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RÉFLEXION - À propos de la pièce « How Nancy Wished That Everything Was An April Fool’s Joke » Poisson d’avril de Rabih Mroué, ou la substitution de mémoire

Nous recevons de M. Élie Ayache, essayiste, philosophe et auteur vivant à Paris, la réflexion ci-dessous concernant la pièce de Rabih Mroué « How Nancy Wished That Everything Was An April Fool’s Joke » qu’il a vue au Madina, le 28 décembre dernier, lors de son récent séjour au Liban «Mon idée sera ici que la pièce de Rabih Mroué, son poisson d’avril, s’est substituée à la mémoire de la guerre. On avait fait à Jonathan Littell la critique que son livre, Les Bienveillantes, allait finir par se substituer à la mémoire de la Shoah. Mais avec Mroué, c’est une bonne chose. La mémoire de la guerre du Liban ne vaut pas mieux que sa pièce. D’ailleurs, cette mémoire y est, à certains égards, défaillante (comme l’indiquent certaines méprises délibérées sur les dates, aussitôt reprises par l’un des personnages). Cette pièce “ froisse ” la mémoire de la guerre du Liban comme un papier qui est plus facile à mettre en poche et dont nous attirent alors les rides du chiffonnement plutôt que les lignes du contenu (ce n’est pas un pliage ou un collage de mémoire, mais un froissement.) C’est une guerre absurde et l’absurdité en a été transcrite, dans la pièce de Mroué, sous la forme de l’absurdité de l’hypothèse qui en assure la continuité, à savoir la capacité de ses personnages de mourir de façon “ explétive ”, contingente, à peine digne d’intérêt, voire de mention. Même la mort n’y a plus son sens primordial qui est qu’elle est définitive. C’est la mémoire de la guerre de laquelle a été retirée la mémoire des morts (au sens de la commémoration et de la solennité mémorable de leur mort). Ou plutôt : la mémoire des morts, qui se double, pour chacun, de la mémoire de plusieurs morts, notées alors, mentionnées alors, comme autant d’événements fortuits tout juste dignes de mention, la mémoire des morts (génitif objectif) est remplacée par la mémoire des morts (génitif subjectif) qui, justement, racontent cette guerre en se souvenant, parmi une foule d’incidents et de retournements, de leurs morts nombreuses. Je ne veux pas y voir de métaphore ou d’allégorie. Rien de grandiose. Rien que de l’écrit et que du contingent, rien que du sériel. La métaphore aurait voulu que chaque personnage représentât un ensemble de combattants qui auraient effectivement disparu et qui seraient effectivement morts. Chaque résurrection métaphorique débuterait l’histoire d’une identité différente. Et chacune des quatre séries portant le nom d’un personnage de la pièce serait distinguée par son allégeance politique particulière, au moins à l’origine : une série de morts Mourabitoun, une série de morts PSP, une série de morts Amal, une série de morts Kataëb, etc., sans parler de la série de leurs transformations politiques et parfois même de leurs changements de camp. Mais si, en revanche, c’était le point de vue de la guerre elle-même, absurde et sans identité, qui devait être raconté… Une narration sans fin et sans chute ; la mémoire de la guerre juste avant qu’elle ne soit froissée et que ne s’y substitue cette farce, ce poisson d’avril… La réussite finale de la pièce, c’est que personne ne se sera approprié cette mémoire. Si les morts étaient vraiment morts, ils se seraient approprié la fin, leur fin. Or, Mroué ne la leur donne pas. Il nous laisse celle-ci ouverte ; si bien que la réussite, la substitution, est ici que chacun de nous pensera d’abord à la pièce de Mroué au moment de repenser à la guerre. Car cette guerre, qui était la guerre entre nous (une guerre civile), est devenue une guerre “entre nous” (comme lorsqu’on se fait des confidences, non graves, non sérieuses ; comme lorsqu’on raconte des potins). Il est vrai que nous avons été “entre nous”, c’est-à-dire très proches les uns des autres, dans cette guerre (comme le sont les personnages de la pièce qui, pourtant, ne se parlent pas). Nous la connaissons tous très bien, et c’est pourquoi Mroué a réussi à nous totaliser par ces séries de morts “explétives”, non personnelles, données à tous. Et ainsi, il a substitué sa pièce à notre propre mémoire de la guerre. »
Nous recevons de M. Élie Ayache, essayiste, philosophe et auteur vivant à Paris, la réflexion ci-dessous concernant la pièce de Rabih Mroué « How Nancy Wished That Everything Was An April Fool’s Joke » qu’il a vue au Madina, le 28 décembre dernier, lors de son récent séjour au Liban
«Mon idée sera ici que la pièce de Rabih Mroué, son poisson d’avril, s’est...