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Actualités - REPORTAGE

Silvia Serrano, spécialiste des mondes russe et caucasien, analyse la crise politique qui secoue le pays Les tenants et les aboutissants du bras de fer qui déstabilise la Géorgie Propos recueillis par Karine JAMMAL

Le 5 janvier, les Géorgiens ont été appelés à élire un président. Il s’agissait d’un scrutin anticipé requis par le président sortant pro-occidental, Mikhaïl Saakachvili, qui misait ainsi sur sa réélection pour restaurer son pouvoir après des manifestations d’opposants en novembre dernier. Un scrutin qui visait également à redorer le blason du président auprès de l’Occident. Blason terni par la violente répression de ces manifestations. Mercredi dernier, la commission électorale a officiellement annoncé la victoire, dès le premier tour, de M. Saakachvili avec 52,21% des voix. Le scrutin a, en outre, été jugé « valide » par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et globalement salué par l’Occident. Mais ce résultat est dénoncé par l’opposition, dont le principal candidat, Levan Gatchetchiladzé, a obtenu 25,26 % des voix. Dénonçant des fraudes, l’opposition exige un second tour de scrutin et brandit la menace de nouvelles manifestations. Dans ces conditions, le président réélu a-t-il les moyens de diriger un pays divisé ? Quelle va être la réaction de la Russie, qui soutient l’opposition ? Faut-il s’attendre à une nouvelle bataille politique, éventuellement accompagnée de manifestations, dans la perspective des législatives prévues pour cette année ? Silvia Serrano, chercheuse et spécialiste des mondes russe et caucasien à l’École des hautes études de Paris, analyse pour « L’Orient-Le Jour » les tenants et les aboutissants de la crise géorgienne. Le président géorgien Mikhaïl Saakachvili a été vivement critiqué par l’Occident lors de la répression des manifestations d’opposants et l’instauration de l’état d’urgence en novembre dernier. Contraint de redorer son blason, M. Saakachvili a décidé d’organiser des élections anticipées pour remettre son mandat en jeu. Il en est sorti vainqueur avec 52,21 % des voix. La question des critiques adressées par l’Occident au président doit toutefois être abordée avec prudence, estime Silvia Serrano. Certes, « la presse américaine a été très virulente face aux autorités géorgiennes », explique la chercheuse. En novembre dernier, le Washington Post estimait « que la répression des manifestations en Géorgie est un coup plus dur pour les États-Unis que des dizaines de Musharraf ». Toutefois, ces attaques relèvent plus de « la rhétorique qu’autre chose », estime Mme Serrano. L’intérêt que les États-Unis portent à la Géorgie est plus symbolique que stratégique. « Il y un investissement très fort de la part des États-Unis en Georgie car c’est le seul pays au monde qui fait preuve de réussite sur le plan de la promotion de la démocratie », explique la chercheuse. La réaction de l’Occident face à la répression est normale, « mais il faut savoir relativiser », déclare Mme Serrano. Personne n’a donné l’ordre de tirer sur la foule. « Les manifestations n’ont pas été plus brutales que celles qui se passent en France, souligne-t-elle. Les alliés occidentaux se devaient de réagir, mais sans exagérer pour autant », car il n’y a pas eu de victimes ni d’emprisonnement, explique la spécialiste. L’état d’urgence a en outre été un mouvement de panique de la part des autorités et il n’a duré que 9 jours. La fonction des élections L’annonce par M. Saakachvili de l’organisation d’élections anticipées est néanmoins le résultat des critiques et de la pression occidentales. « Les élections sont contestables en soi, dans le sens qu’elles ont été anticipées de telle manière que l’opposition n’a pas eu le temps de se structurer », indique la spécialiste. L’opposition reste globalement dans une donne pluraliste, une donne démocratique, « plus qu’en Russie en tout cas ». Le jour même du vote, l’OSCE a validé le résultat de la présidentielle malgré quelques irrégularités. « D’une part, il y a une envie de déclarer que les élections se sont passées de façon normale, pour en finir avec l’instabilité, mais d’autre part, cette déclaration précoce a alimenté les frustrations de l’opposition », souligne Mme Serrano. Globalement, « même s’il y a une marge d’incertitude, la différence de points entre Saakachvili et le chef de l’opposition Levan Gatchetchiladzé est telle que personne ne croit que quelques fraudes auraient changé le résultat quant à l’identité du vainqueur », ajoute-t-elle. Le candidat de l’opposition a obtenu deux fois moins de suffrages que le président sortant. Comment expliquer l’ampleur du score de M. Saakachvili, alors qu’un vent de critiques semblait clairement souffler contre lui ? « Le vrai problème en Géorgie est la fonction des élections : elles constituent une chambre d’enregistrement de l’homme qui est censé venir au pouvoir », explique la spécialiste. C’est un mécanisme ancré depuis des décennies, « on ne peut pas parler de fraude », affirme Mme Serrano. Les minorités locales ont voté pour l’homme fort, c’est une manière de pouvoir négocier avec le pouvoir en place. L’homme fort du moment a donc en général un score très important. « C’est pour cela que, normalement, en Géorgie, on connaît presque quasiment toujours à l’avance le gagnant », poursuit-elle. Il ne faut toutefois pas oublier qu’en 2004, Saakachvili a été élu avec 96 % des voix. « Le résultat de ce scrutin est revu à la baisse par rapport au précédent parce que le mécontentement est normal. La frustration est à la hauteur des attentes », affirme Mme Serrano. D’ailleurs, une des caractéristiques de la Géorgie est « d’exprimer haut et fort le mécontentement ». « Les gens qui votent pour le candidat de l’opposition votent contre et non pour, il n’y a pas de programme différent », relève Mme Serrano. L’opposition et les législatives Malgré sa victoire, Mikhaïl Saakachvili doit toujours faire face à un pays divisé. Pour Mme Serrano, c’est une « bonne chose que le pays soit divisé, que l’opposition soit renforcée ». Pour les législatives de cette année, « les gens ont beaucoup plus tendance à aller vers l’opposition. D’habitude, les autorités sont en difficulté lors des législatives. Cela montre que le pays aspire à la démocratie », souligne la spécialiste. Les revendications de l’opposition portent sur différents points. Premièrement, « l’opposition accuse les autorités d’être impliquées dans le meurtre de l’ancien Premier ministre Zourab Jvania. Il y a eu une enquête judiciaire, mais cette dernière a été entravée », explique Mme Serrano. Il y a donc une certaine méfiance de la population envers le respect de la justice par les autorités en place. Deuxièmement, les autorités n’ont pas su anticiper les problèmes économiques. Les indices macroéconomiques sont bons, mais suite à l’embargo de la Russie en 2006, le secteur viticole a été gravement touché (Moscou cessant toute importation de vin géorgien) et la population a été privée de ses biens. « Il y a eu une dégradation et pas de réaction de la part du pouvoir », poursuit la spécialiste. Suite au boom immobilier, « les autorités ont été maladroites et brutales en décidant de fermer les grands marchés de Tbilissi et d’exproprier plusieurs propriétaires ». Il y a donc eu une certaine brutalité dans la gestion des problèmes socioéconomiques de la part des autorités. Cependant, l’opposition n’a pas été capable de proposer une alternative. « Les revendications de l’opposition exprimées sur un fond d’insatisfaction ne sont pas toujours très explicitées », indique Mme Serrano. Faut-il s’attendre à une nouvelle épreuve de force pour les prochaines législatives ? Très certainement, « l’institutionnalisation du système politique en Géorgie reste faible, les partis politiques ne constituent que des mouvements conjoncturels opportunistes », affirme la spécialiste. Le mode naturel d’expression du mécontentement, c’est la rue. Le candidat de l’opposition à la présidentielle, Levan Gatchetchiladzé, représentait neuf formations de l’opposition. Une coalition mise en place avec les manifestations spontanées de novembre dernier. « Ce sont les gens dans la rue qui ont amené l’opposition à se structurer », explique Mme Serrano. Les autorités vont probablement faire des erreurs et il y a aura de nouvelles mobilisations populaires. « Les manifestations fragilisent le pouvoir et l’opposition l’a compris », ajoute Mme Serrano. « Mais l’opposition va- t-elle rester unie pour les législatives ou bien chaque mouvement va-t-il présenter un candidat ? Personne ne le sait encore », souligne Silvia Serrano. Prudence de Moscou Moscou, qui soutient l’opposition, est un autre acteur de poids dans la crise géorgienne. « On a pu observer une certaine prudence et réserve de la part de Moscou avant les élections anticipées », déclare Mme Serrano. Les Russes ont tiré les leçons de l’expérience ukrainienne. « Avant, la Russie misait sur le perdant, maintenant, elle est plus discrète, et visiblement, elle ne s’immisce pas directement ». « La Russie se contente de dénoncer les résultats et la rapidité de l’OSCE à affirmer que les élections se sont déroulées dans l’ordre », explique la spécialiste. Pourtant, lors de la campagne électorale, M. Saakachvili a évoqué un sujet qui devrait irriter Moscou : l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Géorgie. Une référence directe à la récupération de l’Abkhazie prorusse (voir par ailleurs). « Tbilissi n’a pas les moyens de reprendre l’Abkhazie. Pour reprendre le contrôle, il faut que cela se fasse par la force », souligne Mme Serrano. Ces dernières années, le pouvoir a d’ailleurs sérieusement augmenté le budget de la défense. Des appels aux réservistes et des clips de propagande militaire sont en outre régulièrement diffusés. « Les partenaires occidentaux font pression sur Tbilissi pour mettre juguler cet élan ; l’option militaire ne doit pas être d’actualité », indique la spécialiste. La Russie, quant à elle, « ne veut pas entendre parler de l’intégrité territoriale de facto de la Géorgie », affirme Mme Serrano. Moscou, comme pour le dossier du Kosovo, redoute, de fait, un effet domino.
Le 5 janvier, les Géorgiens ont été appelés à élire un président. Il s’agissait d’un scrutin anticipé requis par le président sortant pro-occidental, Mikhaïl Saakachvili, qui misait ainsi sur sa réélection pour restaurer son pouvoir après des manifestations d’opposants en novembre dernier. Un scrutin qui visait également à redorer le blason du président auprès de...