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Actualités - OPINION

LE POINT Le tsarevitch Dmitri

Au portillon russe, on joue des coudes depuis l’annonce des résultats de dimanche. La perspective de travailler avec le nouveau président semble enchanter la Maison-Blanche, qui, sagement, choisit de laisser aux observateurs le soin de se prononcer sur la régularité du scrutin. Londres lève haut son chapeau, Angela Merkel a hâte de rencontrer l’élu du peuple, le très européen Barroso rêve d’un développement du partenariat et Sarkozy tient à se montrer vigilant. Arrêtons là l’énumération, lassante dans son uniformité de ton. Il n’y a, sur place, que quelques esprits chagrins pour déplorer les irrégularités commises au nom de la « démocratie surveillée » et, ailleurs, des journaux pour brandir l’étendard des libertés publiques bafouées par les héritiers du KGB. En somme, pas de quoi faire donner le knout à ces dirigeants, bien peu fréquentables et qui ignorent tout de la Charte des droits de l’homme. D’ailleurs, le premier geste de Moscou, quelques heures après l’élection, n’a-t-il pas été de réduire d’un quart les livraisons de gaz à l’Ukraine, soupçonnée d’être un mauvais payeur alors que nul n’ignore la raison véritable de cette ire à répétition qui dure depuis des mois ? Écarté de la course au Kremlin, Mikhaïl Kasyanov a très vite jugé que la pseudo-consultation de dimanche n’était qu’« une opération de transfert de pouvoirs d’un homme à un autre, initiée par les services secrets ». Ce qui situe l’affaire dans la droite ligne des manœuvres entreprises depuis l’époque héroïque (hum !...) de la défunte Guepeou. C’est vrai que le roque qui vient d’être effectué n’avait rien d’imprévisible. La décision en avait été prise, et rendue publique, en décembre à l’occasion d’un conclave de hauts dignitaires du régime. De plus, tout permet de penser qu’en prenant les mêmes, on ne fait que recommencer. C’est Dmitri Medvedev qui l’a dit, à mots couverts ainsi qu’il sied à cet ancien magistrat grandi dans un sérail dont il connaît tous les détours : « Travailler avec Vladimir Poutine, a-t-il proclamé au soir de sa victoire, assurera au pays des résultats plutôt intéressants et constituera un facteur pour le développement de l’État. » On ne saurait se montrer plus coopératif. Cette fidélité à son mentor, l’intéressé en a donné une preuve touchante quand il avait décidé de prendre des leçons de diction pour imprimer à sa voix des résonances poutiniennes. L’opinion des kremlinologues est qu’en prêtant au nouveau chef de l’État des velléités d’indépendance, il lui faudra des années de labeur pour démonter pièce par pièce la machine actuelle et en remplacer les rouages par ses fidèles – en mettant qu’un tel groupe soit autorisé à se former. Les mêmes spécialistes font valoir que le plus jeune maître de toutes les Russies depuis Joseph Staline n’est pas, comme son protecteur, un ancien du KGB, qu’en matière économique, il apparaît plutôt comme un libéral, enfin qu’à l’égard de l’Occident, il ne passe pas pour incarner la tendance dure. Il lui restera à concrétiser une liberté d’action qui, pour l’heure, ne semble pas grande. D’autant plus que son prédécesseur continuera, pour quelque temps encore, à jouir d’une aura sans précédent depuis la fin de l’Union soviétique. Sous sa direction, la croissance annuelle ne cesse d’afficher un taux insolent de 10 pour cent, aidée en cela par la hausse des cours du pétrole, du gaz et des matières premières dont le pays est un grand producteur. À l’actif de l’ère Poutine, il convient aussi d’inscrire le retour d’une incontestable fierté nationale, un sentiment que l’on croyait définitivement enterré depuis les pantalonnades du double mandat de Boris Eltsine. On aurait tort cependant de voir dans le culturiste Medvedev (il soulève des poids de 100 kilos, comme dit la chanson de Georges Ulmer) un produit préfabriqué et empaqueté. Devant les journalistes, il n’a pas tardé à poser ses premiers jalons et s’est montré tel que ses concitoyens sont invités à le découvrir : un homme discret certes, mais parfaitement à l’aise dans son nouveau rôle, connaissant ses droits et ses devoirs fixés par la Constitution. D’emblée il a tenu à préciser que « le président a ses pouvoirs et le Premier ministre a les siens ». Ce qui n’est pas sans rappeler le fameux « lui c’est lui, moi c’est moi » d’un certain Laurent Fabius… Par une de ces ironies dont l’histoire a le secret, le spectacle de cette permutation de rôle auquel le monde vient d’assister s’est déroulé alors que la Russie connaît un essor sans précédent peut-être depuis l’époque de la Grande Catherine et que, parallèlement, l’Amérique semble engagée sur une pente déclive, avec des déboires militaires en Irak et en Afghanistan, une crise économico-financière annonciatrice peut-être d’un nouveau krach et une nette perte de prestige dans le monde. Il y a deux décennies à peine, on appréhendait un choc de titans. On a craint après cela de voir s’installer aux commandes du monde une unique superpuissance. Nous sommes peut-être à la veille de découvrir que les maîtres à venir ne sont pas ceux qu’on croyait. Scénario trop futuriste ? Espérons qu’il ne sera pas, alors, trop tard pour s’en réjouir ou s’en lamenter. Christian MERVILLE
Au portillon russe, on joue des coudes depuis l’annonce des résultats de dimanche. La perspective de travailler avec le nouveau président semble enchanter la Maison-Blanche, qui, sagement, choisit de laisser aux observateurs le soin de se prononcer sur la régularité du scrutin. Londres lève haut son chapeau, Angela Merkel a hâte de rencontrer l’élu du peuple, le très...