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Actualités - OPINION

Une opposition étrangère à la démocratie Khalil HATEM

L’opposition libanaise a eu pour principales revendications lors de ces trois dernières années l’établissement d’une nouvelle loi électorale et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Tant que ces demandes n’étaient pas appliquées, l’opposition a jugé que ce gouvernement et ce Parlement n’étaient pas démocratiques. Pourtant, à voir comment les plus florissantes démocraties fonctionnent, ces arguments ne justifient pas ce blocage. La loi électorale qui prévalait lors des législatives de 2005 avait été fabriquée par Ghazi Kanaan, chef des services de renseignements syriens au Liban, au temps de l’occupation syrienne. Si cette loi est inique, c’est toutefois la même qui avait été appliquée lors des législatives de 2000, sans la moindre protestation à l’époque de certaines composantes de l’opposition d’aujourd’hui, comme le Hezbollah, Amal, les Marada de Sleimane Frangié ou Michel Murr. Une loi électorale en termes pratiques n’est jamais juste ; simplement, elle tend à l’être. Elle est un instrument du pouvoir en place. Ce dernier la fait évoluer selon ses intérêts, couvert par la légitimité parlementaire. En France, François Mitterrand a fait passer le scrutin du mode majoritaire au mode proportionnel en 1986 pour limiter la casse face à l’écrasante victoire de la droite. Lors du scrutin du printemps dernier, disputé selon le mode majoritaire, le Modem de Francois Bayrou a obtenu 8% des suffrages pour n’entrer à l’Assemblée nationale qu’avec 3 députés sur les 577 que compte l’hémicycle, (soit 0,6 % des sièges). On n’a jamais entendu Bayrou, malgré ses protestations récurrentes, demander au gouvernement de démissionner, car puisant sa légitimité d’une loi injuste. Le mode de fonctionnement du système électoral américain est encore plus éloquent. Le président est élu sur la base d’un système de grands électeurs. Le candidat qui arrive en tête dans une région rafle la totalité des grands électeurs échus à cette région, selon le principe du « winner takes it all ». Ce système permet théoriquement à un candidat de remporter l’élection avec 25 % des suffrages populaires (voire moins). En 1972, Nixon a été élu avec 95 % des voix des grands électeurs, alors qu’il n’avait obtenu que 60 % des votes populaires. L’élection de George W. Bush en 2000, opposé à Al Gore, est l’exemple le plus révélateur de l’imperfection de la loi américaine. Al Gore a devancé son rival républicain de plus de 300 000 voix en termes de votes populaires. Mais le Texan a totalisé 271 grands électeurs contre 267 à son adversaire. Il l’a emporté grâce notamment à sa victoire de 537 voix d’écart en Floride. Le succès dans cet État lui a permis d’empocher les 25 grands électeurs de la région et d’accéder à la présidence. Deux des plus resplendissantes démocraties connaissent des failles dans leur loi électorale. L’opposition dans ces deux pays pointe du doigt cette carence et cherche à peser dans le débat pendant son passage dans l’opposition, sans chercher à bloquer l’action du pouvoir, sous prétexte qu’il est illégitime. Comme c’est le cas au pays du Cèdre depuis novembre 2005. De surcroît, une loi électorale nécessite du temps pour être mise sur pied. D’autant qu’elle doit être soumise à l’accord de toutes les parties en présence et qu’elle est sujette à des désaccords au sein même de l’opposition et de la majorité. La nouvelle donne politique générée par le retrait syrien en 2005 et la vague d’attentats qui a suivi nécessitaient de donner la priorité à d’autres questions, comme l’élection d’un président souverainiste, ou la mise sur pied du tribunal international. L’argument du Courant patriotique libre sur l’adoption d’une nouvelle loi qui donnera sa juste représentativité à la communauté chrétienne ne tient pas debout. D’autant qu’avec la présence dans la majorité de partis comme les Forces libanaises et les Kataëb, il est certain que les prochaines élections se tiendront sous une loi qui donnera ses droits à la communauté chrétienne. Un comportement contraire de la part des composantes chrétiennes du courant du 14 Mars lui ferait perdre une large partie de son électorat. Le consensus de toutes les parties chrétiennes (Bkerké, CPL, FL, Kataëb, Marada…) devait suffire pour faire passer cette question au second plan, devant la nécessité de renforcer l’indépendance naissante (et en danger) de la nation. Le Hezbollah et Amal avaient, de leur côté, vivement insisté pour que l’élection se déroule conformément à la loi de 2000. La deuxième revendication de l’opposition porte sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, dans lequel elle détiendrait un tiers de blocage. C’est-à-dire qu’elle pourrait faire obstruction et bloquer toute décision du gouvernement qui ne lui conviendrait pas. La formation d’un gouvernement sous cette forme annihilerait le rapport entre la majorité et l’opposition qui régit tout système démocratique. Une coalition nationale de cette forme a sa place dans deux cas de figure. Le premier cas est quand le scrutin législatif n’a pas dégagé de majorité claire, comme ce fut le cas lors des dernières législatives allemandes. Or les élections libanaises de 2005 ont donné une victoire nette à la coalition du 14 Mars avec 72 députés, contre 56 pour l’opposition. Le second cas de figure se présente quand toutes les parties sont d’accord sur un péril commun important menaçant la nation et qui nécessite de faire passer au second plan les programmes respectifs des différents partis. Or le risque permanent que fait peser le voisin syrien sur la stabilité sécuritaire et économique du pays, ainsi que l’adoption du tribunal international ne sont pas des sujets sur lesquels les deux bords sont d’accord. D’où l’impossibilité d’accorder un tiers de blocage à l’opposition. L’heure est aujourd’hui au consensus sur la personne du général Sleimane pour la présidence de la République. La majorité ne doit cependant plus lâcher de lest sur la question vitale du tiers de blocage. À l’heure où une nouvelle vague de pressions internationales sur l’Iran et la Syrie pourrait se produire, la majorité doit garder une certaine marge de manœuvre qui lui permettrait de récupérer en politique intérieure ces pressions, pour renforcer l’édification d’un État libanais fort et souverain. Quoi qu’il arrive, cette période aura créé un précédent antidémocratique dangereux et, à l’avenir, toute opposition pourra se targuer des imperfections d’une loi pour paralyser l’activité du pays. Khalil HATEM Essec - Paris Article paru le jeudi 17 janvier 2008
L’opposition libanaise a eu pour principales revendications lors de ces trois dernières années l’établissement d’une nouvelle loi électorale et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Tant que ces demandes n’étaient pas appliquées, l’opposition a jugé que ce gouvernement et ce Parlement n’étaient pas démocratiques. Pourtant, à voir comment les plus...