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Actualités - OPINION

L’« erreur » du patriarche maronite Dr Issa FARKH

L’ « erreur » du patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir ? C’est celle d’être la voix qui crie dans le désert et de continuer seul à scander inlassablement, pendant des années, les constantes et les valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous nous sommes battus pendant des années. L’erreur ? C’est celle de reléguer aux oubliettes, avec son grand cœur et sa foi chrétienne, ses griefs et ses expériences douloureuses d’autrefois et de continuer à ouvrir grand ses bras à tous ses enfants prodigues. Celle de continuer à croire dans l’homme et dans les grandes valeurs. Il en est bien récompensé et au-delà de sa personne et des symboles dont il est dépositaire… Son cœur saigne en constatant le niveau auquel les misères, les bassesses et les facultés d’oubli de l’homme peuvent entraîner ce dernier, surtout lorsqu’il s’agit d’un fils bien-aimé. Avec lui, le cœur de la majorité silencieuse des chrétiens d’abord, mais celui de la majorité silencieuse tout court saigne en silence aussi. Oui, messieurs qui prétendez représenter les majorités. Vos majorités sont factices, basées sur vos magouilles, vos truquages et vos combines. Cette majorité n’est ni dans l’un des camps ni dans l’autre et vous ne trompez que ceux qui ne demandent qu’à croire aux mensonges auxquels vous prétendez vous-mêmes croire. Elle assiste impuissante à vos petits calculs et à vos manœuvres politiciennes qui n’ont pour finalité que celle de vous permettre d’occuper et de profiter des postes que vos soumissions et vos compromissions continues vous ont permis d’atteindre. Ce que plusieurs années de durs combats et de durs sacrifices arrosés du sang de nos amis les plus chers avaient réussi à réaliser, vous êtes en train de le détruire aujourd’hui. J’ai été rendre visite, l’autre jour, à Georges dans sa tombe. Georges est mort en 1978 en transportant un blessé à l’hôpital. Il m’a dit non pas regretter d’être mort pour la cause, mais être content de ne plus être ici pour voir à quel point les personnes en qui nous avions placé tous nos espoirs pour rebâtir un pays, un vrai, avaient dégénéré et étaient parfois traîtres et parfois décevantes. Le plus douloureux, c’est que l’histoire est en train de se répéter et que vous n’avez rien compris ni rien voulu comprendre. Tous les acquis de notre résistance de quinze ans et du sacrifice de la plus pure de notre jeunesse face à des ennemis farouches et tenaces avaient été anéantis en quelques mois à cause d’une lutte fratricide que rien ne pouvait excuser. Je ne veux rejeter les responsabilités ni sur les uns ni sur les autres, mais le résultat est là. Le Syrien a pu gouverner en vainqueur et distribuer les miettes de son bon vouloir à ses sbires et acolytes, qui se sont empressés d’en profiter goulûment. Toutes les personnalités pouvant éventuellement jouer à nouveau, un jour, un rôle édificateur ont été supprimées et nous ne devions plus avoir d’autre choix que de continuer à survivre comme citoyens de deuxième catégorie et à quêter un sourire de la part de nos bourreaux. Nos compatriotes d’autres confessions n’y ont vu au départ aucune objection et ils étaient allègrement rentrés eux aussi dans la ronde. Tout devait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… Puis, alléluia ! L’inespéré s’est produit. Le Syrien et ses sbires ont dû se retirer, la queue entre les jambes et nous avons pu à nouveau rêver d’un pays. De plus, nos concitoyens, ennemis d’un moment, mais que nous avions inclus à leur insu dans les bénéfices de notre résistance et dans nos rêves de lendemains meilleurs, nous ont rejoints dans le même combat. Est-ce une raison pour changer de vision et ce combat ? Je ne suis pas « geageaiste », loin de là. Encore moins amoureux de Joumblatt et des Hariri. Je ne fais partie d’aucune formation politique. Les agissements et exactions d’un passé, pas très vieux, sont encore présents dans nos esprits. Nous voulons construire un pays ? Il ne faut pas être rancunier certes, mais que diable, gardons notre mémoire et profitons de nos expériences du passé pour bâtir sur du solide et non sur du factice. Ne laissons pas nos haines et nos inimitiés nous dicter nos conduites, mais bien plutôt nos convictions et les buts que nous nous sommes fixés. Le moment n’est pas aux règlements de comptes. Le fait de ne pas aimer, voire de détester les uns ne devrait pas nous projeter dans le camp des autres. N’oublions pas que les uns et les autres nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui. Réveillons-nous et ne nous laissons pas conduire comme des moutons de Panurge par des personnes parfois haineuses, parfois démagogues et parfois complètement perdues, prisonnières d’elles-mêmes et de leurs positions ou alliances, souvent assoiffées de pouvoir et complètement aveuglées par lui. Certaines pensent même posséder ce pouvoir de droit divin. Le Syrien serait-il devenu plus proche de nous que notre voisin, notre ami de toujours, notre frère d’armes et notre propre famille parfois ? Est-ce que la voix du sang et le goût salé des larmes que nous avons versées ensemble ne signifient plus rien pour nous ? Le patriarche maronite est-il brusquement devenu père indigne et traître à ses enfants ? Voilà même que, maintenant, certains veulent briser cette main – toujours tendue – qu’ils ont régulièrement baisée à Bkerké sous prétexte qu’ils n’entendent pas exactement le son de cloche qui leur convient, celui qui épouse exactement leurs vues et leurs intérêts ? Un proverbe, vulgaire excusez-moi, mais particulièrement parlant résume admirablement bien la situation. Ils font comme le mari qui, pour punir son épouse, se fait châtrer. Je n’en veux pas aux nouveaux arrivants – et arrivistes – sur la scène politique, pour lesquels tous les moyens sont bons pour se faire une place au soleil et « être quelqu’un ». Je n’en veux pas à ceux qui, se voyant perdus, préfèrent détruire tout l’édifice plutôt que de se retirer. Pour ceux-là, la chose fait partie de leur jeu et de leur éducation. J’en veux beaucoup plus à toutes les personnes de valeur, héritières de traditions séculaires, fils de famille au passé glorieux au service de leur pays et de leurs communautés, à toutes les personnes qui, par leur culture et par leurs ouvertures, sont censées jouer un rôle différent. L’histoire se souviendra beaucoup plus glorieusement d’eux comme objecteurs de conscience et voix de vérité que comme sous-fifres de petits combats de poulailler. J’appelle ces personnes-là à un réveil et à un ressaisissement immédiat. Je leur demande de briser les chaînes qui les empêchent de remonter à la surface. Ne vous faites pas les complices et les faux témoins d’actions et de déclarations qui ne reflètent en rien votre réalité. Votre place n’est pas parmi les inconditionnels des uns ni des autres ; elle exige de vous que vous réagissiez au coup par coup. Votre voix devrait être celle de la sagesse et de la conscience, celle qui est au milieu et fait toute la différence. De grâce, ne la laissez pas étouffer. Il n’est nulle honte de s’avouer que l’on a pris un faux chemin. La vraie grandeur et la vraie force de caractère résident dans le fait de le reconnaître d’abord puis de le rectifier. Je pense qu’il est inutile d’avancer des noms. Ceux à qui je m’adresse sont nombreux, politiciens ou citoyens, et ils se reconnaîtront. Je demande à ces personnes-là d’excuser mon discours, mais c’est parce que je crois encore dans leurs valeurs réelles qui ne demandent qu’à ressurgir même si elles ont été momentanément enfouies en eux par la faiblesse de la nature humaine et la complexité de la situation. Il aurait été plus grave de ne rien leur dire. Quelque difficiles que soient les temps par lesquels nous passons, malgré la difficulté intellectuelle et économique de l’épreuve, je voudrais rassurer tous ceux qui voient les choses autrement. Le Liban a passé dans son histoire par d’autres épreuves aussi difficiles. Beaucoup l’ont cru à plusieurs reprises englouti et disparu à jamais… Mais grâce à l’obstination et à l’entêtement de ses fils, notamment d’une majorité qui a toujours été silencieuse, mais qui s’est toujours manifestée là où l’on s’y attendait le moins, il a toujours réussi à renaître de ses cendres et à faire la nique à ceux qui ne lui voulaient que du mal. Article paru le mardi 29 janvier 2008
L’ « erreur » du patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir ? C’est celle d’être la voix qui crie dans le désert et de continuer seul à scander inlassablement, pendant des années, les constantes et les valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous nous sommes battus pendant des années. L’erreur ? C’est celle de reléguer aux oubliettes, avec son grand cœur...