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Actualités - REPORTAGE

Deux experts analysent la politique du président vénézuélien En 2008, Chavez devrait se concentrer sur la lutte contre l’inflation et les programmes sociaux Propos recueillis par Émilie SUEUR

En ce début d’année, Hugo Chavez, semblant tirer les leçons du rejet de son projet de réforme constitutionnelle, annonçait qu’il était contraint de ralentir la marche vers la révolution socialiste. Olivier Dabène, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, et Christian Girault, directeur de recherche au CNRS, tous deux spécialistes de l’Amérique latine, analysent la politique du président vénézuélien. Différentes analyses ont été émises suite au rejet, en décembre dernier, du projet de réforme constitutionnelle d’Hugo Chavez. Pour certains experts, ce rejet était le prix à payer par Chavez pour ses ambitions régionales et internationales, une partie de la population reprochant au président de consacrer plus d’énergie aux dossiers extérieurs qu’à ceux concernant leur quotidien. Pour Olivier Dabène, cette analyse n’explique qu’en partie ce rejet. « Je penche pour une raison plus simple à ce rejet : la “fatigue électorale” ». C’est plutôt l’abstention qui a fait perdre Chavez au référendum », souligne l’expert. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Chavez, les Vénézuéliens ont en effet été fréquemment appelés aux urnes. Il n’en demeure pas moins que les Vénézuéliens attendent toujours des progrès sur des dossiers importants. Parmi les principales préoccupations des habitants de Caracas figurent le nombre croissant de crimes, l’inflation rampante, le manque de certains produits alimentaires, ou encore le problème de la collecte des ordures. « Les programmes sociaux (lancés par le président Chavez, ndlr) ont sans doute fait baisser la pauvreté, mais pas dans les proportions attendues », estime M. Dabène, qui précise qu’il est toutefois difficile de se prononcer avec précision sur ce sujet, « faute de données fiables ». « L’inflation rogne toujours le pouvoir d’achat des plus pauvres », assure-t-il, avant de préciser que « le problème principal des Vénézuéliens aujourd’hui c’est l’insécurité  ». En début d’année, le président vénézuélien déclarait d’ailleurs que « l’insécurité et la corruption sont deux démons hérités du passé que nous ne devons pas laisser se propager ». « Je pense qu’il va sérieusement se pencher sur la lutte contre l’inflation et ses programmes sociaux », estime M. Dabène. Si sur le plan économique et social des réformes sont à attendre, politiquement, il est peu probable que M. Chavez lâche du lest. « Apparemment, M. Chavez a un contrôle total de la scène politique. Il a éliminé ceux qui avaient des doutes », affirme l’expert. Seule ombre au tableau, Hugo Chavez a « toutefois quelques problèmes pour construire son “parti unique”, le PSUV ». Cette année, l’opposition devrait en outre surfer sur le rejet du référendum pour revenir sur le devant de la scène. Malgré la fermeture de la RCTV, chaîne de télévision proche de l’opposition, cette dernière, en ce qui concerne son aile « modérée », « possède encore de nombreux moyens d’expression dans la presse », souligne M. Dabène. « L’année 2008 est une nouvelle année électorale (maires, gouverneurs), durant laquelle tout va se jouer au niveau local. L’opposition y a plus de chance de se faire entendre qu’au niveau national », précise-t-il. En ce qui concerne la politique extérieure, Hugo Chavez bénéficie d’un outil important : le pétrole. En dehors du Moyen-Orient, le Venezuela dispose des plus larges réserves d’or noir au monde. En 2005, le Venezuela signait l’accord Petrocaribe au terme duquel des pays des Caraïbes et Cuba peuvent acheter du pétrole vénézuélien à un tarif et à des conditions préférentiels. Pour les critiques de Chavez, ce dernier utilise cette manne pétrolière pour s’acheter des alliés régionaux. Le leader vénézuélien présente, bien sûr, l’affaire sous un autre angle. En décembre dernier, lors du sommet Petrocaribe de La Havane, Hugo Chavez déclarait d’ailleurs : « Nous avons commencé à créer une nouvelle géopolitique du pétrole qui n’est pas au service des intérêts de l’impérialisme et des grands capitalistes. » Pour Olivier Dabène, ce programme a « deux facettes » : « L’une, très généreuse, en faveur des pays démunis (dans la Caraïbe surtout). L’autre est une arme géopolitique  : vis-à-vis des États-Unis, bien sûr, mais aussi pour favoriser des amis politiques. Au Nicaragua, les municipalités sandinistes étaient favorisées avant même que Daniel Ortega gagne la présidentielle de 2006.  » Le pétrole ne suffit toutefois pas à assurer au président Chavez une stature de leader régional. « En Amérique latine, le terrain ne lui est pas toujours favorable », souligne Christian Girault. « Des pays comme le Brésil ou le Chili ont une politique étrangère très affirmée. Même si le baril de pétrole atteint les 100 dollars, certains pays ne veulent pas se lier les mains », en bénéficiant des offres avantageuses du Venezuela. « En outre, la rhétorique agressive de Chavez n’a pas toujours des résultats positifs », ajoute cet expert. « Alors que la Bolivie est, a priori, proche du Venezuela, le président Evo Morales essaie de vivre en dehors de l’appui de Chavez. Il en est de même avec le président Rafael Correa, en Équateur. » Hugo Chavez utilise d’ailleurs d’autres outils pour renforcer son aura dans la région, comme ses connexions avec la guérilla colombienne des FARC. Mais sur les retombées pour Chavez de la libération récente, grâce à sa médiation, de deux otages des FARC, les avis sont partagés. « Sa stature internationale en sort grandie. Ce qu’avait déjà contribué à faire son acceptation de la défaite électorale (en décembre 2007, ndlr). Cela peut contrebalancer ses diatribes grossières et surtout les soupçons de complicité avec les trafiquants de drogue et les FARC qui pèsent sur lui », estime M. Dabène. « Se mettre en avant dans une opération de dialogue avec un groupe rebelle douteux et notamment impliqué dans le trafic de cocaïne est une arme à double tranchant pour un président de la République », souligne Christian Girault.
En ce début d’année, Hugo Chavez, semblant tirer les leçons du rejet de son projet de réforme constitutionnelle, annonçait qu’il était contraint de ralentir la marche vers la révolution socialiste. Olivier Dabène, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, et Christian Girault, directeur de recherche au CNRS, tous deux spécialistes de l’Amérique latine,...