évanouie, il ne lui reste plus que l’ennui de quartiers, peut-être sains et bien conçus, mais dont l’anonymat risque d’être désespérant. Car il faut à l’homme davantage que des logements hygiéniques et des rues impeccables. Son cœur et son esprit demandent aussi à être pris en considération ; il n’a pas que des besoins physiques. Il faut se rappeler que pendant des millénaires, l’homme a jugé plus important de vivre dans le rayonnement d’un temple que dans un logement hygiénique. »
Lors d’une causerie organisée en mars 1998 à Tripoli par Me Hoda Chalak sur le thème « Municipalités et développement », Mme Yvonne Cochrane avait souligné la nécessité de la présence d’un ministère de l’Aménagement du territoire. Dix ans plus tard, l’exposé qu’elle avait présenté et dont nous reproduisons des extraits reste d’une actualité brûlante :
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