Rechercher
Rechercher

Actualités

À propos du boycott du Salon du livre de Paris Quelles manipulations derrière quelle littérature ?

Le choix du Salon du livre de Paris de cette année prête à équivoque dans l’ambiguïté de la formulation utilisée par les organisateurs et leur choix de faire d’Israël leur invité d’honneur « en commémoration du 60e anniversaire de l’État hébreu ». Le problème n’est pas qu’Israël soit invité d’honneur ou pas. Car il serait tout aussi outrageux d’exclure une littérature d’une manifestation par assimilation à la politique de son État que de ne pas condamner l’occupation israélienne de la bande de Gaza. Tout le hic de ce tollé est encore une fois l’inexactitude des mots utilisés. « Commémoration du 60e anniversaire de l’État hébreu ». Le syndicat national de l’édition reviendra sur cette phrase, soulignant à l’Agence France-Presse que cette invitation est lancée à « la littérature israélienne », et non à l’État israélien en tant que tel. Deux messages contradictoires soulignant l’ambiguïté de l’information. Comme une tentative de se rétracter d’une phrase de trop. D’une prise à parti d’un Salon à caractère littéraire dans une commémoration à caractère politique. Une seule phrase et la littérature devient objet de toutes les manipulations politiques. Une seule phrase et le débat est enclenché. Pourquoi donner à une invitation universelle un caractère politique ? Elle est là, la bourde des organisateurs. Cette bourde doit-elle être imputable aux écrivains invités, pour les crimes de leur État, par un boycott compréhensible au regard de l’histoire mais intolérable pour la notion même de littérature. Que les écrivains israéliens soient invités est un must au même titre que devrait l’être tout écrivain, sans regard de nationalités, avec pour seul commémoration la littérature en soi. Après tout, le Liban a aussi eu son tour dans cette manifestation. Il en fut l’invité d’honneur sans pour autant que son invitation ne soit sous le signe d’une commémoration officielle de sang ou de victimes. Elle est là, la nuance d’un parti pris du salon avec des mots rendus officiels, sans réel souci d’englober toutes les susceptibilités. Pourquoi avoir commémoré une cause politique et pas une autre ? Là est la question. Et pourtant malgré tout ce magma de manipulations ingénues ou voulues, comment pouvons-nous aspirer à la paix si nous nous privons de l’accès à la littérature, outil de communication entre individus, tous conflits confondus ? La culture, miroir de nos civilisations, devrait être prolongation de la pensée avant d’être celle des influences politiques subies. Comment pouvons-nous parler de littérature et de liberté si nous amputons de facto notre réflexion de celle de l’autre ? Les boycotts ne résolvent rien, mais nous emmurent un peu plus. Nous perdons de vue les fondements essentiels de la littérature. La culture est ce dernier pont entre les individus, par-delà les conflits. Il n’y a pas de souveraineté durable entre individus sans celle de l’autre. Il n’y a pas de culture possiblement hermétique dans le monde moderne. Il n’y a que des pluricultures. Sans aucune hégémonie possible. En boycottant, nous condamnons l’autre à rester dans sa case et refusons de sortir de la nôtre. Je ne vois pas comment nous accéderions à un début de paix, si la littérature, ciment universel de toutes les cultures, se trouve incapable d’être un terrain d’entente et de dialogue. Au moins sa tentative, sans qu’aucune manipulation ne soit de mise. Cessons de nous fermer à la particularité intrinsèque d’un individu, qu’il soit écrivain, artiste ou clochard, en lui imputant de prime abord des ressentiments politiques. Il est urgent de séparer pouvoir et culture. Et de nous concentrer sur la quête du beau. De l’autre. Rendons-nous à l’évidence du choc des civilisations. Le XXIe siècle n’aura pas lieu sans dialogue. Le langage, l’art, la culture n’ont aucune place dans la modernité s’ils se limitent à une autarcie d’autosuffisance. On ne peut avoir de culture sans autrui. Ni de paix unilatérale. Ni de pensée unique et autocratique sans entraîner un contresens à la notion même de pensée. On ne signe aucun contrat avec un seul paraphe. Ce boycott est certes politiquement compréhensible du point de vue des ressentiments étatiques, des victimes libanaises et palestiniennes et d’un conflit israélo-palestinien qui n’a que trop duré depuis l’institution de l’État hébreu sur le territoire palestinien d’avant 1948. Mais si l’on se place aussi de ce même point de vue, le dialogue est essentiel. Elle est là, la faille d’un Salon du livre qui aurait pu tout aussi bien, en commémoration du 60e anniversaire de l’État d’Israël, chercher à instaurer le vrai dialogue, invitant également des écrivains palestiniens. Il serait déplorable que la culture ne soit que prolongation des systèmes politiques en mal de souveraineté avec une démocratie en perte de sens partout. La culture et l’échange interculturel ne devraient pas être un moyen d’amputer l’autre de son « Je », mais celui de placer notre « Je » avec celui des autres. On ne fera de souveraineté qu’en collaboration avec celle de l’autre. Arrêtons de transposer sur la littérature et les individus des enjeux politiques, sans prendre le temps de connaître ce qui nous différencie. Arrêtons de juger l’autre avec des clichés et des interdits. Arrêtons de creuser des gouffres en anéantissant tout dialogue. Restituons à la littérature sa place dans l’évolution de la pensée humaine et de l’humanité. Sans quoi nous courons à notre perte, rendant nos conflits dérisoires. Voire inexistants. Il n’y aura bientôt plus de planète à nous disputer si nous ne développons une urgente et réelle conscience écologique. Il est là le souci de ce siècle. La planète court à sa perte alors que nous rapinons des parts de territoires qu’une seule catastrophe naturelle pourrait éradiquer. Progressons technologiquement sans oublier de progresser humainement. Il n’y a pas de pensée libre, mais des êtres libres capables de penser. On ne peut condamner un peuple, un individu, une littérature sur des bases politiques. On ne peut réduire notre perception humaine en fonction d’enjeux économico-politique. L’un ne va pas sans l’autre. Il s’agit là du mariage de raison le plus réussi de l’histoire. La littérature – toute origine confondue – ne peut être responsable de l’histoire. Elle peut en témoigner. Nous avons le devoir de ne pas la limoger. La créativité n’est-elle pas cette tentative humaine d’aspirer au meilleur de nous-mêmes ? La surdité commence quand la politique se désolidarise du culturel. Dostoïevski disait que « la beauté sauvera le monde ». On peut en dire de même de la littérature. Les boycotts – toutes nations confondues – nous perdront. Politiquement. Socialement. Individuellement. Intellectuellement. Librement. La littérature ne peut-être ce moyen aux avancées politiques des uns et des autres. La littérature est une fin en soi. Il est déplorable que chaque affrontement de la bande de Gaza rende cet article un peu moins crédible dans son message de tolérance. Quand il ne reste rien d’une humanité en déclin, il reste peut-être encore nos littératures. Quoi qu’il en soit de cette affaire, il est déplorable qu’écrivains et éditeurs du monde, tous partis confondus, fassent tant de politique autour de la littérature, au lieu de s’occuper à la dépolitiser. Exclure est une régression qui tue simultanément avec l’anéantissement de celui qu’on exclut. Aucun cadavre ne justifie de déni. Aucune oppression n’en justifie une autre. La créativité n’est pas un acte engagé politiquement. C’est un cri humain. Soyons artistes avec nos cris au service de l’art. Hyam YARED Poétesse Article paru le mardi 11 mars 2008
Le choix du Salon du livre de Paris de cette année prête à équivoque dans l’ambiguïté de la formulation utilisée par les organisateurs et leur choix de faire d’Israël leur invité d’honneur « en commémoration du 60e anniversaire de l’État hébreu ». Le problème n’est pas qu’Israël soit invité d’honneur ou pas. Car il serait tout aussi outrageux...