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Actualités - CHRONOLOGIE

EN LIBRAIRIE - Ramsay Wood réinterprète « Kalila and Dimna »  Leçons de vie et contes à la verve étincelante

« Kalila et Doumna », également connu sous le nom de « Fables de Bidpaï », est sans doute l’une des œuvres les plus populaires de la littérature mondiale. Compilées en sanskrit il y a près de deux mille ans, ces fables animalières ont été traduites de la Chine à l’Éthiopie. L’histoire de ces deux chacals a survécu longtemps ; elle a inspiré beaucoup d’auteurs qui l’ont réinterprétée, et cela continuera sans aucun doute encore très longtemps. Ramsey Wood fait partie de la généalogie de cette très belle histoire. Son écriture est particulièrement vive et poétique, et bénéficie aujourd’hui d’une troisième édition chez al-Saqi. La première a été éditée par Alfred A. Knopf, New York, en 1980. En 2006, une traduction française est parue chez Albin Michel. Fonds d’inspiration pour La Fontaine, pour Rumi et peut-être même pour Machiavelli, ce recueil de contes animaliers reste aussi bien à propos de nos jours qu’à son origine, il y a 2000 ans. Des chacals qui fomentent des intrigues au cœur du pouvoir, un roi qui succombe à leurs machinations et finit par tuer son « meilleur ami » – c’est l’histoire de toujours. Ces contes à tiroirs dissèquent à coups de bistouri les folies et les illusions des êtres humains – et la version de Ramsay Wood nous les présente dans un langage aussi vif et pénétrant que la pensée qu’elle renferme. Chef-d’œuvre de littérature moraliste, sans être moralisateur, Kalila et Doumna est avant tout un regard sage et espiègle sur l’immuable nature humaine, ses grandeurs et ses bassesses, au point qu’il constitua souvent un manuel d’éducation pour les rois. La version de Ramsay Wood restitue toute la verve jubilatoire de ce récit à tiroirs qui se lit d’une traite. Et le contenu initiatique du message ne manquera pas de se dévoiler à qui sait lire entre les lignes. « Quand la répression s’installe dans une société, la faute en incombe aux savants, aux intellectuels et aux sages qui, en gardant le silence, deviennent complices de ce système. Il est de mon devoir de me confronter au monarque, même au péril de ma vie. Le rôle du sage est comparable à celui du médecin. Le médecin doit préserver la santé d’une personne ou la faire recouvrer à un malade. De même, le rôle du sage consiste à corriger les attitudes et les décisions des rois par la parole de la sagesse. » Ainsi parlait le philosophe indien Baydaba, auteur du recueil de contes philosophiques Kalila et Doumna, rédigé en sanskrit en 300 av. J-C, à la demande du roi Debchelim, qui lui a demandé d’écrire « un livre sur l’éducation des peuples et des rois ». Véritable traité de science politique sur l’art de bien gouverner, de faire régner la justice et la démocratie, et d’éviter les tentations du despotisme et de la corruption, Kalila et Doumna revêt une actualité particulière aujourd’hui, à l’heure où tant de gouvernements arabes sont tentés par une dérive totalitaire. Kalila et Doumna a très vite attiré l’attention des monarques et des rois : c’est le calife al-Mansour, régnant à Bagdad vers 750, qui demande au savant Ibn al-Mouqqaffah de traduire en arabe ce texte – auparavant traduit en persan à la demande du roi sassanide Chosroès 1er. En 1252, Alfonse X le Sage le fait traduire en castillan. En 1313, il paraît en français, à la demande de Philippe le Bel. Suivront les traductions allemande (1483), italienne (1550), anglaise (1570)… Vers 1640, paraît la première version française, Le livre des lumières, que découvrira Jean de la Fontaine. Une traduction en latin circule en Italie quelques années avant que Machiavel ne publie Le Prince…. Intellectuel brillant, observateur méticuleux de la société, Ibn al-Mouqqaffah est lucide sur les méfaits d’un pouvoir absolu aux mains de califes corrompus et sur l’arbitraire d’un appareil d’État répressif : il multiplie les écrits visant à réformer le système sans recourir à la violence. Douze siècles après Baydaba, il utilise Kitab Kalila wa Doumna pour dénoncer la tyrannie et la corruption, et inciter à une réflexion sur la démocratie et l’exercice juste du pouvoir. Ibn al-Muqqaffah payera de sa vie cette critique des pouvoirs totalitaires : condamné à mort, il sera brûlé vif à Bagdad en 759. Ramsey Wood nous offre ici une remarquable version des Fables de Bidpaï. Elle restitue toute la fraîcheur et l’actualité d’un texte immortel, qui fait rire les enfants… et grincer les dents de bien de dictateurs ! On l’aura compris, par ces histoires qui s’enchâssent les unes dans les autres, à l’instar des Mille et Une Nuits, c’est tout le génie et la force de Kalila et Doumna que de conjuguer leçons de vie et contes à la verve étincelante. Maya GHANDOUR HERT
« Kalila et Doumna », également connu sous le nom de « Fables de Bidpaï », est sans doute l’une des œuvres les plus populaires de la littérature mondiale. Compilées en sanskrit il y a près de deux mille ans, ces fables animalières ont été traduites de la Chine à l’Éthiopie. L’histoire de ces deux chacals a survécu longtemps ; elle a inspiré beaucoup...