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Les frontières confessionnelles sont marquées par le son et l’image, explique l’urbaniste Maha Yehya : Les inscriptions murales confisquent la voix des riverains

Pour l’urbaniste Maha Yehya, le phénomène qui consiste à délimiter les zones géographiques par des photos et des banderoles n’est pas nouveau. « À l’époque de la guerre, nous reconnaissions les régions dans lesquelles nous nous trouvions aux inscriptions sur les murs et aux photos des martyrs et des chefs qui révèlent sans ambiguïté l’identité de la partie qui contrôle la région. Parfois, les zones étaient contrôlées par deux parties d’où l’on retrouvait les banderoles de deux formations, comme à Ouzaï par exemple », rappelle-t-elle. Maha Yehya précise que « ce phénomène n’est pas spécifique au Liban ». « À New York ou Buenos Aires par exemple, où il n’y a pas d’enjeux confessionnels, l’on retrouve des graffitis qui marquent les territoires des gangs. Par contre, l’attachement de la population aux photos des chefs est propre aux pays arabes et à la Turquie. Dans les autres pays, il est extrêmement rare de retrouver des quantités aussi considérables de portraits, de statues et d’icônes à l’effigie d’un chef quel qu’il soit », souligne-t-elle. L’urbaniste explique que « ce phénomène procède de nombreuses causes ». « En premier, il s’agit d’un moyen de refléter l’identité de la partie qui contrôle le quartier. Une personne qui pénètre dans une région qui n’est pas la sienne doit alors prendre en considération l’identité de la formation hégémonique dans toute démarche qu’elle a l’intention d’entreprendre. Par exemple, l’on ne peut pas prendre de photos avant de demander l’autorisation de cette partie », poursuit-elle. « D’un autre côté, il s’agit de montrer à un visiteur étranger qu’il pénètre dans une région dominée par une communauté qui n’est pas la sienne. Dans le cas contraire et même s’il n’adhère pas aux slogans politiques, il se sentira toutefois rassuré car les banderoles lui sont familières. Dans une logique plus milicienne, il s’agit d’un moyen de marquer le territoire face à une formation concurrente et de souligner les lignes de démarcation inter et intrarégionales, car à l’époque de la guerre, les batailles étaient menées d’un immeuble à un autre. Après la guerre, le phénomène des banderoles a diminué et a souvent pris la tournure d’une lutte des classes aux côtés des portraits des dirigeants syriens », poursuit l’urbaniste. Maha Yehya note en outre qu’« aujourd’hui nous ne sommes pas dans une période de guerre. Mais s’il y a le moindre incident grave, Beyrouth peut être divisé en quelques heures, et les frontières des différentes zones d’influence seraient promptement délimitées, selon le schéma défini par les banderoles. Il y a en effet un conflit entre les régions qui s’exprime à travers des affiches et des contre-affiches, des slogans et des contre-slogans. » « Il y a certes des régions mixtes. Mais les habitants de ces régions seront les premières victimes d’une éventuelle guerre civile, notamment dans les zones sunnites et chiites », prévient-elle. Selon elle, dans les zones sunnites ou chiites et, à moindre échelle, dans les zones chrétiennes, on remarque que les banderoles comportent des stéréotypes vieux de 1400 ans et évoquant l’identité des chiites ou des sunnites. « Ces stéréotypes sont ressuscités d’une manière effrayante et enveniment le discours populaire. Un slogan inscrit sur un mur n’exprime plus uniquement les opinions de celui qui l’a écrit, mais aussi celles d’une collectivité entière. Même si certains habitants n’adoptent pas le même point de vue, ce graffiti exprime toutefois de facto leurs opinions. Comme si l’on privait les gens de leur voix. Ceux qui ne sont pas d’accord ne peuvent, dans le meilleur des cas, qu’effacer le slogan concerné, au risque d’être agressés », indique-t-elle. Maha Yehya met également en relief le fait que les tensions confessionnelles sont exacerbées par les médias qui nourrissent les divisions communautaires. « Non seulement les banderoles et les portraits des dirigeants permettent de marquer les différentes frontières, mais aussi le son. Autrement dit, dans certaines régions, l’on n’entend que la chaîne al-Manar. Dans d’autres, on entend la Future TV, ou la OTV. Les clivages sont donc aussi bien consacrés par l’image que par le son », estime-t-elle. L’urbaniste explique enfin que le phénomène des banderoles est moins intense en zone chrétienne. Ce phénomène est rare en zone chrétienne où le conflit est à caractère politique et ne porte pas sur l’identité confessionnelle, contrairement aux zones sunnites et chiites. M.H.
Pour l’urbaniste Maha Yehya, le phénomène qui consiste à délimiter les zones géographiques par des photos et des banderoles n’est pas nouveau. « À l’époque de la guerre, nous reconnaissions les régions dans lesquelles nous nous trouvions aux inscriptions sur les murs et aux photos des martyrs et des chefs qui révèlent sans ambiguïté l’identité de la partie qui...