Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Le « facteur peur » des relations sino-américaines Joseph S. Nye*

Selon les sondages, un tiers des Américains pense que la Chine « dominera bientôt le monde », tandis que près de la moitié considère l’émergence de ce pays comme « une menace à la paix mondiale ». De leur côté, les Chinois craignent généralement que les États-Unis n’acceptent pas leur « essor pacifique ». Il importe que les Américains et les Chinois évitent l’écueil de ces peurs exagérées. Le maintien de bonnes relations sino-américaines sera un facteur déterminant de la stabilité mondiale au cours de ce siècle. La plus grande menace qui plane sur les relations bilatérales est probablement la croyance qu’un conflit est inévitable. Durant toute l’histoire, chaque fois qu’une puissance naissante a suscité la peur de ses voisins et d’autres grandes puissances, celle-ci devenait source de conflits. Dans de telles circonstances, les événements secondaires peuvent déclencher une réaction en chaîne catastrophique. Aujourd’hui, l’incident déstabilisant le plus probable est lié aux relations complexes dans le détroit de Taïwan. La Chine, qui considère Taïwan comme faisant partie intégrante de son territoire et servant d’abri à la marine américaine depuis la guerre civile chinoise, se jure que toute déclaration d’indépendance de l’île sera gagnée par la force. Les États-Unis ne contestent pas la souveraineté chinoise, ils veulent simplement qu’un accord pacifique garantisse l’existence d’institutions démocratique à Taïwan. Sur l’île même, le sentiment d’identité nationale est de plus en plus fort, mais les pragmatistes et « la coalition panbleue », consciente que la géographie nécessite un compromis avec le continent, et « la coalition panverte » au pouvoir, qui aspire à l’indépendance, sont nettement divisés. À Taïwan, les deux camps seront confrontés à l’élection présidentielle du 22 mars. Les sondages laissent entendre que Ma Ying-Jeou, ancien maire de Taipei et membre du Kuomintang (KMT), devance Frank Hsieh, du Parti démocratique progressiste (PDP) au pouvoir. Des observateurs craignent que Chen Shui-Bian, président actuel du PDP, ne cherche un prétexte pour empêcher la défaite de son camp en faveur de la souveraineté. Il soutient actuellement la tenue d’un référendum pour savoir si Taïwan doit rejoindre les Nations unies – que la Chine juge provocateur. À cela, Chen Shui-Bian répond que c’est la Chine « qui agit de façon provocatrice aujourd’hui ». Il est évident que l’Amérique s’inquiète. Condoleezza Rice, secrétaire d’État américaine, a récemment déclaré lors d’une conférence de presse : « Nous pensons que le référendum pour l’accession de Taïwan aux Nations unies sous le nom de “Taïwan” relève d’une politique provocatrice, qui exacerbe inutilement les tensions dans le détroit et ne garantit pas de réels avantages au peuple de Taïwan sur la scène internationale ». De plus, Condoleezza Rice a réaffirmé que la politique de son gouvernement s’opposait « à la menace unilatérale de l’un ou l’autre camp de changer le statu quo ». Le même jour, Robert Gates, secrétaire de la Défense, a critiqué la Chine pour avoir entravé, sans prévenir, la visite de bateaux américains dans des ports chinois pour des ventes d’armes à Taïwan. Gates aurait indiqué aux représentants chinois que ces ventes américaines s’inscrivaient dans le droit fil de la politique passée et que « tant qu’elles consolidaient leurs forces de leur côté du détroit, (ils fourniraient) à Taïwan les moyens nécessaires pour se défendre ». Il a ajouté que malgré l’augmentation du budget de la défense en Chine, il ne considérait pas ce pays « comme un ennemi » et qu’« il était possible de coopérer en continu dans plusieurs domaines ». En principe, la question de Taïwan ne devrait pas mener à un conflit. Avec les évolutions rapides en Chine, et le renforcement des contacts sociaux et économiques dans le détroit, il est possible de trouver une solution permettant aux Taïwanais de maintenir leur économie de marché et leur système démocratique sans être aux Nations unies. Jusqu’à présent, les États-Unis ont tenté d’encourager cette progression en insistant sur deux grands principes : pas d’indépendance pour Taïwan ni de recours à la force pour la Chine. Cependant, compte tenu du risque d’incidents liés à la concurrence politique à Taïwan et à l’impatience grandissante de l’Armée de libération du peuple sur le continent, il serait judicieux que les États-Unis favorisent des négociations et des contacts plus actifs des deux côtés. Il est dans l’intérêt des États-Unis de maintenir de bonnes relations avec la Chine, et de protéger les droits de l’homme et la démocratie à Taïwan ; et non d’en faire un pays souverain siégeant aux Nations unies. Les efforts de certains Taïwanais à cette fin sont une grossière erreur de calcul susceptible de créer une inimitié entre les deux grandes puissances. Certains Chinois ont tort de suspecter les États-Unis de vouloir l’indépendance de Taïwan pour en faire un « porte-avions insubmersible » à utiliser contre un futur ennemi chinois. Malgré tout, ce type de suspicions entretient un climat hostile. En traitant la Chine comme un ennemi, les États-Unis jettent la base des hostilités futures. Si nous ne pouvons pas être sûrs de la façon dont la Chine évoluera, à quoi bon exclure la possibilité d’un avenir meilleur ? La politique américaine actuelle prévoit l’intégration économique tout en se protégeant contre les incertitudes au sujet de l’avenir. Avec l’alliance de sécurité entre le Japon et les États-Unis, la Chine ne dispose pas de « l’atout Japon ». Certes, cette mesure de protection semble légitime en politique mondiale, mais il est important que les deux camps restent modestes. Si un climat de méfiance règne au niveau mondial, ce qui ressemble à une barrière d’un côté peut paraître une menace de l’autre. Il n’est pas nécessaire que les États-Unis et la Chine soient en guerre au cours de ce siècle. Néanmoins, les deux camps doivent veiller à ce qu’un incident concernant Taïwan ne les amène pas sur cette voie. Il importe que les Américains et les Chinois ne laissent pas les craintes exagérées devenir une prophétie qui s’accomplit d’elle-même. *Joseph S. Nye enseigne à Harvard et est l’auteur de « The Powers to Lead », qui paraîtra prochainement. © Project Syndicate, 2008. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre.
Selon les sondages, un tiers des Américains pense que la Chine « dominera bientôt le monde », tandis que près de la moitié considère l’émergence de ce pays comme « une menace à la paix mondiale ». De leur côté, les Chinois craignent généralement que les États-Unis n’acceptent pas leur « essor pacifique ». Il importe que les Américains et les Chinois...