Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La parole aux médecins De l’éthique en médecine Par le Dr Sami Richa*

Si on voudrait chercher à savoir quel terme en médecine est cité inlassablement dans nos manuels, dans nos bibliothèques, dans nos rencontres scientifiques, on ne retrouvera pas mieux que le mot éthique. Ceci revient au fait que si l’on voudrait résumer l’histoire de la médecine, on en distinguera quatre étapes majeures : – La première période est une interminable enfance qui s’étend sur plusieurs millénaires. Pour singulier que cela paraisse, il n’y a pas de grande différence entre le pouvoir d’un médecin du temps d’Hippocrate et le pouvoir d’un médecin du début du XIXe siècle. – La deuxième période est courte. Se résumant à six années de découvertes sans commune mesure, elle s’étend de 1857, époque à laquelle Darwin publie L’origine des espèces et Pasteur crée la science des microbes, jusqu’en 1863, lorsque Mendel croisant des pois découvre les lois de l’hérédité. Ces six années, ces six glorieuses, ont irrémédiablement changé le sort de l’humanité. – Les troisième et quatrième périodes sont respectivement celles des révolutions thérapeutique et moléculaire. Elles ont transformé le destin des hommes. Ce faisant, elles ont engendré de multiples questionnements éthiques qui ne cessent de tourmenter nos pratiques. On s’attardera spécialement sur les trois principes, dits « canoniques », qui fondent la bioéthique américaine et qui, exportés sur un mode universel, devraient dominer le champ de nos actions sur un plan moral. Il s’agit de l’autonomie, de la bienfaisance et de la justice. Ces principes s’installent dans le mouvement éthique contemporain qui cherche à élaborer des théories opératoires, modernes, adaptées à la nouvelle situation de la médecine et surtout aux requêtes sans cesse grandissantes des malades. Cette bioéthique paraît également simple, articulée qu’elle est autour de trois thèmes que chacun d’entre nous croit comprendre aisément. Or cette bioéthique nous laisse entrevoir combien elle peut être difficilement mise en pratique et loin de nos traditions. En tout cas, elle nous dérange à divers égards. L’autonomie En 1976, un patient sur cinq connaissait son diagnostic de cancer. Deux décennies plus tard, ce taux s’est élevé à quatre malades sur cinq. C’est au nom de cette autonomie du patient, qui occupe une place prépondérante en Amérique du Nord, que l’individu devient maître de sa destinée. L’expert, si compétent soit-il, ne peut décider à la place du malade dont le projet de vie est en cause. Le choix du patient devient inéluctablement l’exigence fondamentale à respecter de la part du médecin. Mais cette question de l’autonomie ne remet-elle pas en cause durablement l’essence même de la relation qui nous lie à nos malades ? Bruno Cadoré nous le rappelle avec force dans ces lignes : « Se joue dans la relation médecin/malade quelque chose du plus essentiel du mystère de l’humanité : une personne en état de besoin se remet en toute confiance à la capacité de sollicitude d’un de ses semblables. En appelant à cette sollicitude pour qu’elle mette sa compétence professionnelle au service de la promotion des meilleures conditions pour son existence. Dans cette relation, où l’un est convoqué à la sollicitude par la fragilité de l’autre, c’est le lien d’humanité essentiel qui est sans cesse réinventé, restauré, promu au maximum possible de sa grandeur. C’est la première figure de l’alliance d’humanité que la médecine est appelée à déployer. » Il ressort donc de cette notion d’autonomie deux aspects essentiels que l’on peut porter à critique. Il s’agit, premièrement, de cette alliance, de cette solidarité avec le patient, lien qui est fondamental et inexorable, mais qui laisse avec regret la place à la solitude du patient. Deuxièmement, cette autonomie ne tient pas compte de la réalité clinique. Dans la maladie, il y a fondamentalement une perte d’autonomie. Il existe chez le patient une désintégration de son être et ce, « blessé de la vie », comme le disait le pape Jean-Paul II, se retrouve dans un état autre que celui dans lequel il se trouvait avant l’épisode de la maladie. La bienfaisance En médecine, à la différence d’autres disciplines, la bienfaisance va au-delà de la bonté, de la charité ou de la compassion. Elle incombe au médecin une double obligation. Il doit d’abord servir les meilleurs intérêts du patient sur le plan scientifique. Mais elle signifie aussi que le médecin doit accorder une grande attention aux attentes de la personne elle-même. Bref, il en ressort que le médecin est appelé à faire du bien. Reste à définir et à déterminer ce bien. Si le médecin impose sa conception du bien, il s’agit dès lors de paternalisme médical, notion devenue de nos jours et à juste titre carrément obsolète. Si le malade impose ce qu’il souhaite comme bien pour lui, l’on pourrait ainsi sombrer dans la dictature des soins, imposée par certains mouvements de malades ou de parents de malades où le patient opère ses choix et détermine ses propres prises en charge. Dans les deux cas de figure donc, on oublie aisément que la rencontre entre le médecin et le malade est une rencontre entre « deux parfaits étrangers » et que « le pacte de soins », défini comme tel par Paul Ricœur, doit savoir, dans un équilibre des plus subtils, allier le patient, sa famille, le médecin, l’équipe soignante et j’allais dire la société, dans une osmose où toutes leurs valeurs sont véhiculées dans cet acte de soins. La justice Elle apparaît normale et claire dans les exigences d’égalité d’accès aux soins et aux services de santé. Le fondement de cette interprétation de la justice repose sur le précepte d’Aristote : « Traite les cas semblables de façon semblable et les cas différents de façon différente. » Mais qu’est-ce qui est semblable et qu’est-ce qui est différent ? La réponse pourra varier, selon les sociétés. On prend l’exemple de deux sociétés juxtaposées et pourtant si différentes, les États-Unis et le Canada. Dans une société comme le Québec, le poids de la responsabilité repose sur l’État qui doit fournir tous les services qui sont un droit pour les citoyens. Le système américain ne repose pas sur la même philosophie. La santé est une affaire individuelle et les citoyens achètent ce qu’ils peuvent se procurer. La santé est un bien de consommation, comme tout autre objet commercialisable. C’est dire que les critères d’équité seront tout autres. Il n’existe donc pas une justice absolue, capable de fournir une référence universelle qui transcende les divergences particulières. Faut-il le rappeler : il n’y a pas une conception transcendante de la justice. Voilà pourquoi cette bioéthique, surtout anglo-saxonne, nous pose problème par son degré d’imprécision, par la largeur de ses principes dans un domaine où le cas par cas, l’individuel et le particulier priment sur le collectif et le très général. En essayant d’instituer un socle sur lequel reposent des valeurs communes qu’on voudrait globales, cette éthique des soins nous laisse sur notre faim concernant l’information à donner au malade, le consentement à obtenir de lui, le pacte de soins à nouer avec lui, que faire avec lui et pour lui, quand foncer et quand s’abstenir. Bref, toutes les questions qui, aux deux extrêmes de la vie, de la fécondation humaine jusqu’à l’euthanasie et la mort, ne cessent de nous interpeller. En conclusion, à la question posée de savoir si on peut parler d’éthique aujourd’hui, on répondra que les médecins ne peuvent plus échapper désormais à la singularité de leur métier, un métier régi sans cesse par des valeurs fondamentales, garantissant la dignité humaine et permettant ainsi de partager ce que Albert Jacquard appelait notre « humanitude ». * Le Dr Sami Richa, psychiatre, coordinateur du département de psychiatrie à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph.
Si on voudrait chercher à savoir quel terme en médecine est cité inlassablement dans nos manuels, dans nos bibliothèques, dans nos rencontres scientifiques, on ne retrouvera pas mieux que le mot éthique.
Ceci revient au fait que si l’on voudrait résumer l’histoire de la médecine, on en distinguera quatre étapes majeures :
– La première période est une interminable...