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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE - « Translating Libya » (Traduire la Libye) d’Ethan Chorin aux éditions Saqi La Jamahiriya d’hier et d’aujourd’hui

À mi-chemin entre l’anthologie et les carnets de voyage, « Translating Libya » (Traduire la Libye) d’Ethan Chorin donne un aperçu assez éloquent de la « Jamahiriya » à travers la plume de seize nouvellistes libyens. Le diplomate américain y ajoute son grain de sel en introduction de chaque histoire en relatant ses pérégrinations dans les villes et les régions qui y sont citées. Ces écrits, qu’il a pour la plupart traduits lui-même de l’arabe vers l’anglais, « reflètent la mosaïque de ce pays qui se coupe et se recoupe comme un puzzle géant », précise l’auteur dans l’introduction. Publié aux éditions Saqi, en association avec le London Middle East Institute at SOAS. Ethan Chorin a été le premier attaché commercial et économique depuis la fermeture en 1980 de l’ambassade US en Libye. Bardé de diplômes (un Ph.D. en agriculture et ressources économiques de U.C. Berkeley, un M.A. en sciences politiques internationales de Stanford et un B.A. en littératures et langues du Proche-Orient de Yale), il maîtrise, outre l’arabe, le français, le farsi et l’hébreu. Une bourse Fulbright-Hays l’a mené au Yémen, en Jordanie et en Erythrée où, de 1998 à 2000, il a étudié la compétition entre les ports de la mer Rouge. Avec Translating Libya, il ouvre une fenêtre sur la Libye d’aujourd’hui, un pays qui subit une transformation urbaine ultrarapide, une société à la pointe du mouvement de modernisation et d’ouverture, et une industrie touristique naissante. Il ne faut pas l’oublier, la Jamahiriya est passée en l’espace de quelques années du statut d’« État voyou » et de « banquier du terrorisme international » (c’est ainsi que les États-Unis ont pendant longtemps présenté le pays du colonel Kadhafi) à celui d’une nation dont la fréquentation est hautement recommandée. Mieux, la Libye s’est même offert le rang envié de marché émergent. Quand le Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé, il y a cinq ans, la décision de lever les sanctions économiques imposées en 1992, le gouvernement libyen s’est lancé sans attendre dans une course contre la montre pour effacer les stigmates causés par onze années d’isolement. Les préjugés entretenus sur la Libye – souvent perçue comme un pays fermé, inhospitalier et allergique aux valeurs et à la culture occidentales – sont en train de s’effriter. Pour se faire une idée de ce qu’est la Libye aujourd’hui, il ne faudrait pas trop prendre pour référence l’actualité – souvent abondante, mais au fond peu pertinente – liée aux activités du fantasque guide de la révolution libyenne, le colonel Mouammar el-Kadhafi. Il est plutôt conseillé de se fier à la littérature se rapportant à ce pays, produite durant ces vingt dernières années. La littérature libyenne est en effet d’une extrême fécondité. Réduite assez souvent au seul nom du plus célèbre des écrivains libyens, le romancier Brahim Kouni, mal diffusée, peu traduite, cette littérature est très peu connue de la part tant des publics arabes que du lectorat occidental. Ethan Chorin a donc trouvé le bon filon : fouiller dans cette riche production, la défricher, en dénicher des thèmes divers et les diviser par régions. Ainsi, chaque nouvelle publiée dans cet ouvrage se réfère à un village ou un lieu. Le tout est divisé en trois grandes régions géographiques, Est, Ouest et Sud, qui correspondent aux provinces de la période préindépendance de Cyrenaica, Tripolitania et Fezzan. Ces écrits sont également disposés de manière chronologique et racontent ainsi les grandes étapes de l’histoire contemporaine de la Libye. De la Seconde Guerre mondiale à l’ouverture à l’Occident ou Infitah, en passant par l’indépendance en 1951, la découverte du pétrole en 1959, la révolution de Kadhafi en 1969 et la période de sanctions (1991-2003). Chorin indique par ailleurs que le processus de collecte des nouvelles était plutôt ardu et anecdotique, et mériterait un pamphlet à lui seul. Dans la préface, le diplomate Richard W. Murphy compare cet ouvrage à un livre de voyages qui contiendrait des annotations historiques et culturelles, pimentées par les commentaires de l’auteur. « Les histoires choisies sont liées à des lieux visités. Côté thèmes, il y a là des légendes, des paraboles historiques, mais aussi des préoccupations plus contemporaines, indique l’ancien secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Chorin promène le lecteur à travers ce pays qu’il compare à un puzzle géant. Précédant chaque nouvelle traduite, on trouve un explicatif historique sur le lieu mentionné. » Littérature déprimante ? « Au début de l’ouvrage, le chapitre intitulé “Place and Identity” (Lieu et identité) tente de percer le mystère principal de cet ouvrage, note encore Chorin. Où sont partis les gens et les lieux ? » Chorin tente d’y répondre dans les six derniers chapitres. Pour cela, il s’inspire directement des problèmes socio-économiques observés sur le terrain ou des thèmes mentionnés dans les nouvelles. L’essai intitulé « Three Generations of Economic Shock » analyse, par exemple, comment si peu de choses – mais aussi tant de choses – ont changé depuis la découverte du pétrole en 1959. « Migration » décrit la manière dont la société a été construite sur le plan démographique. « Minorities » examine la position des minorités ethniques et religieuses avant 1967. « The Libyan Psyche » explique pourquoi la majeure partie de la littérature libyenne est si déprimante. Et « Libyan Women : Moving Backwards, Forwards or Looping for a Third Way ? » scrute une contradiction majeure dans la société libyenne et qui se situe entre l’image de la femme révolutionnaire et la manière dont la majorité des femmes choisissent de vivre leur vie. D’une nouvelle à l’autre, l’auteur privilégie une écriture réaliste qui est déterminée par des exigences référentielles. On trouve là des auteurs au style rigide, académique. Et d’autres, comme Ali Mustapha Mosrati, qui affectionnent, dans leur description de l’espèce humaine, le détail croustillant, la banalité précieuse des gestes et des manies de la vie de tous les jours, le grossissement des traits et des habitudes qui caractérisent certains types sociaux (l’avare, l’ignare, le fanfaron, le cynique, etc.) et l’humour doux-amer. L’un des doyens de la littérature narrative libyenne, nouvelliste et portraitiste prolixe, habile et observateur sagace, Mosrati, épingle les travers de la condition humaine par le biais d’un regard de satiriste qui n’est pas sans rappeler celui de La Bruyère ou de Molière… Translating Libya se présente donc comme un miroir grossissant braqué sur la Libye contemporaine, mais qui reflète également l’influence des Romains, de l’occupation italienne et le flux des travailleurs étrangers venant de l’Afrique profonde. Voilà une lecture enrichissante, un mélange de commentaires socio-économiques épicés d’observations ethnologiques, greffés de témoignages d’auteurs venant de divers milieux et « écoles ». Bienvenue au pays du colonel révolutionnaire ! Maya GHANDOUR HERT
À mi-chemin entre l’anthologie et les carnets de voyage, « Translating Libya » (Traduire la Libye) d’Ethan Chorin donne un aperçu assez éloquent de la « Jamahiriya » à travers la plume de seize nouvellistes libyens. Le diplomate américain y ajoute son grain de sel en introduction de chaque histoire en relatant ses pérégrinations dans les villes et les régions qui y sont...