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Actualités - OPINION

À quoi sert le président au Liban ?

Après la conférence d’Annapolis, nous avons appris le nom de notre prochain président de la République, fruit de l’entente entre les parrains de Taëf (la Syrie, les États-Unis et l’Arabie saoudite) : le général Michel Sleimane. Depuis le sommet du Caire, nous avons pris connaissance des étapes menant à l’élection formelle du commandant en chef de l’armée : premièrement, l’élection immédiate du général Michel Sleimane à la présidence de la République ; deuxièmement, la formation d’un gouvernement d’union nationale dans lequel aucune partie n’aurait la possibilité de faire adopter une décision ou de la bloquer, et où le président de la République pourrait peser pour ou contre les décisions du gouvernement; et, troisièmement, l’élaboration d’une nouvelle loi électorale en vue des élections législatives prévues au printemps 2009. Il n’est pas sans rappeler qu’en 1989, la Syrie, les États-Unis et l’Arabie saoudite s’étaient entendus pour contrôler ensemble la souveraineté du Liban par l’intermédiaire des accords de Taëf et pour les imposer, tel un diktat, à un peuple qui n’en voulait pas à travers une pax syriana. Les uns se réjouissent aujourd’hui d’avoir enfin un candidat de compromis appuyé par les Arabes et par la communauté internationale, candidat qui, une fois « élu », aurait une part ministérielle, ce qui permettrait de redonner poids et consistance à une présidence de la République jouant le rôle d’arbitre. Cette analyse simpliste a reçu un coup fatal : le député du Courant du futur, Moustapha Allouch, a prévenu que « donner une part ministérielle au président de la République est une exception et ne sera pas la règle ». Refuser l’initiative arabe, c’est soutenir la vacance, disent les loyalistes. Accepter l’initiative arabe sans garanties est inacceptable pour les opposants. Aux loyalistes, il faut demander : quels seraient, après les élections législatives de 2009, le poids et la consistance de la présidence de la République (chargée de veiller à la sauvegarde de l’indépendance du pays, selon l’article 49 de la Constitution) à laquelle lui aura été retirée sa part ministérielle qu’on lui promet aujourd’hui ? Les accords de Taëf ont mis en place une troïka à la tête du pays, avec le renforcement de la présidence du Parlement – dévolue à la communauté chiite –, véritablement chef du pouvoir législatif, et le transfert du pouvoir exécutif de la présidence de la République au Conseil des ministres, et, par conséquent, à son président, appartenant à la communauté sunnite. La présidence de la République, dévolue à la communauté maronite, se trouve vidée de son halo et de ses prérogatives. Aux opposants, il faut donc demander : n’y a-t-il pas une contradiction entre la revendication d’une minorité de blocage en Conseil des ministres et le fait d’exiger la restauration des prérogatives de la présidence de la République antérieures à Taëf ? En effet, Taëf a fait du Conseil des ministres une instance qui concentre le pouvoir exécutif et qui vote. Pour ces raisons, « consensus, majorité pondérée vont commander les futurs mécanismes de la prise de décision. Sur des questions dites “fondamentales”, notamment, des majorités et des minorités vont se constituer au sein du Conseil des ministres », explique Joseph Maïla dans son article intitulé « Le document d’entente nationale : un commentaire » publié par Les Cahiers de L’Orient nos 16-17 au 4e trimestre 1989-1er trimestre 1990. Joseph Maïla ajoute également que « les questions “fondamentales” sont surtout des matières à haute sensibilité communautaire. Imagine-t-on alors sur ces questions l’absurdité d’une décision emportée aux deux tiers des voix ? Sur des questions aussi essentielles que la réorganisation administrative, avec les découpages communautaires qu’elle sous-entend, ou sur un projet de loi portant sur la nationalité ou le statut personnel, on ne voit pas comment les représentants d’une communauté, mis en minorité, s’accommoderont soit de la décision prise, soit du maintien de leur participation au gouvernement. Cela pour ne pas parler de l’absurdité, dans le cas libanais, d’une déclaration de guerre, acquise aux deux tiers des voix en Conseil des ministres ! Le recours au principe de la votation en Conseil des ministres n’est pas inhabituel. Il est en tout cas la loi obligée dans les pays où le système électoral basé sur la proportionnelle hisse au pouvoir des coalitions hétéroclites. Le vote au sein du Conseil des ministres présente donc un caractère permanent de la menace à la stabilité de la coalition. Dans d’autres pays où la loi électorale dégage des majorités cohérentes, le vote en Conseil des ministres, s’il a lieu, peut amener, en cas de crispation, à la démission du ou des ministres mis en minorité. Dans le cas libanais et dans le cadre maintenu du communautarisme, la coalition gouvernementale sera, en dernière instance, une coalition communautaire. Or, la différence entre un ministre ou un parti participant à la coalition gouvernementale, dans des pays où des clivages segmentaires n’ont pas lieu d’être, et un ministre ou un parti participant à un gouvernement dans le contexte libanais réside en ceci que les premiers peuvent démissionner, ébranlant éventuellement la coalition gouvernementale, mais que les seconds ne peuvent le faire sans menacer gravement la cohésion sociétale. Car une communauté ne démissionne pas. Elle s’exclut ou elle est exclue, ouvrant la porte aux pires des crises comme certains temps forts de la guerre libanaise ont pu le montrer. Le vote qualifié – tel qu’il est présenté en matière communautaire – privera les communautés dont les représentants auront été mis en minorité de l’efficience de leur droit de veto, essentielle dans les démocraties dites de concordance ou de “consociation”. Il permettra de passer outre aux positions d’une des communautés, rendant aléatoire le fonctionnement du système communautaire tout entier dont le rôle est de rassurer les minorités en leur assurant un droit de blocage. Paradoxalement, c’est le système communautaire qui est alors bloqué, obligeant le gouvernement à démissionner ou… à rechercher une solution d’unanimité au lieu de la majorité. Dilemme de l’enfermement communautaire ! La seule espérance, irraisonnée, qu’il suscite alors est que soit très vite aboli le communautarisme… » Pour Joseph Maïla, le droit de blocage s’inscrit dans « la théorie du “veto minoritaire” dite encore théorie de la “majorité concurrente” qui permet, dans les systèmes politiques segmentarisés à chacune des minorités, de s’opposer à une décision d’une majorité dégagée par agrégation des voix des autres communautés. Ce principe est aussi connu dans la systématisation “consociative” sous le nom de théorie de Calhoun ». La solution à la crise consiste donc en l’élection du général Michel Sleimane à la présidence de la République et en l’amendement de la Constitution pour la restauration immédiate (le jour même de l’élection du commandant en chef de l’armée) des prérogatives ôtées au président, ce qui implique la suppression du vote en Conseil des ministres et le rétablissement de la souveraineté libanaise qui se trouve aujourd’hui, à cause des accords de Taëf, confisquée par la Syrie, les États-Unis et l’Arabie saoudite. Bien qu’ayant largement contribué avec l’école chehabiste à instaurer un dualisme qui paralysa l’État et que Bachir Gemayel dénonçait par «un seul Liban et non pas deux, mais avec une seule tête et non pas deux », Rachid Karamé, alors président du Conseil, avait trouvé en 1984 la formule adéquate : « Le pouvoir exécutif est confié au président de la République qui l’exerce avec la participation du Conseil des ministres. » En effet, le dualisme avait permis la « contestation » (par les Palestiniens), la « limitation » (par les Syriens) et le « contrôle » (par les Israéliens) de la souveraineté du Liban (concepts utilisés par Joseph Maïla à la fin de l’année 1983 dans un article intitulé « Les aventures de la souveraineté » publié dans L’Orient-Le Jour). Or, comme l’explique encore Joseph Maïla, « la notion de souveraineté n’est pas relative, mais absolue. Un État est souverain ou ne l’est pas. Il n’y a pas de demi-souveraineté ». Reprenant l’expression de Bachir Gemayel : « La présidence de la République est un gage accordé aux maronites et non un privilège », qui visait à expliquer l’importance d’une fonction déterminant le statut du chrétien citoyen (si elle est forte) ou dhimmi (si elle est faible), Sélim Jahel écrit dans son article intitulé « Bachir Gemayel et la prépotence de l’État », publié dans L’Orient Le Jour du 23 août 1983 : « La nuance est importante : un privilège comporte des avantages à son bénéficiaire aux dépens d’autres parties, un gage sert à assurer à son détenteur la sauvegarde de ses droits. Les prérogatives du président maronite doivent répondre de ce fondement. Ainsi, tout ce qui a trait à la défense du pays, son indépendance, l’intégrité de son territoire, est de son ressort exclusif, ce qui n’est pas peu conforme à la lettre de la Constitution et à son esprit. Tout partage de prérogatives et de responsabilités en ce domaine précis ne peut être que néfaste, dès lors que risquent de peser sur la décision des considérations relatives aux liens communautaires avec les forces régionales (appelées précisément frères), à l’encontre desquelles la décision doit être prise. Le sang n’a pas encore séché, ni la suie disparue du fait d’un exercice bicéphale du pouvoir en matière de défense. Là, l’obstruction d’un copartageant du pouvoir présidentiel a conduit au démantèlement de nos institutions nationales et plus particulièrement de l’armée. Un partage du pouvoir conduit tôt ou tard au partage du pays. » Par conséquent, la défense de la souveraineté du Liban ne peut être assurée que si elle est liée à une restauration immédiate et définitive des prérogatives ôtées par Taëf au président de la République constitutionnellement investi de cette mission. De même, il est contradictoire d’exiger à la fois la minorité de blocage et la restauration des prérogatives du président de la République alors même que celles-ci sont sacrifiées par l’existence d’un vote en Conseil des ministres auquel, s’il préside la réunion, le président ne participe même pas (article 53 de la Constitution : « Le président de la République préside le Conseil des ministres lorsqu’il le désire sans prendre part au vote »)… Au fait, que souhaite le général Michel Sleimane, notre prochain président de la République ? Michel FAYAD
Après la conférence d’Annapolis, nous avons appris le nom de notre prochain président de la République, fruit de l’entente entre les parrains de Taëf (la Syrie, les États-Unis et l’Arabie saoudite) : le général Michel Sleimane.
Depuis le sommet du Caire, nous avons pris connaissance des étapes menant à l’élection formelle du commandant en chef de l’armée :...