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CONSÉCRATION - May Menassa et Jabbour Doueihy parmi les finalistes du Booker Prize Écrire dans le monde arabe… enfin une reconnaissance !

L’écriture n’est plus une aventure solitaire, vouée le plus souvent aux humeurs, engouements et diktats d’un cercle restreint de fins lettrés ou de quelques mordus de littérature. Du moins pour le monde arabe, où les auteurs les plus lus et les plus chanceux regardent avec étonnement et quelque abattement (mais ils ont eu de la ténacité, il faut le dire) leurs pairs étrangers et européens atteindre des chiffres de vente et des records enviables… Sans parler de la reconnaissance publique, de l’attachement, du prestige et de l’autorité de la « chose écrite »… Aujourd’hui, avec la force et la promptitude des médias ainsi que le rayonnement de la culture à travers eux, les événements prennent des tournures différentes et légèrement plus satisfaisantes… Pour parler sans ambages, avec la volonté et la détermination du monde arabe de sortir des labels réducteurs où on veut le cataloguer si arbitrairement et si injustement, le vent a pris une nouvelle orientation… Et les rôles sont renversés, car public et auteurs finalement se rejoignent. Une sensibilisation et une éducation sont de mise, et la culture arabe revendique à nouveau un droit de cité. L’union fait la force, dit-on, et dès qu’une société s’organise, on peut espérer une vision plus ambitieuse, plus claire et plus saine. Et plus que jamais, la voix des écrivains s’est élevée, haut et fort, contre les distorsions de la société, de la vie et de l’amour… Et contre les horreurs, les injustices et les crimes de la guerre. Avec le Booker Prize, éminent prix littéraire, cousin germain du prestigieux Goncourt, dont l’enjeu initial en 1968 était de faire découvrir surtout des écrivains du Commenwealth britannique, d’Irlande, du Pakistan et d’Afrique du Sud, les perspectives et les vues se sont élargies pour atteindre les rives de l’arabité. Écrire dans le monde arabe est, comme partout sur la planète terre, un acte de création. Acte de création pour faire une œuvre d’art tout aussi bien que de témoigner des conditions de vie pour une contrée embrasée par les conflits depuis plus d’un demi-siècle… Une œuvre qui doit être reconnue internationalement pour ses valeurs propres, créatives, stylistiques, culturelles et humaines. Aujourd’hui le Booker Prize, parrainé par la Fondation d’Abou Dhabi, verse à chaque finaliste 10 000 dollars, et le lauréat, heureux gagnant de cette course littéraire de plus en plus serrée, dans une cérémonie qui se déroulera à Abou Dhabi le 10 mars 2008, se verra attribuer la coquette somme de 50 000 dollars… Il est réconfortant de savoir qu’on n’écrit plus comme on jette une bouteille à la mer, et que l’aspect financier de toute fiction basée sur un témoignage ou un imaginaire tiré de la réalité n’est plus un aspect ignoré ou escamoté… Mais l’attribution du Booker Prize n’est pas une simple histoire commerciale ou de marketing, mais bien la reconnaissance, la promotion, le lancement, la révélation et la consécration d’un talent de romancier, d’hommes ou de femmes de lettres…Et, en l’occurrence, il s’agit du roman arabe. Pour cette année Londres, où l’événement prend racine, a annoncé six noms d’auteurs arabes. Deux Libanais, deux Égyptiens, un Syrien et un Jordanien sont sélectionnés avant la remise du prix. Des œuvres romanesques, certes différentes dans leur structure, leur concept et leur énoncé, mais projetant un même horizon d’un univers que la langue, les remous sociaux, les conflits confessionnels, les aspirations à la paix, le besoin du rêve, le droit à la liberté et la culture soudent. Comment réagissent les deux écrivains libanais parmi les finalistes, May Menassa et Jabbour Doueihy, qui vaquent normalement à leur tâche quotidienne, mais sont aussi portés par la joie d’avoir été sélectionnés pour un prix international qui ouvre les portes du grand monde de la lecture et du lectorat ? Ils ont bien voulu accorder ces quelques bribes de confidences… « C’est ma plume qui me stimule »… Présente sur plus d’un front, toujours débordante d’énergie et de bonne humeur, May Menassa, la vraie « stakhanoviste » de la plume, est, bien sûr, ravie d’être parmi les finalistes. Pour l’auteur de Antael al-Ghoubar wa Amchi (Je chausse la poussière et je marche…), éditions Riad al-Rayess : « Il s’agit d’un grand bonheur, car c’est surtout la reconnaissance qui est importante, souligne la journaliste. Cela exauce mon rêve, bien entendu : que mes écrits dépassent surtout les frontières du Liban… Je sais, la presse ici a présenté mes ouvrages, mais un prix c’est autre chose, une autre envergure, un autre horizon. Ce qui me stimule surtout, c’est ma plume. Écrire encore et toujours. Si je n’écris pas, pour moi c’est une punition ! Dieu m’a donné la grâce d’écrire. Dieu n’a pas de religion… Je suis comme le lierre, je m’accroche ou je meurs… » Un livre en chantier pour l’infatigable et vaillante May Menassa ? « Oui, je viens de remettre un nouveau manuscrit, dit-elle avec sa grande simplicité. Cela s’appelle Al-Saa al-Ramlia (Le sablier) »… Pour le moment, nous n’en saurons pas plus, le temps et ses sables mouvants nous le diront bientôt… « Une gratification… » Pour l’auteur de Matar Hezeiran (Pluie de juin), éditions Dar an-Nahar, la surprise est de taille. « Non, dit-il, je ne m’attendais pas à cette distinction pour mon quatrième roman et, en fait, cinquième livre ! D’autant plus que je vis un peu dans l’isolement car, pour écrire, j’ai choisi d’être plutôt déconnecté. Cela est bien entendu une gratification qui m’enthousiasme et me fait plaisir. Quelques-uns des finalistes sont d’excellents auteurs. Non je n’avais pas beaucoup de connaissance à propos du Booker Prize. C’est Hoda Barakat, je crois, qui a été la première à m’en parler. En fait, je croyais que mon roman, avec son histoire très locale, ne suscitait pas beaucoup d’intérêt ailleurs, ou sous d’autres cieux. Le tribalisme et le refus de l’autre, thèmes que j’évoque dans mon ouvrage, semblent des répercussions que capte le monde arabe sur plus d’un plan… Le livre Matar Hezeiran paraîtra bientôt aussi en français grâce à la traduction de Hoda Ayyoub. De même que Ain Wardé est traduit en français par Emanuel Valet et paraîtra chez Actes Sud. Oui je me suis déjà attelé à un nouveau roman. Cela est venu par un moment de morosité quand je croyais, à tort, assis dans un café, que rien ne se passait... Mais le soir même, en rentrant, j’ai appris, avec l’histoire de “ Fath al-islam”, la part noire et sombre de la vie. J’étais choqué. De grandes choses se passent et l’on croit que rien ne se passe… Cela m’a bouleversé… »  Edgar DAVIDIAN Les finalistes Madih al-Karahia (Éloge de la haine) de Khaled Khalifé – Dar Amissa –Syrie. Matar Hezeiran (Pluie de juin) de Jabbour Doueihy – Dar an-Nahar – Liban. Wahat al-Ghouroub (L’oasis du crépuscule) de Bahaa Taher – Dar al-Sherouk – Égypte. Taghrid al-Bajaat (Le chant du cygne) de Mekkaoui Said – al-Dar – Égypte. Ard al-Yambous (La terre du purgatoire) de Élias Farkouh – Dar Azmanat – Jordanie. Intael al-Ghoubar wa Amchi (Je chausse la poussière et je marche…) de May Menassa – Riad al-Rayess – Liban.
L’écriture n’est plus une aventure solitaire, vouée le plus souvent aux humeurs, engouements et diktats d’un cercle restreint de fins lettrés ou de quelques mordus de littérature. Du moins pour le monde arabe, où les auteurs les plus lus et les plus chanceux regardent avec étonnement et quelque abattement (mais ils ont eu de la ténacité, il faut le dire) leurs pairs...