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Actualités - REPORTAGE

Le pacte d’entente revu et corrigé à la lumière des nouvelles donnes géopolitiques Les accords de Taëf ont-il trouvé leurs limites ? Jeanine JALKH

Le tabou qui entoure la Constitution libanaise est-il désormais tombé ? Durant les 15 années de son application, ou de sa « non-application » diront certains, le texte fondamental concocté en Arabie saoudite sous l’égide du royaume wahhabite, avec la participation des États-Unis et, plus implicitement, de la Syrie, a été entouré d’une sorte de halo que personne pratiquement n’avait cherché à remettre en question. Certes, l’on critiquait souvent le phénomène de la troïka, qualifiée à l’époque de « déviation » due aux équilibres politiques en présence, mais l’on s’était rarement risqué à remettre publiquement en cause la Constitution de la seconde République qui avait mis fin à vingt ans de conflit interne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui alors que des voix — au sein de l’opposition surtout — se font de plus en plus entendre pour dénoncer les failles que recèle le Texte fondamental, longtemps sacralisé par les différentes parties libanaises. Qu’est-ce qui a provoqué ce changement majeur dans les discours de certains leaders politiques, analystes, voire certains constitutionalistes qui se hasardent désormais à parler de la nécessité d’un « nouveau pacte social », ou du moins à modifier certaines clauses du Texte fondamental qui prêtent à confusion ? Telle qu’elle a été conçue dans l’esprit des législateurs, la Constitution de Taëf a-t-elle trouvé ses limites et par conséquent sa propension à consolider la coexistence et l’entente interlibanaise recherchées ? Si l’on reconnaît, avec certains experts, que le texte de 1990 avait été établi « à chaud », pour mettre fin à une guerre civile fratricide, l’on comprendrait peut-être aujourd’hui– notamment au lendemain du départ des troupes syriennes et des changements géostratégiques majeurs dans la région – la volonté exprimée par certains de repenser certains fondements de cette Constitution, par d’autres d’en réclamer son application en bonne et due forme, certaines clauses relatives au processus de réforme – l’élimination du confessionnalisme politique, la mise sur pied d’un Sénat, la décentralisation, etc. – étant restées lettre morte depuis la mise en place des accords de Taëf. Cependant, la question est de savoir si le climat politique – marqué par une crise profonde et un manque de confiance sans précédent – est devenu plus propice pour les acteurs libanais, qui, pas plus qu’en 1990, se trouvent aujourd’hui de nouveau cloisonnés et divisés tout à la fois par des lignes de démarcation politiques, sociales, communautaires et psychologiques. Une Constitution étant par essence le fruit d’un contexte géopolitique (surtout au Liban), d’équilibres en présence, d’équations sociales et culturelles, ainsi que de la maturation d’un processus historique, l’on est en droit de se demander s’il est possible, à l’ombre des tiraillements actuels et de la guerre par procuration que mènent l’Occident et l’axe de confrontation syro-iranien au Liban, de repenser « à froid » un nouveau pacte social. Le débat est en tous les cas ouvert et les positions très nuancées sur la question, les voix « dissonantes » ou « critiques » venant surtout de la part de l’opposition. Quant à la majorité, dirigée par la communauté sunnite, elle s’accroche à « la dépouille » d’un texte de plus en plus bafoué, écartelé et vidé de son sens, notamment au lendemain du vide constitutionnel provoqué par la non-élection du chef de l’État et à l’ombre de la quasi-paralysie des institutions de l’État. Afin de mieux comprendre la crise actuelle qui a abouti à la remise en cause du Texte fondamental, une source politique informée tente d’expliquer la problématique qui entoure aujourd’hui les accords de Taëf en retraçant le contexte géopolitique de l’époque, qui avait contribué à son émergence et les engagements internationaux qui avaient accompagné la gestation de ce pacte d’entente. La source citée — qui tient à garder l’anonymat tant il est vrai que le sujet soulève des passions de part et d’autre — rappelle que l’un des piliers fondamentaux sur lesquels devait reposer la Constitution de la seconde République consistait dans l’application des résolutions internationales, notamment l’accord d’armistice de 1949, qui prévoit la stabilité et la sécurité des deux côtés de la frontière. Cet accord suppose « une responsabilité certaine qui incombait à l’époque à la communauté internationale, et notamment des membres permanents du Conseil de sécurité, pour faire respecter l’armistice de 1949, adopté sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, et ce par la force s’il le faut ». Cela implique par conséquent « le droit de légitime défense du peuple libanais » par le biais de sa Résistance en cas d’agression par Israël, soutient le responsable. Ce vieux routier rappelle d’ailleurs que l’accord d’armistice porte sur « l’ensemble des territoires libanais, y compris les fermes de Chebaa, occupées par Israël bien avant 1967, même si celui-ci prétende le contraire ». La communauté internationale avait ainsi « l’obligation » de veiller à la bonne application de cet accord d’armistice en attendant la résolution du conflit israélo-arabe, ce qu’elle a omis de faire, insiste la source. Cela s’explique en partie par le changement de stratégie adopté par les États-Unis au lendemain de la guerre du Golfe en 1992, la résolution du problème libanais « n’étant plus pour l’Administration US un prélude à un règlement global dans la région, mais devant désormais dépendre de la résolution du conflit israélo-arabe ». Ce changement de cap a poussé Washington — qui tablait sur la conférence de paix de Madrid pour une solution globale — à se désengager du Liban pour se contenter de « gérer la crise » en attendant le règlement escompté dans la région. « Les États-Unis avaient mal calculé en tablant sur la conférence de Madrid dont ils espéraient un règlement quasi imminent », estime la source. Et celle-ci de citer l’un des rares discours de Yitzhak Shamir à l’époque, qui avait parlé « d’un plan d’atermoiement prévu par l’État hébreu qui se prolongera une dizaine d’années ». C’est une des raisons majeures qui explique pourquoi l’application de Taëf, dans son volet international en tout cas, avait été suspendue, la « gestion de la crise libanaise » ayant été confiée par les Américains à la Syrie. Le plan prévu à Taëf, notamment dans sa clause relative à l’application des résolutions internationales et des fameux accords d’armistice, devait ainsi être sérieusement remis en cause, le plan de paix ayant échoué. Or, relève la source, les troupes syriennes se sont retirées depuis 2005, et l’application du Texte fondamental dans « ses volets internes » a été abandonnée au gré des conjonctures et des tiraillements locaux. Ont été notamment négligés les deux autres « piliers fondamentaux » des accords de Taëf, à savoir, d’une part, la réédification des forces armées libanaises qui devait se faire avec l’aide et l’appui des pays arabes, notamment la réhabilitation des institutions paralysées durant la guerre civile. Sans oublier, d’autre part, toute la panoplie de réformes prévues par la nouvelle Constitution. A été également relégué aux calendes grecques le troisième pilier, qui consiste à établir « des relations fraternelles avec la Syrie, dans le cadre du respect de la souveraineté et de l’indépendance des deux pays », la Syrie s’étant engagée, dans le cadre de ces accords, à ne permettre « aucune action susceptible de menacer la sécurité du Liban, son indépendance et sa souveraineté ». Bref, un chantier constitutionnel qui reste entièrement à faire d’autant que le document de Taëf, dans la logique des constituants, n’est rien d’autre qu’« une feuille de route » ou si l’on veut « un plan de travail » sur lequel devaient plancher les Libanais pour matérialiser et concrétiser l’esprit du préambule consacrant le principe sacro-saint de la coexistence. « La plus grande lacune depuis l’adoption du Texte fondamental réside dans l’absence d’une stratégie de l’édification de l’État civil », précise la source qui rappelle que les décrets d’application de la Constitution prévus n’ont jamais vu le jour. Autre déficience majeure venue porter un coup fatal à la coexistence interlibanaise au lendemain du retrait des Syriens, la loi électorale dite « loi Ghazi Kanaan », qui a poussé les trois communautés musulmanes – druze, chiite (Amal et le Hezbollah), sunnite – à former la fameuse alliance « quadripartite », marginalisant ainsi les chrétiens qui se sont sentis « écartés » du jeu politique, d’où la réaction d’autodéfense d’un de leurs leaders, Michel Aoun, estime la source . « C’était le point de départ d’une situation qui devait s’avérer catastrophique, en tout cas étrange à la société libanaise, et certainement contraire au pluralisme politique et à l’objectif suprême de la coexistence. Pour la première fois dans l’histoire du Liban, ces élections avaient consacré le monopole des communautés qui ont été accaparées par cinq leaderships, ceux de Saad Hariri, Walid Joumblatt, Nabih Berry allié à Hassan Nasrallah et Michel Aoun. Face à cette polarisation communautaire aiguë, chacun des leaders en présence s’est barricadé derrière son média pour tirer sur l’autre et consolider son leadership communautaire. Le dialogue, qui normalement doit avoir lieu au Parlement, s’est transposé dans les rues, nourri par les polémiques virulentes mises en scène par les chaînes de télévision », affirme le responsable. Ce dernier reste cependant convaincu que la polémique actuelle autour de la Constitution de Taëf n’est pas véritablement un problème d’interprétation du texte — dont la majeure partie n’a jamais été appliquée à ce jour —, mais plutôt « un conflit pour le pouvoir, alimenté par les craintes communautaires que les leaderships en présence attisent en permanence ». « Seule une loi électorale équitable et représentative de la mosaïque sociale peut sortir le pays de cette situation inextricable et restituer à la vie politique son cadre institutionnel naturel, pour permettre enfin l’édification du plan de réforme prévu dans le Texte fondamental », conclut la source. Reste à savoir si le climat régional au bord de l’embrasement et les pressions internationales de part et d’autre permettront aux Libanais de repenser leur avenir en termes d’institutions démocratiques et de coexistence communautaire.
Le tabou qui entoure la Constitution libanaise est-il désormais tombé ? Durant les 15 années de son application, ou de sa « non-application » diront certains, le texte fondamental concocté en Arabie saoudite sous l’égide du royaume wahhabite, avec la participation des États-Unis et, plus implicitement, de la Syrie, a été entouré d’une sorte de halo que personne...