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Actualités - interview

L’éminent professeur de sciences politiques à Beyrouth pour présenter son nouvel ouvrage, « Le diplomate et l’intrus »

Badie à « L’Orient-Le Jour » : Ce n’est pas l’internationalisation, mais « un retour du peuple sur lui-même » qui peut garantir la paix Il suffit de suivre l’actualité internationale pour se rendre à l’évidence : le monde assiste dans le contexte présent à une grande faillite de l’internationalisation des crises. « C’est fini l’internationalisme, ce concept a fait faillite partout », affirme ainsi, d’emblée, le professeur Bertrand Badie, lors de la conférence de presse qu’il a tenue salle Montaigne, au Centre culturel français (CCF), à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage aux éditions Fayard, Le diplomate et l’intrus. Difficile de ne pas s’attendre à une contestation de la part des Libanais présents dans la salle. En effet, les questions fusent dès la fin de l’intervention de cet éminent professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) et spécialiste des relations internationales. Quels conseils prodigue-il alors aux Libanais afin qu’ils puissent enfin résoudre la crise ? N’est-il pas trop théorique, voire utopique, comme peuvent l’être tous les théoriciens ? Humblement, Bertrand Badie répond : « Je ne suis pas un spécialiste de la question libanaise… Mais ce que je peux vous dire c’est qu’il faudrait entrer dans une nouvelle étape où la société doit se retourner sur elle-même pour trouver la paix. » Il rappelle aussi, sans ambages, qu’il était « contre » la résolution 1559, précisément car la notion de droit international public, de droit d’ingérence, a montré ses limites et ses faiblesses. « La grande erreur des politiques d’intervention, c’est de ne pas avoir pris en compte la dimension anthropologique et de ne pas avoir entrepris de réflexion en ce sens », souligne le professeur Badie. Il ajoute : « La grande erreur, c’est de regarder l’internationalisation de la politique comme un choc de puissance. » À L’Orient-Le Jour, il explique qu’« à une époque, le monde a eu de bonnes raisons de miser avec optimisme sur l’internationalisation », parce que « la bipolarité touchait à sa fin et que l’on percevait l’internationalisation comme porteuse de solution au nom de l’assistance en personne en danger et aussi au nom de certaines réussites de l’internationalisation, comme en Haïti ou encore au Kosovo ». Cependant, poursuit l’éminent professeur, « nous vivons dans un monde si ambigu que la logique de puissance est amenée à reprendre le dessus ». Ainsi, pour Bertrand Badie, le multilatéralisme proposé par le système onusien n’a jamais été qu’un « faux multilatéralisme », car le système onusien a mis en place une charte hybride qui oscille entre multilatéralisme et système de puissance, garanti par le veto que peuvent imposer les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Le droit d’ingérence tel que pensé par l’actuel ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’est ainsi « complètement dévoyé, puisqu’il s’est transformé en instrument de puissance ». M. Badie ajoute que l’ancien secrétaire général de l’ONU avait « vu juste lorsqu’il avait fait remarquer que les États-Unis poursuivent une politique de cow-boy dans le monde ». Le multilatéralisme se trouve donc aujourd’hui « incomplet », car « contourné par la superpuissance. Le jeu des interventions n’est donc ni compris ni respecté. Il cède la place à une politique de pourboire qui prévaut sur la politique d’assistance », précise M. Badie. « Même avec les meilleures intentions du monde, l’ami complique les problèmes. L’internationalisation constante a nui au Liban », explique-t-il, avant d’ajouter : « La 1559 est une forme d’intervention simplifiée. Mais c’est vrai qu’il existe un vrai débat et ce n’est pas facile de se prononcer sur cette question. » Méfiance, soupçons, tétanisation des sociétés Les conséquences de ce contournement du multilatéralisme sont nettes, affirme le professeur de science politique : « On assiste à une méfiance puis à l’émergence de soupçons par rapport à l’ingérence et, enfin, à une réelle tétanisation des sociétés. » De plus, le pays où se déroule cette ingérence doit désormais supporter, en plus de sa propre crise, « le poids des facteurs externes, le poids du jeu de puissance qui a cours entre les États les mieux dotés ». Or, pour un pays « comme le Liban », porter ce poids est « quelque chose d’énorme, car en plus des conflits internes doivent s’ajouter désormais les paramètres internationaux ». Comment Bertrand Badie perçoit-il dans ce contexte les initiatives étrangères qui se succèdent au Liban sans jamais aboutir à une résolution de la crise ? « Je souligne une fois encore les effets néfastes de toute prothèse internationale », car elle mène à « une tétanie » de la société. De plus, « je perçois une certaine imprudence dans les effets spectaculaires et médiatiques d’affichage. C’est très dur pour un peuple de se voir énoncer les noms des présidentiables, c’est quasiment une source de délégitimisation ». Quid alors de la candidature du commandant en chef de l’armée sur laquelle toutes les parties, tant locales qu’internationales, semblent être tombées d’accord ? « Michel Sleimane s’est imposé lui-même à la communauté internationale, et non le contraire », notamment après Nahr el-Bared. Sociétés ouvertes et lutte pour la souveraineté Il y a 20 ans, la tendance mondiale était à la « bonne gouvernance », souligne Bertrand Badie. Aujourd’hui, place à la « bonne mobilité », en ce sens qu’il y a « émergence de sociétés ouvertes, car communicantes. Une société où l’immigration devient l’avenir du monde. Il y a une conversion de la société par la banalisation de la mobilité ». Alors, si l’heure est à l’ouverture des sociétés les unes par rapport aux autres, que penser des luttes pour la souveraineté et l’indépendance qui, du coup, risquent de paraître démodées et superflues ? Pour M. Badie, l’ouverture des sociétés ne va pas à l’encontre de la notion de souveraineté. Aucune contradiction donc parce que « la notion de souveraineté accepte deux sens. L’un est éternel et s’interprète comme la volonté de résister à toute forme de domination, l’autre est dépassé lorsqu’il décrit un ordre institutionnel durable permettant de vivre indépendamment du jeu international dans lequel il est inséré ». Partant de là, « la souveraineté concerne aussi bien l’adolescent que le peuple souffrant ». Plus concrètement, et pour revenir à la question libanaise et à la complexité des relations libano-syriennes, la solution à ces relations difficiles passe-t-elle par une forme d’intégration régionale qui rappellerait celle de l’Union européenne ? « L’intégration régionale est en effet la solution. Ce concept a rendu la réconciliation franco-allemande possible. Dans le monde arabe, il y a de nombreux atouts qui permettent d’aller vers cette intégration. Mais il y a aussi des obstacles : la nature de certains régimes politiques, les crises institutionnelles et les problèmes économiques et sociaux. » Diplomatie et mensonge d’État Dans son nouvel ouvrage, Bertrand Badie qualifie la diplomatie de « monde secret », interdit aux individus et aux groupes sociaux. Est-il possible de dire que le mensonge est donc monnaie courante en diplomatie ? Ce culte du secret ne doit-il pas, à un moment donné, s’effacer au nom de certaines valeurs morales prônant la transparence ? « Auparavant, le jeu international était exclusivement réservé aux États. Il excluait les peuples et les sociétés, tout en les targuant d’être incompétents. Le mensonge d’État était donc justifié et légitime », en ce sens qu’il était perçu comme « nécessaire car de nature à éviter des violences inutiles, ou même des guerres. » Aujourd’hui, estime M. Badie, « nous vivons dans un monde où le mensonge d’État est devenu presque impossible », justement à cause de cette mondialisation de l’information et de la rapidité des moyens de communications. « La paix repose sur la confiance », souligne à cet égard le professeur, avant de citer le président américain Wilson « qui a été le premier à plaider en faveur d’une diplomatie publique, seule diplomatie à garantir la paix ». Mais cela est-il vrai dans les pays arabes où la plupart des régimes sont totalitaires ? « Dans ces pays-là, il y a une manipulation de l’opinion publique, une mobilisation à outrance. » Quels rôles jouent les blogs dans ce contexte ? « Ils sont source de liberté et d’appropriation de son destin, mais il convient aussi de mettre en garde contre une démocratie de la rumeur, conséquence d’une information mal contrôlée. » « Nous sommes à l’aube de la démocratie de la rumeur », souligne enfin Bertrand Badie. Lélia MEZHER
Badie à « L’Orient-Le Jour » : Ce n’est pas l’internationalisation,
mais « un retour du peuple sur lui-même » qui peut garantir la paix

Il suffit de suivre l’actualité internationale pour se rendre à l’évidence : le monde assiste dans le contexte présent à une grande faillite de l’internationalisation des crises. « C’est fini l’internationalisme, ce...