Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

FESTIVAL AL-BUSTAN - Chants chamaniques et musiques du monde, ce soir Voyage « transe-sibérien » avec Stepanida Borisova

Elle dénoue ses longs cheveux noirs de jais, les ramène en avant, se lève et exécute quelques mouvements de danse, les bras levés vers le ciel. Stepanida Borisova ressemble soudain à une sorcière. On s’attend alors à voir la foudre zébrer le ciel. Mais, évidemment, rien de tout cela ne se passe. Et la dame se rassoit, hiératique, un petit sourire mystérieux aux lèvres, sûre de son effet… magique. Elle sirote alors son thé au lait avec une sérénité inébranlable. Et attend patiemment que son interlocuteur, désarçonné par cette démonstration, ait repris ses questions (et ses esprits). Ce soir, la chanteuse qui vient de Sibérie fera revivre les esprits de ses ancêtres sur les planches de l’auditorium Émile Boustani où elle sera accompagnée de ses amis musiciens, Hubl Greiner et Roman Bunka (les deux venant d’Allemagne), et de Mohammad Bedawi (du Soudan). Pour nous offrir une musique hors normes, aux confins de l’improvisation électronique et de l’incantation chamanique. Elle vient de Yakutsk, en Sibérie. À l’aéroport de Moscou où elle a fait une escale, elle a été reconnue et interceptée par une équipe de TV, du programme Dobroe utra (Bonjour). Elle leur a dit qu’elle était en route pour le Liban. Plusieurs personnes lui ont alors déconseillé de poursuivre son chemin, car, disaient-elles, elle ne trouvera dans ce pays que « de la guerre, du béton et du sable ». Mais Stepanida Borisova, « artiste du peuple russe », n’est pas aussi facilement influençable. Elle prend quand même l’avion pour Beyrouth, soutenue par les encouragements de son mari (ministre de la Culture et directeur du Théâtre d’art dramatique de la région de Yakutsk) qui ne cessait de lui affirmer que « le pays du Cèdre est un pays de culture ». De sa chambre d’hôtel surplombant la côte beyrouthine, la chanteuse contemple un spectacle magnifique. La mer, la verdure, les cimes enneigées, Byblos (où elle a été en touriste) puis la capitale (où elle a été s’imprégner des vibrations de la ville)… Impressionnée, elle avoue avoir passé l’avant-midi à envoyer des SMS à ses amis leur racontant combien le Liban est « si beau, si vert »… « Je dois être tombée sous le charme du soleil et de la chaleur », dit-elle, comme pour s’excuser. Stepanida vient, en effet, de la région habitée la plus froide du monde, la température variant de -70° l’hiver (voire -80°) à + 40° l’été, qui est pourtant très court. « La République de Sakha (Iakoutie jusqu’en 1990) est située au nord-est de la Sibérie orientale », raconte-t-elle. Elle nous apprend également que le peuple sakha, de langue turco-mangole, est riche d’une culture ancestrale dans laquelle le chamanisme, religion traditionnelle des Sakha, a la part belle, et n’hésite pas à s’afficher comme le dernier représentant d’une culture panthéiste dans laquelle, détail intéressant, il n’est pas fait de distinction entre culture, magie, musique et nature. « Du reste, à la base, il n’y avait même pas de mots différents pour distinguer ces réalités. » Le chamanisme a nourri jusqu’à aujourd’hui l’imaginaire sakha, et ce, en dépit des persécutions dont les chamanes ont été les victimes du temps du stalinisme Menacé de disparition durant la période communiste, le patrimoine musical sakha est aujourd’hui l’objet d’une reconquête de la part des… Sakha eux-mêmes, soucieux de se reforger une identité nationale forte. « Ce patrimoine est transmis aux enfants dès l’école, où ils sont initiés au chant populaire diphonique “tojuk”, à l’épopée traditionnelle “olonkho” et à la pratique de la guimbarde “ khomus”, instrument emblématique des Sakha », dit elle. Il est utile également de savoir que la tradition du chant sakha emprunte ses éléments mélodiques aux Mongols, aux autres peuples du Nord sibérien et au chant russe. La voix qui guérit Stepanida Borisova s’est d’abord fait connaître en tant qu’actrice au théâtre Ojunski (elle figurera bientôt dans un film sur la vie de Gengis Khan dans lequel elle interprète le rôle de la mère du guerrier mongol). Elle s’est également imposée dans le milieu folk de Sakha pour sa maîtrise des diverses formes de chants traditionnels, notamment le tojuk, chant épique et improvisé, et l’ « ugadan kurduk » chamanique. On a même attribué à sa voix des vertus curatives. Il est vrai que, dans le domaine de la « kamlanie », cérémonie de guérison chamanique, les femmes chamanes sont considérées comme plus fortes que leurs homologues masculins... Avec d’autres artistes de son pays, Stepanida Borisova a fortement contribué au développement de la culture sakha. Mais plutôt que de passer pour une « gardienne du temple folklorique », elle s’est investie dans des projets transculturels, notamment le Hulu Project. Ce dernier est conduit par deux artistes européens, Hubl Greiner, batteur, compositeur et producteur allemand qui sera également à Beyrouth, et Luigi, compositeur et guitariste italien. Un CD paru en 2001, TranceSiberia, illustre les efforts conjoints du Hulu Project et de Borisova pour concevoir un univers sonore qui tienne compte des antagonismes entre « tradition enracinée et modernité globalisante, contexte rituel sacré et “ urbanisme” populaire », indique la pochette du disque. Partisane de l’idée que préserver une tradition ne signifie pas nécessairement la maintenir dans un état figé, Stepanida s’est vite entendu avec ces deux artistes sans frontières stylistiques pour chercher à intégrer sa tradition chamanique « aussi âgée que les pierres » aux modes d’expression musicaux modernes, de la world music au jazz, en passant par l’électro et l’avant-rock. Stepanida Borisova, entourée de Hubl Greiner (batterie et électronique), Roman Bunka (guitare) et de Mohammad Bedawi (chant et percussions), présente donc ce soir, au Festival al-Bustan, une musique étrange, évoquant les steppes sibériennes, les chevaux, les oiseaux. « Dans la culture sakha, la musique est définie comme un chaos permettant, par ses sonorités et mouvements, que s’épanouisse l’âme humaine »... Elle promet une ou deux chansons a cappella qui feront sûrement valoir la force et l’étendue de son registre vocal. Maya GHANDOUR HERT
Elle dénoue ses longs cheveux noirs de jais, les ramène en avant, se lève et exécute quelques mouvements de danse, les bras levés vers le ciel. Stepanida Borisova ressemble soudain à une sorcière. On s’attend alors à voir la foudre zébrer le ciel. Mais, évidemment, rien de tout cela ne se passe. Et la dame se rassoit, hiératique, un petit sourire mystérieux aux lèvres,...