Barbarie et pollution visuelle

Pas besoin de consulter un calendrier pour connaître les principales dates des fêtes annuelles?: Noël, la Saint-Valentin, la fête des Mères, les Rameaux, Pâques... Il suffit de parcourir les quelques kilomètres séparant Dora de Zouk pour voir fleurir, comme un printemps permanent, de part et d’autre de la chaussée, des panneaux publicitaires d’une bouleversante originalité. Puisque désormais arbres centenaires et autre végétation encombrent le paysage, autant combler efficacement le vide. Voilà donc que, sous les yeux terrifiés de l’automobiliste hagard, défilent pêle-mêle et selon les occasions des images publicitaires hallucinantes de poésie : la mère attendrie et comblée par un aspirateur silencieux ou (au choix) une machine à épiler high-tech pour le 21 mars, les chaussures dernier cri blanches vernies (avec ruban assorti à celui de la bougie) pour les Rameaux de nos chères petites têtes blondes, les préservatifs, ou dessous affriolants (tant pis pour les yeux chastes) pour une Saint-Valentin sans faille, des poussins fraîchement éclos vantant les qualités d’une surface commerciale qui vous promet des produits inédits pour une fête de Pâques pas comme les autres et j’en passe. Hors saison, c’est tantôt le nom inoubliable en deux syllabes d’un fromage au goût d’un raffinement inégalable flanqué de la tête rabougrie d’un mouton aussi pelé que le crâne d’un tondu sur le panneau suivant qu’un traitement-miracle, répondant au doux nom bucolique d’une fusée de la NASA, promet de rendre aussi pileux que l’abominable homme des neiges ; tantôt une 4x4 qui brave toutes les intempéries et vous hisse vers les sommets inaccessibles où habiterait le yéti ; ou alors la crème hydratante aux vertus accessoirement rajeunissantes qui transformerait la tronche d’un laideron en celle d’une pin-up à faire pâlir la «?sultane de la chanson?» locale dont la figure fortement «?botoxée?» vous agresse sur le panneau mitoyen. Sur une distance d’une dizaine de kilomètres et dans un seul sens, l’automobiliste avisé en dénombrera pas moins de 500 à multiplier par 2, ce qui nous amène par simple calcul arithmétique à 100 unités au kilomètre, soit un panneau tous les 10 mètres. Pour les sujets épileptiques que la succession d’images à une telle fréquence peut sérieusement perturber, il est donc recommandé de louer un bateau et de zigzaguer entre les déchets flottants ou alors de prendre le large. Quant à moi, mes réflexes sont d’appuyer sur l’accélérateur (lorsque l’infernal trafic me le permet) dans une sorte de fuite en avant. M’enfuir. Rentrer et rester chez moi. Boycotter fromages, crèmes, chanteuses... et recevoir le simple et doux baiser qui suffit pour combler mon cœur de mère en ce premier jour de printemps. Lara DOUMET