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Actualités - OPINION

Gemmayzé, notre « pubsland »

Meurtri et blessé durant la sinistre période de la guerre, voilà que Gemmayzé s’anime et reprend enfin goût à la vie. Enorgueillis et ravis par l’intérêt subit dont notre quartier fait l’objet depuis plus de dix ans, nous avons assisté à sa métamorphose, heureux de voir ses vieux immeubles gris se parer de leurs plus beaux atours et revêtir un air de jouvence. Jadis cible des francs-tireurs, Gemmayzé est devenu le point de mire de tous?; avec ses expositions culturelles et artistiques organisées par le Comité pour le développement de Gemmayzé, ses nouvelles bâtisses luxueuses et la gastronomie qui y a fait un bon bout de chemin, désormais chacun peut y trouver chaussure à son pied. Grisés par l’engouement que suscite notre bon vieux quartier et fiers de son essor prometteur, nous n’avons malheureusement pas vu le péril approcher. Mais sournoisement et telle une épidémie ravageuse ou une maladie insidieuse, la «?pubomanie?» s’était déjà infiltrée, installée et propagée à Gemmayzé. Ainsi, nous nous sommes retrouvés assaillis par les pubs?: source de notre calvaire. Chaque soir, à l’heure où l’on s’apprête à gagner son lit,?des groupes de jeunes débarquent en « tambours et trompettes?» dans notre rue et, après klaxons et claquements de portières, s’engouffrent dans l’un ou l’autre des multiples pubs situés au rez-de-chaussée de notre immeuble. S’élève alors une pseudomusique qui se répand en une cacophonie saccadée qui, vibrant à travers les murs, nous martèle les tympans et dissipe notre sommeil. Hélas, notre supplice ne s’arrête pas là?et le spectacle ne fait que commencer. À peine arrivés, voilà que nos jeunes gens ressortent, ouvrant grand les portes, laissant cette belle musique bercer tout le quartier. Une fois dehors, les uns courent acclamer leurs amis retardataires, les autres entament bruyamment la tournée des grands ducs. Certains, désireux de faire un brin de causette, le brouhaha intérieur les en empêchant, s’adossent aux voitures garées sous nos fenêtres et engagent une conversation à bâtons rompus. Faisant fi de tout, cette scène se déroule très naturellement dans un tintamarre et un vacarme sans pareils. Et pour compléter ce beau tableau sonore, les valets parking déplacent les voitures en faisant crisser les pneus et vrombir les moteurs. Tapage nocturne?? Et après?? Nul n’en a cure. Entre-temps, impuissants, ne sachant que faire, nous nous tournons et retournons dans nos lits, comptant les minutes et les heures qui s’égrènent, cherchant vainement le sommeil. Inutile de fuir vers une autre pièce de la maison car, assiégés par les pubs, la même nuisance nous guette à l’autre bout de la rue et les vibrations nous poursuivent partout. Naïvement, croyant résider dans un pays où le bien-être du citoyen est censé être respecté, nous appelons la gendarmerie, confiants et certains qu’elle détient la solution à nos problèmes. Très vite, nous déchantons et retombons sur terre en constatant que les forces de l’ordre ne daignent même pas décrocher le téléphone. Déconfits et abattus, nous traînons le pas vers le lit, essayant encore une fois de dormir. Sitôt assoupis de lassitude, nous nous levons en sursaut, réveillés par des cris et des hurlements?: un premier groupe de ces énergumènes quitte les pubs. Éméchés et hilares, et telles des créatures hystériques, ils viennent se poster sous nos fenêtres continuant, les uns à se bécoter, les autres à se gondoler. Scotchés sur place et se croyant seuls au monde, ils continuent à tue-tête leur conversation agrémentée de quelques éclats de rires tonitruants. À peine ce petit monde se décide-t-il enfin à débarrasser les lieux, qu’un autre groupe sort à son tour et le scénario reprend jusqu’au départ du dernier fêtard. Il est déjà deux heures passées?: grand temps de fermer boutique. Enfin, c’est le calme total?! Épuisés et tendus, nous sombrons dans un sommeil agité dont nous devons malheureusement émerger quelques heures plus tard pour entamer une nouvelle journée de travail, non sans avoir à appréhender la nuit à venir. Et pour exacerber encore et encore notre stress, les gérants de ces pubs, tel un guerrier victorieux en pays conquis, plantent un piquet devant leurs établissements, qui s’avère être l’entrée de notre maison, et nous empêchent de garer nos voitures. Peu importe si nous sommes nés dans ce quartier, ils sont là depuis un mois… Deux mois?? Ils sont les maîtres des lieux. Enfin et pour couronner le tout et bien commencer la journée, nous pataugeons le matin, au sortir de notre immeuble, dans le vomi déversé la veille par nos jeunes amis. Loin de nous l’envie d’être prudes ou bigots?: nous avons tous été jeunes et que de fois avons-nous fait la fête autour d’un pot. Mais à l’heure où nous rentrions de notre soirée, nos jeunes fêtards d’aujourd’hui entament la leur, ameutant ainsi tout le quartier. Gemmayzé, l’un des piliers de l’ancien Beyrouth, ce quartier qu’une dizaine d’écriteaux parsemant ses rues qualifient fièrement de «?quartier à cachet traditionnel?». Que garde-t-il encore de ces fameuses traditions?? La pierre peut-être?? Certains de ces pubs se contentent-ils de servir un simple petit verre inoffensif?? Que cachent ces escapades à deux et ces apartés dans l’entrée de tel ou tel immeuble?? Que représentent ces seringues usagées, jetées au fin fond d’un garage?? Les hurlements poussés en pleine nuit, l’état d’ébriété dans lequel ces jeunes terminent la soirée ainsi que leur comportement bizarroïde, sans oublier ces klaxons stridents qui retentissent après minuit, les pétarades des motos. Tout cela nous pousse à poser mille et une questions. En attendant, notre calvaire persiste, pire qu’une torture physique. Qui nous en sauvera?? À quel saint faudra-t-il se vouer?? Ce problème que nous soulevons et que tant d’autres ont évoqué avant nous semble vraiment dérisoire aux yeux des autorités concernées. En dépit de toutes les plaintes que nous autres victimes de la «?pubomanie?» avons portées, ces autorités non seulement brillent par leur absence et font la sourde oreille, mais elles continuent à délivrer des licences et des permis pour l’ouverture de ces pubs au sein des quartiers résidentiels et dans des immeubles d’habitation. En serait-il de même si l’un de nos responsables pâtissait, lui et sa famille, d’une telle situation?? Bien sûr que non?! Il aurait tout simplement remué ciel et terre pour mettre fin à une telle anomalie et usé de tout son pouvoir pour faire appliquer la loi régissant les activités dans ce genre d’établissement et faire respecter l’horaire légal. Mais tant qu’ils ne sont pas concernés et tant que le fils de l’un ou le frère de l’autre y trouvent leurs intérêts, les responsables continueront à fermer les yeux, chose que nous leur envions d’ailleurs, dormir paisiblement étant devenu notre principal désir. Mais pour réaliser ce rêve et avoir la paix, faudra-t-il, à Dieu ne plaise, désirer la guerre?ou guetter un quelconque attentat pour voir ces pubs fermés ? Loin de nous ce choix sordide. Mais de grâce, Monsieur le ministre du Tourisme, vous qui avez habité Gemmayzé avec vos parents, ayez pitié de vos concitoyens, trouvez-nous une issue à ce supplice?! Est-ce tellement difficile de fixer un horaire précis que ces établissements respecteraient scrupuleusement et qui permettrait à ces jeunes de faire la fête jusqu’à une heure convenable, laissant le citoyen ordinaire jouir des bras de Morphée et dormir à poings fermés. Revendiquer le droit de dormir n’est point un luxe, que je sache. Liliane D. FAOUR
Meurtri et blessé durant la sinistre période de la guerre, voilà que Gemmayzé s’anime et reprend enfin goût à la vie. Enorgueillis et ravis par l’intérêt subit dont notre quartier fait l’objet depuis plus de dix ans, nous avons assisté à sa métamorphose, heureux de voir ses vieux immeubles gris se parer de leurs plus beaux atours et revêtir un air de jouvence. Jadis...